Les bouteilles d'eau encore nombreuses à éviter le recyclage
Un mystère persiste quant à la quantité réelle de bouteilles d'eau en plastique récupérées et recyclées au Québec, selon les groupes environnementaux.
Photo : Radio-Canada / Martin Thibault
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les Québécois consomment un milliard de bouteilles d'eau par année. Combien en recycle-t-on réellement?
« Le problème, c’est qu’on n’en a aucune idée, affirme le directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets, Karel Ménard. Il n’y a pas de décompte des bouteilles qui sont récupérées, encore moins des bouteilles qui sont effectivement recyclées. »
Recyc-Québec, par exemple, estime que « 72,4 % des bouteilles d’eau à remplissage unique générées par les ménages sont récupérées dans la collecte sélective ». Ainsi, sur une dizaine de bouteilles, chaque fois que sept bouteilles sont placées dans le bac bleu, trois sont jetées à la poubelle.
« Sauf que la grande majorité des bouteilles d’eau ne sont pas consommées à la maison », intervient Karel Ménard. Cette majorité, dont on ne connaît pas le chiffre, n’est donc pas récupérée par la collecte à domicile.
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Des efforts ont donc été déployés pour favoriser l'installation de bacs de récupération à l’extérieur. L'Association canadienne des eaux embouteillées affirme notamment que ses membres « collaborent avec les gouvernements locaux en participant aux programmes de récupération en lieux publics dans le but » de réduire la quantité de bouteilles dirigées vers les sites d’enfouissement.
Or, Karel Ménard doute de l’efficacité de ces mesures, et croit même que la majorité des bouteilles collectées sur les lieux publics aboutissent de toute façon à la décharge.
De la récupération au recyclage
Le bac de récupération n’est pas un bac de recyclage, martèle Karel Ménard. Il n’est là que pour donner bonne conscience aux consommateurs, selon lui.
« On nous induit en erreur en nous disant que la bouteille va être recyclée en la mettant dans le bac bleu, poursuit-il. On ne recycle rien à la maison, on fait de la récupération. Le centre de tri ne fait pas de recyclage non plus. »
Même lorsque les bouteilles d’eau se fraient un chemin jusqu’aux centres de tri, rien n’assure qu’elles seront donc systématiquement recyclées.
« Il y a une distinction à faire entre le taux de récupération, qui est calculé sur la base des matériaux collectés par les municipalités, et le taux de recyclage, explique Louise Hénault-Éthier, chef des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki. Le taux de récupération peut être élevé, mais ça ne veut pas dire que le taux de recyclage va l’être. »
En théorie, toutes les bouteilles d’eau, fabriquées de polyéthylène téréphtalate (PET), sont recyclables. Mais des obstacles compliquent la tâche des centres de tri.
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Les étiquettes sur les bouteilles d’eau, par exemple, nuisent au trieur optique. Ces bouteilles se retrouvent alors parfois dans la mauvaise filière, contaminent d’autres matières recyclables ou aboutissent dans des ballots de fibres mélangées. Si un ballot de plastique recyclé se détaille à plus de 378 $ la tonne, sa valeur diminue s'il est moins pur.
Des additifs ajoutés aux bouteilles de plastique pour assurer leur longévité ou protéger leur contenu de la lumière nuisent aussi à la filière du recyclage plastique et à sa valeur, ajoute Louise Hénault-Éthier.
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Le recyclé, plus cher que du neuf
L’autre problème, selon la chef des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki, c’est que le plastique est plus abordable neuf qu’une fois recyclé.
« La valeur de la résine neuve est relativement faible en Amérique du Nord, affirme Louise Hénault-Éthier. À moins de mettre des incitatifs sur le marché pour utiliser de la résine recyclée, qui est un peu plus chère, l’industrie ne fera pas la transition. »
L'Association canadienne des eaux embouteillées confirme que « de plus en plus d’embouteilleurs utilisent du plastique recyclé » et ajoute même que « les bouteilles d’eau peuvent être fabriquées de plastique 100 % » recyclé.
La seule façon d’y arriver serait de les obliger à en faire davantage, croit cependant Louise Hénault-Éthier.
« On sait qu’il y a un impact énorme de l'extraction pétrolière pour la production de plastique, poursuit-elle. Il y a ensuite évidemment un impact du plastique lui-même en fin de vie utile, mais si on arrive à le recycler de façon adéquate, et de refaire de nouvelles bouteilles de plastique qui peuvent contenir de l’eau, ou encore d’autres contenants, on vient vraiment de réduire l’empreinte environnementale. »
Au Québec seulement, l'industrie de l’eau embouteillée « utilise annuellement plus de 225 000 barils de pétrole, ce qui équivaut à l’émission de 97 000 tonnes métriques d’équivalents de CO2, ou 24 000 voitures moyennes roulant 20 000 kilomètres par année », selon le gouvernement.
La solution?
À défaut de tendre vers le bannissement des bouteilles d’eau, autant Louise Hénault-Éthier que Karel Ménard estiment que la solution serait d’instaurer une consigne.
« La consigne a un incitatif économique à ce que le consommateur retourne la bouteille, justifie le directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets. Et une bouteille consignée serait triée à la source et irait directement chez le recycleur. »
« Ça pourrait aider à améliorer la valeur du plastique à recycler », enchaîne Louise Hénault-Éthier.
Le hic, c’est que les embouteilleurs ne veulent pas de cette responsabilité, dont ils doivent assumer les coûts et la logistique.
« Avec le bac de récupération, les embouteilleurs se délestent de cette responsabilité et la donnent aux municipalités, déplore Karel Ménard. C’est pour ça que le débat sur la consigne fait rage depuis des années. »
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Avec une consigne, les taux de récupération et de recyclage des bouteilles d’eau se compareraient à ceux des boissons gazeuses et de la bière, qui avoisinent les 80 %, selon les experts.