La reconnaissance des maladies rares piétine au Canada

Le Dr Donald Vinh, du Centre universitaire de santé McGill, se spécialise dans des cas cliniques rares et particuliers.
Photo : Radio-Canada / Thomas Christopherson
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Un médecin québécois qui consacre sa carrière à des patients atteints de maladies rares réclame une stratégie nationale pour faire progresser ce domaine médical qu'il juge négligé au Canada.
Le Dr Donald Vinh, du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), à Montréal, est souvent comparé au Dr House de la populaire télésérie américaine. Comme lui, il résout des cas cliniques particuliers qui ont laissé perplexes les autres médecins avant lui.
« On n’est pas en manque de patients, ça, c’est sûr et certain, lance-t-il. Mais pour aller plus loin, pour suivre un diagnostic, il faut avoir des ressources. »
Le chercheur clinicien du CUSM, qui reçoit des patients de partout au Québec, et même de l’Est canadien, joint sa voix au Regroupement québécois des maladies orphelines (RQMO), qui milite depuis neuf ans pour la cause.
« On n’en fait pas assez ici en termes de maladies rares », déplore la présidente et directrice de l’organisme, Gail Ouellette.
On est le seul pays industrialisé où il n’y a pas officiellement une définition des maladies rares.
Le 28 février est la journée internationale des maladies rares. Au Canada, 1 personne sur 12 en souffrirait, soit environ 3 millions de personnes.
Un groupe de travail québécois sur les maladies rares a été créé à l’automne 2018, alors que Gaétan Barrette était ministre de la Santé.
Ce comité formé d’experts et de représentants du réseau de la santé et du milieu universitaire a été réuni à la suggestion du RQMO, qui en a pourtant été exclu.
Le regroupement a depuis planché sur sa propre stratégie, et a émis une quarantaine de propositions, allant de la formation des médecins à la recherche médicale.
« On ne dit plus comme au début qu’il y a peu ou pas de recherche au Canada. C’est positif, croit Gail Ouellette. La seule chose, c’est que la majorité de cette recherche est financée par des fondations privées. On souhaiterait un cofinancement des organismes subventionnaires gouvernementaux. »
Le Canada à la remorque
Contrairement aux États-Unis et à l’Europe, le Canada accuse un retard en matière de maladies rares, autant sur le plan clinique qu’en recherche, estime Donald Vinh.
« La recherche sur les maladies rares, au Canada ou au Québec, ça ne se compare pas au reste du monde, parce qu’on parle de budgets différents », explique le chercheur.
Aux États-Unis, des centaines de centres de recherche disposent de « millions ou milliards » pour faire avancer la recherche, avance-t-il. L’Europe en fait aussi une priorité, avec des programmes de recherche et des investissements en conséquence. « On n’a pas ça ni au Québec ni au Canada », déplore le Dr Vinh, qui siège au comité créé par Québec.
Outre la recherche, Gail Ouellette croit que le problème réside surtout sur le plan clinique.
« C’est bien beau la recherche, mais, dans le réseau de la santé, il y a des délais de diagnostics, des gens qui ne sont pas pris en charge, rappelle-t-elle. Il y a aussi un manque de formation des médecins et d’informations. »
« Il n’y a même pas d’endroit, de guichet unique, où les médecins peuvent trouver qui est spécialiste de telle maladie pour qu’ils puissent se consulter et collaborer », poursuit-elle.
Errer dans le réseau

Le programme du Dr Vinh se divise en une partie clinique et un laboratoire de recherche au CUSM.
Photo : Radio-Canada / Thomas Christopherson
« Les patients qui arrivent jusqu’à moi sont souvent désespérés, raconte le Dr Vinh. Ils ont eu une odyssée de diagnostics, sans savoir pourquoi ils sont toujours malades. »
On estime qu’il existe entre 6000 et 8000 maladies rares dans le monde, soit une maladie qui touche une personne sur 1500, 2000 ou 2500, en fonction des définitions.
Le Dr Vinh, lui, se consacre aux déficits immunitaires génétiques. On en compte au moins 355, mais la liste « continue de s’agrandir », prend soin de souligner l’infectiologue.
Ses patients souffrent en général d’infections à répétition. Celles-ci sont traitées à la pièce, mais la cause sous-jacente demeure trop souvent ignorée. « Ils sont malades depuis des années avant que quelqu’un ne clique et les envoie à moi. »
Le Dr Vinh blâme notamment le fractionnement du système de santé. « On est tellement surspécialisé qu’on ne se concentre que sur un organe à la fois », illustre-t-il.
Il reconnaît cependant qu’il n’est pas réaliste pour les médecins généralistes de première ligne d’être à l’affût de toutes les maladies. Mais ils devraient à tout le moins, croit-il, savoir où diriger les patients qu’ils soupçonnent d’être atteints d’une maladie rare.
Le problème avec les maladies rares, c’est que c’est un mélange de maladies connues, mais peu reconnues au niveau clinique, et de nouvelles maladies.
Refaire l’historique d’un patient

L'infirmière clinicienne spécialisée Mélanie Langelier travaille avec le Dr Vinh.
Photo : Radio-Canada / Thomas Christopherson
Une fois les patients mis en contact avec le Dr Vinh, celui-ci doit retracer tout leur historique médical.
« Nous, on veut tout savoir, affirme Mélanie Langelier, l’infirmière clinicienne spécialisée qui travaille avec lui. C’est important éventuellement pour l’établissement du profil génotypique. »
« Les déficits immunitaires génétiques peuvent être très variés, explique le Dr Vinh. Ça peut se présenter avec des infections, ou des conditions auto-immunes. Les formes [chez les] adultes peuvent aussi être différentes des formes atteignant les enfants. »
L’une des plus récentes réussites du Dr Vinh est d’avoir diagnostiqué chez un adulte une maladie s’apparentant à celle de l’enfant bulle, un petit garçon dont un déficit immunitaire grave l’avait forcé à vivre dans une bulle stérile dès sa naissance dans les années 70.
Pour en arriver à de tels succès, l’équipe du CUSM procède au séquençage génétique complet de ses patients.

Le Dr Vinh ne travaille pas seul. Il est entouré d'une équipe de jeunes chercheurs.
Photo : Radio-Canada / Thomas Christopherson
L’absence d’une stratégie nationale présente cependant son lot d’embûches.
Des tests génétiques, qui pourraient pourtant être réalisés au Québec, se font à l’extérieur du pays pour trois fois le prix. Et même une fois diagnostiqués, les patients ont difficilement accès aux médicaments requis.
« Il y a souvent des médicaments spécifiques pour ces conditions, explique le Dr Vinh. Il existe des plans pour les traitements dans d’autres pays, mais pas au Canada. »
« Ce qu’on dit souvent, c’est que le coût des traitements pour des maladies orphelines, c’est exorbitant, avance Mélanie Langelier. Moi, ça me fâche, parce qu’on n’hésite jamais à donner de la chimiothérapie à quelqu’un qui a un cancer et ça coûte des dizaines de milliers de dollars par dose. »
Malgré tout, le Dr Vinh poursuit son travail avec un souhait en tête : qu’aucun patient ayant une maladie rare ne reste non diagnostiqué ou non traité. Mais ce n’est pas l’effort d’un seul médecin qui va permettre d’atteindre ce but, « ça, c’est sûr », reconnaît-il, humblement.
J’aimerais réunir notre expertise, nos connaissances, nos ressources pour qu’on puisse amener une réponse. J’aimerais voir une consolidation et une collaboration entre les niveaux gouvernemental et académique pour qu’on puisse arriver à des réponses pour ces patients.
Le Groupe de travail québécois sur les maladies rares s’est réuni une première fois en décembre et doit remettre un rapport très attendu d’ici l’automne, qui devrait prendre la forme d’un plan d’action, selon Québec.