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Encore « trop » de Canadiens consomment de l'eau embouteillée

Trois bouteilles d'eau et deux verres d'eau.

L'eau potable coule directement du robinet au Canada. Malgré tout, un ménage sur cinq préfère l'eau embouteillée.

Photo : Radio-Canada / Martin Thibault

Même si une eau potable de qualité coule à même le robinet de la quasi-totalité des foyers du pays, un ménage canadien sur cinq s'abreuve principalement d'eau embouteillée. Pourquoi?

« Il n’y a aucune excuse pour consommer de l’eau embouteillée, lance d’entrée de jeu la directrice générale d’Eau secours, Alice-Anne Simard. La grande majorité des municipalités offre une eau potable publique, gratuite et d’excellente qualité. »

D’autant plus que le quart de l’eau embouteillée vendue au Canada proviendrait directement du robinet, déplore l’organisme, qui milite en faveur d’une gestion responsable de l’eau.

Des géants de l’industrie, comme Coca-Cola et Pepsi, s’approvisionnent à même les réseaux municipaux pour commercialiser leurs bouteilles de marque Dasani, Glaceau Smartwater et Aquafina.

Pepsi ouvre même les valves de Montréal, s’étonne Alice-Anne Simard.

L'ennemi plastique

Consulter le dossier complet

« Si un Montréalais achète une bouteille d’eau Aquafina, il paie son eau deux fois, dénonce-t-elle. Il paie des taxes municipales pour produire cette eau de qualité et sa distribution dans le réseau, et paie de 1000 à 1500 fois plus cher pour l’acheter une fois embouteillée. »

C’est la même eau, exactement la même chose. La seule différence, c’est que c’est maintenant une eau enrobée de plastique.

Une citation de Alice-Anne Simard, Eau secours
L'étiquette de l'eau de marque Aquafina.

Au Canada, l'eau Aquafina embouteillée par Pepsi provient de la distribution municipale de quatre villes, dont Montréal au Québec.

Photo : Radio-Canada / Martin Thibault

Au Canada, il se vend trois principaux types d’eau embouteillée :

  • l’eau de source, qui provient d’une source souterraine ou naturelle;
  • l’eau minérale, qui provient aussi d'une source, mais qui contient plus de 250 mg/litre de sels minéraux
  • l'eau traitée, qui provient d’un réseau de distribution municipal ou d’une source de surface.

En manque de confiance

« Les gens ne font pas confiance à l’eau du robinet », déplore Peter Gleick, le cofondateur du Pacific Institute, en Californie.

« Leur choix est motivé par une croyance que l'eau embouteillée est meilleure, plus sûre et plus santé que l’eau du robinet, ce qui n’est pas la réalité ni aux États-Unis ni au Canada », poursuit-il.

L’auteur du livre Bottled and Sold : The Story Behind Our Obsession with Bottled Water estime qu’aux États-Unis, jusqu’à 45 % de l’eau embouteillée provient du robinet.

Contrairement au Canada, les embouteilleurs ne l’indiquent pas systématiquement sur l’étiquette.

« Ça dépend des États, qui ont différentes lois sur l'étiquetage, explique-t-il. Il n’y a pas de réglementation nationale. Mais si l’étiquette ne fait pas mention d'eau de source, les chances sont grandes pour que l’eau provienne du réseau municipal. »

Le 22 mars est la Journée mondiale de l'eau. Près de 9 % des ressources d’eau douce de la planète se trouvent au Canada. Tous n’ont pas cette chance. Selon les Nations unies, 2,1 milliards de personnes dans le monde n’ont pas accès à de l’eau potable à la maison.

« Mais l’eau embouteillée n’est pas la solution, prévient Peter Gleick. Il faut plutôt investir dans le système public pour que tous aient accès à de l’eau sûre et abordable. »

Une « alternative » à d’autres boissons embouteillées

Une bouteille d'eau de marque Smartwater et un verre d'eau.

Entre 5 % et 25 % de l'eau embouteillée vendue au Canada proviendrait des réseaux de distribution municipaux. Ce serait jusqu'à 45 % aux États-Unis.

Photo : Radio-Canada / Martin Thibault

L’eau embouteillée n’est pas une « alternative à l’eau du robinet », mais plutôt aux autres boissons embouteillées, selon l’Association canadienne des eaux embouteillées.

L’organisation, qui représente 85 % des embouteilleurs d’eau au pays, estime plutôt qu’une faible proportion de l’eau en bouteille provient du réseau municipal, soit 5 %.

Qui dit vrai?

Difficile à dire, puisque les chiffres par produit ne seraient pas disponibles. « Il n’est pas possible de distinguer les industries qui font uniquement la production d’eau en bouteilles ou dans d’autres contenants », écrit, par exemple, un porte-parole du gouvernement du Québec.

On sait par contre que les préleveurs d’eau ont puisé plus de 2 milliards de litres d’eau au Québec en 2017. Eau secours tente d’obtenir le détail par embouteilleurs. Or, le dossier traîne depuis un an devant la Commission d'accès à l'information du Québec.

L’Association canadienne des eaux embouteillées assure cependant que l’eau embouteillée prélevée à même le robinet « est transformée et ne ressemble plus à l’eau d’origine ».

Et ce n’est pas faux. Avant d’être embouteillée, l’eau est habituellement traitée.

« C’est ce qu’on appelle l’osmose inverse », explique le professeur en technologie de l’eau au Cégep de Saint-Laurent, Mathieu Bergeron.

« On force l’eau à traverser une membrane aux pores très fins en utilisant beaucoup de pression pour enlever pratiquement tout ce qu’il y a dans l’eau », poursuit-il. Les embouteilleurs vont ensuite la reminéraliser avant de la commercialiser.

« C’est un bon traitement en tant que tel, mais, au final, ça reste quand même de l’eau », rappelle Mathieu Bergeron.

À qualité égale, mais à quel prix?

Un verre d'eau.

Les consommateurs d'eau embouteillée justifient leur choix en raison du goût chloré de l'eau du robinet ou d'un manque de confiance envers le réseau municipal.

Photo : Radio-Canada / Martin Thibault

La majorité des experts s’entendent pour dire que l'eau du robinet et l’eau en bouteille sont de qualité similaire. « La grande différence se situe au niveau du contrôle de qualité », résume Mathieu Bergeron.

L’eau du robinet est testée en continu. Des échantillons sont prélevés régulièrement dans le réseau, puis analysés dans un laboratoire agréé par une tierce partie.

« Dès qu’il y a une petite variation au niveau des composantes, un avis d'ébullition est émis à titre préventif, poursuit Alice-Anne Simard. Mais ça ne veut pas dire que l’eau est contaminée, loin de là. »

Ils croient tous les deux que ces avis ont peut-être au fil du temps miné la confiance des Canadiens, alors que l’eau embouteillée fait l’objet d’un contrôle beaucoup moins serré.

« C’est très nébuleux, croit Mathieu Bergeron. Il n’y a pas d’échantillons à prendre ni de surveillance de qualité. » Des inspecteurs gouvernementaux se rendent parfois en usine, mais entre les visites, « l’eau est laissée au bon vouloir des compagnies de l’inspecter ou pas », enchaîne la directrice générale d’Eau secours.

Les membres de l’Association canadienne des eaux embouteillées, dont ne font pas partie Coca-Cola et Pepsi, s’ouvrent cependant à des visites supplémentaires.

Reste qu’il est très difficile, déplore Alice-Anne Simard, d’avoir accès à l’information, contrairement aux avis de faire bouillir l'eau, qui sont publics.

Au Canada comme aux États-Unis, l’eau est gérée par plusieurs ministères, du fédéral au provincial, et qui diffèrent une fois embouteillée. L’eau est alors considérée comme un aliment, et est régie cette fois par Santé Canada et l’Agence canadienne d'inspection des aliments.

« L'eau peut passer jusqu’à deux ans dans une bouteille avant d’être vendue, alors que l’eau du robinet va passer 24 à 48 heures dans le réseau. Pour moi, elle est beaucoup plus fraîche qu’une eau embouteillée laissée à la température pièce et souvent exposée aux rayons ultraviolets du soleil à travers une bouteille de plastique. Ce n’est pas ce que je préfère », tranche Mathieu Bergeron.

On vend l’eau 1000 fois le prix, alors que c'est un produit qui ne goûte rien, qui est incolore, qui ne sent rien. Ça prend tout un marketing pour arriver à faire ça.

Une citation de Mathieu Bergeron, Cégep de Saint-Laurent

Un coût social, et environnemental...

Des bouteilles d'eau utilisées,

Les environnementalistes dénoncent les coûts sociaux et environnementaux de l'eau embouteillée.

Photo : Radio-Canada / Martin Thibault

Est-ce que le traitement de l’eau justifie son prix une fois qu'elle est embouteillée? Non, répond catégoriquement Mathieu Bergeron.

« Le prix de vente est élevé parce que les embouteilleurs doivent la transporter jusqu’aux points de vente », indique le professeur en technologie de l’eau.

« Il y a des robinets partout. Si j’ai besoin d’eau, je n’ai qu’à les ouvrir. Mais je peux aussi aller au dépanneur, à 500 mètres de chez moi, acheter une bouteille qui va avoir été transportée par camion, qui apporte un déchet plastique et a un coût environnemental à cause des moteurs diésel », dénonce-t-il.

Au point de vue de la santé, de l'environnement et l’économie, l'eau du robinet est de loin meilleure que l’eau embouteillée.

Une citation de Alice-Anne Simard, Eau secours

La présence de microparticules de plastique dans l’eau embouteillée ainsi que les déchets que génère cette industrie sont quelques-uns des problèmes évoqués par ses détracteurs.

Un choix… psychologique?

Au Canada, l’eau embouteillée est encore malgré tout préférée dans un ménage sur cinq.

Marilou Jobin, une étudiante doctorale à l'École polytechnique fédérale de Zurich, en Suisse, s’est intéressée aux raisons qui pouvaient motiver ce choix.

« Est-ce que des normes ou des facteurs psychologiques influencent le comportement? Ou encore des facteurs contextuels, comme la facilité d’aller acheter des bouteilles d’eau? » Oui, avance-t-elle, après avoir comparé les habitudes de consommation des Suisses à celles des Allemands.

Malgré une image positive de l’eau du robinet, ces Européens boivent beaucoup d’eau embouteillée, note avec étonnement la doctorante.

Ces habitudes de consommation s’installent dès le plus jeune âge, ajoute Marilou Jobin. « Si nos parents servent tous les jours de l’eau du robinet ou s’ils la servent à leurs invités, on aura tendance à faire pareil » à l’âge adulte, et vice-versa, explique-t-elle.

Mais les mentalités changent et le message des environnementalistes semble commencer à se faire entendre.

Ici même au Canada, de plus en plus de consommateurs délaissent l’eau embouteillée au profit de l’eau du robinet, selon des chiffres tirés de l'Enquête sur les ménages et l'environnement de Statistique Canada.

Malgré tout, l'industrie de l’eau embouteillée continue à générer des revenus de 2,5 milliards de dollars annuellement au Canada seulement.

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