Des immigrants religieux sont « inquiets » et « anxieux » pour leur avenir au Québec

Des dizaines de travailleurs religieux, toutes religions confondues, tentent de s'installer de manière permanente au Québec, mais ils se heurtent aux politiques d'immigration.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Après le dépôt du projet de loi sur l'immigration, des dizaines de religieux ont peur pour leur avenir dans la province. Provenant de différentes régions du monde, ces frères, sœurs, imams ou rabbins installés au Québec depuis plusieurs années craignent de ne plus répondre aux nouveaux critères de sélection. Ils espèrent une oreille attentive du ministre Simon Jolin-Barrette.
Assise dans le bureau de son avocat, cette religieuse originaire de Madagascar soupire. Vivant à Montréal, dans sa congrégation, depuis une quinzaine d’années, elle ne s’imagine aucunement revenir dans son pays, à moins « d’une demande de [sa] supérieure générale ». Ce qui n’est pas à l’ordre du jour.
« J’aime beaucoup le Québec, c’est ma deuxième vie. J'aimerais beaucoup rester ici et mon institut a besoin de moi », confie-t-elle avec un léger sourire traduisant à la fois sa timidité et l’angoisse qu’elle vit depuis quelques semaines.
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À l’image de cette sœur, qui souhaite conserver son anonymat afin de ne pas mettre de l’avant son histoire, des dizaines de religieux provenant d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et de France vivent les dernières décisions du gouvernement provincial avec crainte.
Début février, elles ont été informées, après le dépôt du projet de loi sur l’immigration, de la suspension du traitement de leur dossier. Malgré le récent jugement de la Cour supérieure forçant le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion (MIDI) à reprendre l’étude de ces documents, l'incertitude demeure.
« Cette situation est inquiétante », résume Me Hugues Langlais, qui défend une quinzaine de ces travailleurs religieux.
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Une procédure complexe
Arrivés au Canada par le biais d’une disposition fédérale (l’article 186 L du Règlement sur l’immigration) permettant aux personnes chargées « d’aider une communauté » de s'installer au pays sans permis de travail, de manière temporaire, ces religieux tentent d’obtenir leur résidence permanente « pour vivre avec moins d’insécurité », décrit Me Langlais.
Avant l’adoption d’Arrima, un nouveau système mis en place l’été passé par le gouvernement libéral et qui a été maintenu par François Legault, un pouvoir discrétionnaire permettait au MIDI d’octroyer un Certificat de sélection du Québec (CSQ) à ces personnes qui ne répondent pas à l’habituelle grille de sélection, dans laquelle le domaine de formation et le niveau d’étude sont notamment privilégiés.
Faisant vœu de pauvreté, ces religieux ne touchent, pour la plupart, aucun salaire et ne peuvent ainsi faire preuve d’un travail rémunéré. Ce qui réduit considérablement leurs chances d'obtenir ce document par cette voie classique de l'immigration économique, fait valoir Me Langlais, qui préside le comité consultatif en droit de l'immigration et de la citoyenneté au Barreau du Québec.
Les critères pour obtenir ce pouvoir discrétionnaire
Selon le dernier Guide des procédures d'immigration, qui détaille les multiples dispositions législatives, le ministre détient un pouvoir discrétionnaire pour accorder un CSQ aux « ministres du culte » ou au « personnel relié à la religion », selon la Loi sur l'immigration au Québec, toujours en vigueur. Ces demandes étaient évaluées « au mérite » et « les candidats visés doivent avoir un profil exceptionnel et avoir l’intention de venir au Québec pour y exercer des fonctions associées exclusivement à la pratique d'une religion », peut-on lire. Ces documents étaient néanmoins requis :
- une lettre de la communauté religieuse;
- un historique des activités de la communauté;
- la preuve des capacités financières de la communauté pour « assumer l'engagement du requérant »;
- la charte de la communauté;
- les diplômes et attestations d'expérience professionnelle du candidat.
Des religieux sans solutions
Alors que l'Assemblée nationale s'apprête à étudier le projet de loi 9 sur l'immigration, qui a déjà soulevé de vives critiques durant les récentes consultations, l'appréhension demeure chez ces religieux, qui craignent de rester dans les limbes parlementaires.
« Cette annonce [de suspendre des milliers de dossiers d'immigration] a suscité chez [ces personnes] les mêmes inquiétudes et anxiétés que chez des milliers d'immigrants au Québec », confirme le frère Louis Cinq-Mars, responsable de l’Ordre des frères mineurs capucins.
Dans sa congrégation, trois personnes, originaires de l'Inde et de Madagascar, « sont directement touchées par cette volonté du gouvernement du Québec d'annuler 18 000 dossiers d'immigration en attente ou de les traiter éventuellement via le programme Arrima », poursuit-il. Deux autres frères mineurs capucins comptaient quant à eux bientôt lancer de telles démarches.
Citant deux exemples de consoeurs en attente d’une décision ministérielle, la responsable des Missionnaires de l’Immaculée-Conception, sœur Michelle Payette, « déplore » quant à elle cette situation.
« On sent que le gouvernement resserre les permis. On sent qu’ils sont plus vigilants, plus craintifs », juge-t-elle.
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Une « compassion » espérée
« Il y a beaucoup de confusion et d’incertitude en ce moment », explique Me David Chalk, qui défend un imam et un rabbin vivant une situation similaire.
Alors qu’Arrima, suspendu jusqu’à l’adoption du projet de loi, sera instauré dans les prochains mois, rien n’indique qu’une solution, pour ces travailleurs religieux, sera trouvée. Le Guide des procédures d'immigration a d'ailleurs été retiré du site du MIDI depuis l'été passé « en raison des nouvelles modalités du Règlement sur l’immigration au Québec », selon ce qui est indiqué sur cette plateforme numérique.
« Avant, nous avions un système bien rodé pour les personnes qui ne se qualifiaient pas dans les grilles de sélection. Ce système n’existe plus et on ne sait pas sur quel pied danser actuellement. On ne sait pas si le système qui a été utilisé pendant de nombreuses années va se poursuivre. La question a été posée, mais nous n’avons pas eu de réponse du ministère », révèle-t-il.
Responsable de la Famille Marie-Jeunesse à Sherbrooke, Solène Garneau se montre pessimiste. « Le risque [avec Arrima], c’est de rester dans ce bassin sans jamais voir la demande être sélectionnée », déplore-t-elle.
« On recherche un peu de flexibilité » et « de la compassion », clame le père Timothy Scott, en interpellant le ministre de l’Immigration.
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Des besoins importants
L’apport de ces religieux au Canada serait indispensable, selon de multiples responsables.
« L’Église catholique au Québec compte de plus en plus sur des prêtres venus d’ailleurs, surtout de l’Afrique francophone et d’Haïti, pour assurer le ministère de prêtre auprès de nos communautés », assure l'archevêque de Gatineau, Mgr Paul-André Durocher.
Un « coup de main » des « ordres religieux et les diocèses de l’extérieur » est nécessaire, ajoute l'ancien président de la Conférence des évêques catholiques du Canada. Il en va de « la survie de nos communautés », reprend sœur Michelle Payette.
« On a besoin de ces personnes pour donner un nouveau souffle à la communauté, ici », ajoute-t-elle.
« Ce sont des gens qui sont aussi importants qu'un ingénieur en aéronautique, mais ils ont une fonction différente. Ils s'occupent de l'humain au lieu d'une machine », décrit Me Langlais, en comparant le rôle de ces religieux à celui « d'aidants naturels ».
Des restrictions pour les religieux temporaires
Présent au Québec depuis 2014, frère Martin, originaire de France, déplore quant à lui le manque de perspectives pour les religieux qui ne peuvent devenir, à terme, résidents permanents.
Comme le spécifie son statut temporaire, il ne peut exercer un emploi ni fréquenter un établissement d’enseignement. Un « problème », dit-il, pour exercer au mieux le rôle social de sa congrégation, les Frères Carmes, basés à Trois-Rivières.
« Ce que nous faisons est assez délicat, avance-t-il. Nous avons besoin d’une formation permanente qui nous est nécessaire pour le travail que nous fournissons. »
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Radio-Canada a tenté d’obtenir, en vain, une explication du MIDI et une réaction de la part du cabinet du ministre Simon Jolin-Barrette.