Aucune preuve scientifique de l'existence d'une population viable de cougars au Québec
Un cougar
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Pendant plusieurs années, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) a investi temps et argent pour tenter de déterminer si ceux qui disaient avoir aperçu un cougar dans la province avaient la berlue. Après des années à récolter des poils à l'aide d'un dispositif dont la fiabilité est aujourd'hui contestée, Québec rend un verdict sans appel : il n'y a aucune preuve scientifique de l'existence d'une population viable de cougars dans la province.
Prononcez le mot « cougar » et vous susciterez immédiatement l’intérêt des biologistes, chasseurs et amants de la nature. Certains croient dur comme fer que le majestueux félin a réussi à survivre et à se reproduire dans nos forêts, alors que d’autres font valoir que la science nous enseigne le contraire.
Qui dit vrai? Les croyants ou les sceptiques?
Officiellement, le dernier cougar sauvage a été abattu dans la province en 1938 à la frontière du Maine.
Malgré tout, au cours des années 90, le nombre de signalements de cougars augmente de façon vertigineuse. Sauf qu’il n’y a jamais de preuves tangibles de la présence du mythique félin. En 1998, la Fondation de la faune du Québec décide de tenter d’élucider le mystère et finance la mise au point d’un outil de dépistage de cougar.
Un poteau censé attirer uniquement des cougars
Le biologiste Marc Gauthier, de la firme Envirotel 3000, conçoit un poteau dans lequel on insère un appât olfactif censé attirer l’animal. Selon lui, une fois appâté, le félin se frotte sur la station de dépistage et y laisse des poils, qui seront ensuite analysés pour authentifier l’espèce. Le biologiste a testé l’appât sur des cougars en captivité au zoo de Granby avant de commercialiser son invention. « Ça nous a pris un certain temps avant de trouver une odeur qui attirait uniquement des cougars », explique Marc Gauthier.
Entre 2001 et 2012, une cinquantaine de ces stations sont déployées dans tout l’est du Canada. Parcs Canada et le MFFP les louent 500 $ à 1200 $ par année, selon ce qui est inclus (les appâts olfactifs et certaines analyses peuvent être fournis ou pas).
Des fonctionnaires se rendent chaque mois aux stations de dépistage pour faire le suivi. On traque désormais le cougar dans des parcs nationaux et provinciaux en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick ainsi que dans plusieurs régions du Québec comme le Saguenay, la Gaspésie, la Mauricie, les Laurentides et l’Estrie.
La « cougarmanie » s’empare du Québec
En 2005, le MFFP annonce qu’après avoir analysé l’ADN de certains poils récoltés sur les stations de dépistage, « la présence de cougars est confirmée au Saguenay–Lac-Saint-Jean, dans la région de la Capitale-Nationale ainsi qu’au parc national de Fundy ». C’est le début de la « cougarmanie », ironise le biologiste Serge Larivière.
Ce spécialiste des grands mammifères n’a jamais caché son scepticisme dans ce dossier. « S’il y a un blâme à décerner dans cette histoire, c’est au ministère. Ils ont propagé trop rapidement l’idée que des cougars sauvages étaient présents dans nos forêts et, à partir de ce moment-là, il y a eu encore plus de témoignages de gens disant avoir vu des cougars… parce que le ministère avait déclaré qu’il y en avait! ».
En 2011, des experts du service américain des Pêches et de la Faune émettent toutefois des réserves sur la fiabilité du processus canadien de récolte de poils de cougars. Dans une recension scientifique (Nouvelle fenêtre) visant à déterminer l’état de l’espèce dans tout l’est de l’Amérique du Nord, des biologistes se penchent sur le dispositif utilisé de ce côté-ci de la frontière. Ils demandent si « des caméras munies d’un détecteur de mouvement ont été utilisées pour s’assurer que des canulars intentionnels n’ont pas été perpétrés sur ces sites? ».
La réponse, c’est non, du moins pendant les premières années de l’expérience. « Quand on a commencé, les caméras étaient moins abordables qu’aujourd’hui », répond Marc Gauthier pour expliquer l’absence de caméras autour des stations de dépistage.
En 2005, Parcs Canada décide toutefois d’en ajouter au parc national de Fundy, au Nouveau-Brunswick, là où deux poils de cougars ont été précédemment authentifiés. Mais depuis l’installation de ces appareils, plus aucun poil récolté sur cette station n’a été certifié comme provenant d'un cougar.
Même scénario dans les monts Sutton et à Ruitter Valley, en Estrie, où l’organisme Corridor appalachien entretient cinq stations de dépistage depuis le début des années 2000. Cinq poils de cougar ont été authentifiés par des analyses d’ADN avant l’apparition des caméras sur les stations de dépistage. Mais depuis leur installation, en 2011, plus rien. « On a pu voir des lynx, des cerfs, des orignaux, un pékan, mais pas de cougars », déplore le biologiste Clément Robidoux, de l'organisme Corridor appalachien.
« Peut-être que ces cougars-là en particulier sont partis ou sont morts depuis », avance Marc Gauthier. Pas question pour lui d’envisager la disparition de l’espèce. L’homme a toujours soutenu qu’une petite population de cougars avait survécu jusqu’à ce jour dans le sud de la province.
Une supercherie aux États-Unis
En 2012, Serge Larivière jette un pavé dans la mare. Il publie un article scientifique dans lequel il décline les 10 raisons pour lesquelles il est sceptique quant à la présence d’une population de cougars sauvages au Québec.
Aucune piste de cougar n’a jamais été authentifiée dans la province, on n’a jamais retrouvé de restes de proies ni de carcasse de l’animal. À ce jour encore, aucune photo, aucune vidéo prouvant hors de tout doute la présence d’un cougar au Québec n’a été publiée. Pourtant, souligne le biologiste, « les caméras de surveillance des chasseurs photographient à peu près tout. On a des photos d'orignaux albinos, on a des ours à trois pattes, on a des écureuils volants, on a des cerfs en train de s'accoupler. C'est impensable qu’on n’ait pas de cougars. »
Mais surtout, demande-t-il, les poils récoltés sont-ils vraiment des éléments de preuve? Le biologiste rappelle qu’au début des années 2000, une supercherie basée sur le même principe que celui utilisé dans le dépistage de cougars dans l’est du Canada a secoué l’ouest des États-Unis.
Le service américain des Forêts devait déterminer si le lynx du Canada était en voie de disparition dans l’État de Washington. L’agence fédérale a traqué la bête à l’aide de stations de dépistage dotées d’appâts odoriférants. Des poils de lynx ont été recueillis et authentifiés.
Sauf qu’un des biologistes employés par l’État a par la suite avoué que les poils en question avaient été prélevés sur des animaux empaillés ou en captivité. Les biologistes fédéraux doutaient de l’expertise du laboratoire embauché pour analyser les poils; ils ont voulu le mettre à l’épreuve. Après enquête (Nouvelle fenêtre), le gouvernement a statué qu’il y avait eu contamination de la preuve.
Les biologistes impliqués dans l’expérience québécoise ont été froissés par l’analogie de Serge Larivière. « Il met en doute notre méthode parce que quelqu’un a fraudé aux États-Unis. Il sous-entend que nous avons fait la même chose, mais on n’a pas d’intérêt particulier vis-à-vis du cougar », réagit Marc Gauthier.
Des poils de phoque sur les stations de dépistage de cougars
En 2013, des chercheurs de l’Université de Montréal analysent 476 échantillons de poils récoltés au fil des ans sur les stations de dépistage et confirment, dans un article scientifique (Nouvelle fenêtre), la présence de cougars dans l’est du Canada.
Sa lecture nous apprend que les poteaux, censés attirer uniquement des cougars, ont aussi appâté des ours, des cerfs, des orignaux, des coyotes, des lynx du Canada, des loups et même des phoques! Sans compter les poils d’humains qui y ont été récoltés.
Du lot, seuls 19 poils provenaient réellement de cougars. Des animaux exotiques échappés ou en provenance de l’Ouest, selon les chercheurs, qui émettaient également l’hypothèse qu’il soit « possible qu’une population viable de cougars [...] existe dans l’est du Canada ». Cette thèse a profondément irrité Serge Larivière : « Pour parler d’une population viable, ça prendrait des mâles, des femelles, des preuves de reproduction! »
« Tout ce qu’on dit, c’est qu’il y a des cougars et qu’on ne sait pas d’où ils viennent », rétorque François-Joseph Lapointe, cosignataire de l’étude et directeur du laboratoire d'écologie moléculaire et d'évolution de l’Université de Montréal, où ont eu lieu les analyses d’ADN des poils. « Si, hypothétiquement, il y a une population viable, on a besoin d’études supplémentaires, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada doit légiférer, c’est tout ce qu’on dit. »
Le service américain des Pêches et de la Faune n’est pas tendre lui non plus envers l’étude de l’Université de Montréal. Dans un avis officiel publié en janvier 2018 (Nouvelle fenêtre), il déclare le cougar officiellement disparu de tout l’est de l’Amérique du Nord, sauf de la Floride. Concernant l’étude québécoise de 2013, il écrit qu’elle n’a fourni « aucune preuve de l’existence d’une population viable de cougars ».
Aujourd’hui, la position du MFFP à l’égard du cougar tranche avec celle d’autrefois. Finis les investissements de location de stations de dépistage. Si l’animal n’est pas officiellement déclaré disparu, c’est uniquement « parce qu’un petit nombre de gens signalent encore, à l’occasion, avoir aperçu un cougar », dit Nicolas Bégin, porte-parole du MFFP. Mais qu’on ne s’y trompe pas : « Notre position est claire, aucune preuve scientifique connue à ce jour ne nous démontre qu'il y a une population viable de cougars au Québec. »
Le reportage de Julie Vaillancourt et Pier Gagné a été diffusé à l'émission La semaine verte, à ICI Radio-Canada Télé.