Quand la sécheresse pousse l'ours en ville : visite d'une tanière

Les biologistes du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs vont examiner les ours en hivernation pour déterminer, entre autres, ce qui pourrait les pousser à venir jusque dans les villes.
Photo : Radio-Canada / Olivier Plante
Comment expliquer la présence importune d'un ours en plein marché By en septembre dernier? Combien ont été vus se délectant dans les conteneurs à compost et les poubelles? Si le nombre d'ours immobilisés ou relocalisés dans les zones habitées de l'Outaouais a fortement augmenté en 2018, le nombre de signalements a explosé. Pourquoi? Les réponses se trouvent, en partie, au creux des tanières. Visite révélatrice d'un ours endormi dans une forêt éloignée du Pontiac.
Un après-midi doux à quelques kilomètres au nord-ouest d'Otter Lake, dans le Pontiac, Radio-Canada rencontre une équipe de chercheurs du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP).
En motoneiges, puis en raquettes, tous s'alignent derrière le technicien de la faune qui pointe l'antenne réceptrice vers le sud. Marchant dans la forêt, le signal sonore se précise et augmente sa cadence. Aucun doute, l'ours muni d'un collier émetteur GPS sommeille très près.
Shut! C'est sûr que c'est là
, chuchote Dominic Grenier, technicien de la faune.
Les pelles dégagent doucement l'important couvert de neige. La femelle de trois ans est blottie sous une racine, à l'abri des intempéries. Un autre technicien du ministère prépare un bâton coiffé d'une seringue remplie d'anesthésiant. L'ours a le sommeil léger malgré l'hiver. Le danger est véritable.
Par l'étroite ouverture pratiquée dans la tanière, la femelle fixe le regard du technicien, intrus en cette forêt. Les secondes sont comptées.
La bête rapidement piquée avec la seringue présente des signes de mécontentement. Les pieds des hommes retiennent fermement une pelle, bloquant l'entrée de la tanière.
Elle est nerveuse, elle entend plein de bruits, puis son réflexe, c'est de vouloir sortir
, explique Dominic Grenier, toujours en murmurant.
Dix minutes plus tard, le sommeil de l'ours est profond. On le sort de sa tanière et l'expose au grand jour, déposé sur un sac de couchage. L'examen peut commencer...
Les ours ont manqué de nourriture et l'impact se mesure dans les tanières. En 2018, la chaleur qui a déshydraté différentes espèces de plantes dans les forêts de la région a affecté la réserve de graisse des ours.
Ça a été un automne et un été difficile pour eux. C'est directement lié aux conditions climatiques. Puis cette année, la sécheresse qu'on a connue en août a fait que la production de bleuets était presque inexistante. Et beaucoup de framboises ont séché sur le plan.
De plus, la maladie corticale du hêtre diminue la production de fruits produits par cet arbre. Pourtant, les ours en raffolent. En fait, cet omnivore peut manger jusqu'à 20 000 calories par jour en prévision de l'hivernation.
Les chercheurs observent, cet hiver, des bêtes un peu plus maigres et qui ont parcouru une centaine de kilomètres pour se nourrir, s'approchant donc des milieux humains.
Le biologiste André Dumont avoue que 2018 était exceptionnelle à plusieurs égards.
L'afflux soudain d'ours noirs en milieux habités dans la grande région de la capitale nationale a largement dépassé la moyenne.
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Bien que la présence d'un seul et même ours peut être signalée aux autorités par plusieurs citoyens différents, il reste que le nombre de signalements enregistrés en Outaouais par le MFFP a atteint un sommet depuis six ans. Aussi, le nombre d'ours immobilisés par les agents de la faune ou qui ont dû être relocalisés a bondi.
Afin d'évaluer la santé de l'ours, son taux de reproduction et afin de mieux gérer l'évolution de la population dans les zones de chasse, une équipe du MFFP procède actuellement à une recherche quinquennale visant à colliger des statistiques fiables.
Le projet Dynamique de populations de l'ours noir dans un contexte de changements climatiques et d'aménagement forestier est mené simultanément dans quatre régions québécoises sous différentes latitudes, soit en Outaouais, en Mauricie, au Saguenay-Lac-Saint-Jean et en Gaspésie.
Au total, 75 ours, dont 17 en Outaouais, sont munis d'un collier émetteur qui permet de les repérer au mètre près, en tout temps, grâce à la technologie GPS.
Les précieuses révélations de l'ours endormi
Les chercheurs profitent de l'hivernation pour rendre visite à chaque animal. On le pèse, détaille ses mensurations, enregistre la température corporelle, note la saturation, observe le taux de graisse et la dentition. Ces données sont comparées avec celles recueillies sur le même spécimen tout au long de l'étude..
Là, on reprend des mesures qu'on avait prises en juillet. Ça nous permet de voir des courbes de croissance. On prend une mesure de cou puis de la longueur totale. On suit la colonne vertébrale jusqu'à la queue. On regarde si elle n'a pas de dents cassées. Des fois, les dents cassées pourraient faire qu'elle serait moins efficace pour trouver de la nourriture.
explique André Dumont.
Reste à ajuster le collier émetteur autour du cou de l'animal. L'aimant qui le maintient en place est conçu pour se démagnétiser automatiquement, au terme de l'étude.
Après une vingtaine de minutes de prises de données, les techniciens injectent l'antidote à l'ours qui est soigneusement redéposé au fond de sa tanière. L'abri est ensuite recouvert de sapinage et de neige. Le biologiste assure que l'animal n'en conservera aucun souvenir, le printemps venu.
Mieux gérer la population d'ours
Le printemps et l'automne 2018 ont également été des saisons de chasse prodigieuses pour les chasseurs d'ours en Outaouais (aussi appelée zone #10), signe que l'ours était vulnérable, selon le biologiste André Dumont. Près de mille bêtes ont été abattues. Il faut remonter à 1995 pour atteindre un tel nombre de prises.
L'étude actuellement menée par les chercheurs du ministère vise également à mieux gérer la population d'ours.
« Il y a un engouement des chasseurs et des piégeurs pour l'ours noir, dont la viande est délicieuse. C'est pour ça que des projets de recherche comme celui-ci sont d'une grande importance. Ils nous permettent de connaître le taux d'accroissement des populations. Puis on peut savoir jusqu'à quel niveau on peut exploiter l'espèce sans affecter la densité. »
En raison de la chasse et selon le type d’été que nous connaîtrons en 2019, il est probable , selon André Dumont, que l’automne prochain soit plus tranquille en matière de signalements en milieu urbain.