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Pourquoi les Algériens rejettent-ils la feuille de route de Bouteflika?

Manifestation citoyenne à Alger contre un 5e mandat de Bouteflika et le pouvoir en place.

Manifestation citoyenne à Alger contre un 5e mandat de Bouteflika et le pouvoir en place.

Photo : Associated Press / Toufik Doudou

Après près d'un mois d'une mobilisation historique de la population, le président algérien, de retour de sa convalescence helvétique, a annoncé l'abandon de sa candidature pour un 5e mandat et d'autres mesures censées rassurer une rue dont le grondement s'accentue, pacifiquement, mais résolument. Cependant, son plan de sortie de crise a été aussitôt battu en brèche et assimilé à une autre fourberie du pouvoir. Éclairage.

Au-delà de la symbolique et passé l'effet d'annonce, la renonciation à un 5e mandat, quand bien même elle est perçue comme une « victoire partielle », ne change rien à la donne aux yeux des contestataires qui revendiquent un changement radical de régime. Ce changement, disent-ils, ne saurait se limiter à quelques replâtrages cosmétiques, fussent-ils à la tête de l'État.

En Algérie, le vocable « pouvoir » renvoie à un noyau de militaires qui, dès l’indépendance en 1962, ont pris les rênes du pays qu’ils gèrent depuis sans partage ni obligation de rendre compte, en l’absence de tout contre-pouvoir. Tapis dans l’ombre, ces « vrais décideurs » sont décrits comme des marionnettistes qui font et défont les présidents, en plus de contrôler tous les rouages de la politique et de l’économie algériennes.

À ce noyau-là sont venus se greffer des « oligarques », une opposition factice, des parlementaires complices, des syndicats bienveillants et des médias complaisants. En somme, une constellation de groupes et d'organisations savamment orchestrée pour servir un pluralisme de façade.

Sous des dehors démocratiques, les institutions algériennes sont, pour ainsi dire, le prolongement de ce même pouvoir, dont l’ancrage est profond et les ramifications, multiples. Les élections, censées consacrer le principe de l’alternance au pouvoir, ne sont, de l’avis des opposants, qu’une « parodie » et une « fraude à grande échelle ».

Abdelaziz Bouteflika, désigné à la tête du pays en 1999, à la fin de la décennie noire algérienne qui avait fait plus de 200 000 morts et des milliers de disparus, ne fait pas exception à la règle. Son règne, qui a coïncidé avec une embellie pétrolière et ses entrées généreuses en dollars, a été marqué notamment par un verrouillage des champs politique et médiatique, mais aussi par une explosion du nombre de scandales de corruption d’envergure.

Méfiant et rompu aux intrigues de palais, il s’est entouré principalement de ses frères, qui jouiraient d’une grande influence et de larges pouvoirs, pour constituer ce que les Algériens appellent une monarchie de fait. Après deux quinquennats et avec la bénédiction de l’armée, cet homme de 82 ans, à la santé chancelante et dont l’ultime caprice serait de mourir sur son trône, a fait sauter le verrou constitutionnel qui limitait à deux le nombre de mandats présidentiels.

Une manifestation d'étudiants algériens contre la prolongation du 4e mandat du président Bouteflika.

Une manifestation d'étudiants algériens contre la prolongation du 4e mandat du président Bouteflika.

Photo : Associated Press / Toufik Doudou

Pas de 5e mandat, mais...

Dans son message à la nation, lundi, Abdelaziz Bouteflika s'est engagé à ne pas se porter candidat pour un 5e mandat, mais il laisse entendre qu’il proroge de facto son mandat actuel, qui arrive normalement à échéance le 26 avril prochain.

La Constitution algérienne, qui n’en est pas à sa première entorse, ne prévoit une telle prorogation qu’en situation de guerre, ce qui est loin d’être le cas actuellement en Algérie. Festives et pacifiques, les manifestations qui ont lieu dans les villes et villages algériens ne présentent aucune menace pour la sécurité du pays.

À défaut d'un 5e mandat, perçu comme une humiliation de trop par les Algériens, Bouteflika envisage de se maintenir au pouvoir sans recourir aux urnes, en rendant son mandat finissant malléable à souhait. Une entreprise « anticonstitutionnelle » aussitôt décriée par la rue et mise à nue dans les réseaux sociaux, où un slogan quelque peu dépoussiéré a fait son apparition : « Non au 4+ ».

L'humour, qui est consubstantiel au mouvement de protestation algérien, s’est occupé du reste. L’irrévérencieux caricaturiste Ali Dilem a résumé ainsi la situation dans le quotidien Liberté : « À la place [d'un 5e mandat de 5 ans], je [Bouteflika] ferai un 4e mandat de 10 ans ».

« Fuite en avant », « diversion », « tentative de gagner du temps », « ultime ruse de Bouteflika », le sursis que s'octroie Bouteflika est largement dénoncé. Dans une vidéo mise en ligne mardi sur sa page Facebook, l’opposant Karim Tabou a parlé de « procédés sournois », de « manœuvre », de tentative de « coup d’État » et de « mesures destinées à casser ce mouvement, cet élan, cette colère citoyenne […] ».

Fait à noter dans la lettre présidentielle : Bouteflika assure qu'il n’a jamais été question pour lui d'un 5e mandat, et ce, après avoir confirmé dans un précédent message qu’il briguait un nouveau quinquennat qu’il s’est engagé à ne pas mener à terme. Assertion d'autant plus curieuse que sa candidature a été formellement déposée par son directeur de campagne auprès du Conseil constitutionnel, comme le veut la loi électorale.

Cet « aveu », si tant est qu’il en soit un, est interprété tantôt comme la preuve de « la prise en otage » d’un président malade par les vrais tenants du pouvoir, tantôt comme le symptôme d’une grande improvisation au sein d’un régime qui panique en l’absence d’un consensus sur la succession de Bouteflika.

Une caricature d'Ali Dilem parue dans le quotidien algérien « Liberté ».

Une caricature de Ali Dilem parue dans le quotidien algérien Liberté

Photo : Liberté

Un gouvernement d’union nationale pour assurer la transition. Vraiment?

Immédiatement après avoir fait part de ses intentions, Bouteflika a annoncé la démission de son premier ministre Ahmed Ouyahia et son remplacement par son ministre de l'Intérieur, Nourredine Bedoui. Ce dernier est secondé par un vice-premier ministre (une première), l’ex-diplomate Ramtane Lamamra, qui reprend également du service aux Affaires étrangères pour, vraisemblablement, sauver les apparences du régime à l’étranger.

En plus de gérer les affaires courantes, ce nouveau gouvernement devrait mettre en place une conférence nationale « inclusive et indépendante » et organiser la prochaine élection présidentielle. Ces chantiers ne sont assortis d’aucun calendrier, ce qui inquiète l’opposition algérienne, qui y voit un stratagème de Bouteflika pour étirer à sa guise son 4e mandat.

Cette annonce se voulait une réponse à la population et à certaines formations politiques qui exigent la formation d'un gouvernement d'union nationale, composé de personnalités crédibles, connues et respectées, dont la mission serait d'assurer une douce transition pendant laquelle une nouvelle constitution serait écrite dans la foulée d’une large concertation, prélude à la tenue de nouvelles élections présidentielles libres et transparentes.

Or, MM. Bedoui et Lamamra sont considérés comme les éléments interchangeables d'une même équipe, celle-là même qui a accompagné le président lors de son controversé 4e mandat et sur laquelle pèsent de lourds soupçons de fraude électorale.

La méfiance des Algériens est d'autant plus grande que le nouveau chef du gouvernement n'est autre que le ministre de l'Intérieur du gouvernement sortant. En Algérie, le ministère de l'Intérieur contrôle notamment la police, mais surtout l'administration locale qui est responsable de l'organisation des élections. C'est ce département régalien qui supervise le dépouillement des bulletins de vote, valide et communique les résultats électoraux.

Militants, citoyens et opposants estiment que l'idée de la transition pour opérer une franche rupture avec le régime actuel est vidée de sa substance, voire dévoyée, dès lors qu'elle est confiée à des hommes de Bouteflika. Ils croient déceler dans cette tactique une velléité du pouvoir en place de contrôler les prochaines échéances et d'imprimer au pays la direction qui lui sied.

« […] Une transition pilotée, gérée et conduite par le système autoritaire décrié et rejeté par le peuple est un ultime mépris à l’intelligence du peuple et aux revendications de la rue », résume la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH) dans un communiqué publié mardi.

Une jeune Algérienne brandit une pancarte dans la rue.

Des milliers d'étudiants ont de nouveau envahi les rues d'Alger pour réclamer le départ du président Abdelaziz Bouteflika.

Photo : AFP/Getty Images / RYAD KRAMDI

La vraie bataille, c’est maintenant

La protestation algérienne est entrée dans une nouvelle phase depuis la dernière sortie de Bouteflika. Les revendications portent moins sur l'étendue du mandat du président pour se focaliser davantage sur le départ de tous les acteurs du « pouvoir réel », comme aimait à le qualifier le défunt opposant Hocine Aït Ahmed. Le face-à-face est désormais direct.

Reste à savoir quelle forme prendra ce bras de fer entre une population déterminée et un pouvoir qui, jusque-là, n’a pas eu recours à la répression, mais a laissé entendre qu’il n’était pas enclin à céder sur l’essentiel.

Peu de temps après la diffusion de la missive présidentielle, des appels à de nouvelles grandes marches ont abondamment fusé. Les réseaux sociaux foisonnent de slogans et autres mots d’ordre pour ce quatrième vendredi de la contestation. Organisée et hautement disciplinée, cette mobilisation citoyenne pourrait prendre d’autres formes et même opter pour une structuration afin de gagner en efficacité.

Il est à se demander également si les forces de l’ordre, qui ont été globalement en retrait, changeront d’attitude à la lumière des derniers développements politiques.

Quoi qu'il en soit, des personnalités qui ont émergé durant ce soulèvement insistent sur le caractère pacifique de la protestation et mettent en garde les manifestants contre d’éventuels dérapages. Cela, avertissent-elles, donnerait des munitions au régime qui prendrait prétexte d’une situation insurrectionnelle afin de décréter des mesures d’exception et justifier ainsi, légalement, le report des élections et la prorogation du 4e mandat.

Plusieurs voix dans l’opposition pensent que le pouvoir, en annonçant des « demi-mesures », tente de diviser la population et, en poussant au pourrissement, cherche à en découdre avec un mouvement citoyen inédit.

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