Le ministère de l'Immigration du Québec forcé de reprendre l'étude des dossiers en attente

La réforme présentée par le ministre Simon Jolin-Barrette prévoit d'éliminer 18 000 dossiers d'immigration en attente de traitement.
Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot
La Cour supérieure a émis lundi une injonction interlocutoire provisoire de 10 jours qui forcera le ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion (MIDI) du Québec à poursuivre le traitement de quelque 18 000 dossiers de travailleurs qualifiés en attente, l'empêchant ainsi, pour le moment, de les mettre à la poubelle.
L'Association des avocats et des avocates en droit de l'immigration (AQAADI), à l'origine de la demande d'injonction déposée conjointement avec Seeun Park, une infirmière d'origine coréenne, a remporté une première manche dans sa cause contre le gouvernement.
Se rendant à ses arguments, le juge Frédéric Bachand a estimé que le tribunal devait agir de façon urgente, soulignant que le jugement au stade interlocutoire pourrait prendre « plusieurs mois ».
L'émission d'une injonction est nécessaire « afin d'empêcher qu'un préjudice sérieux ou irréparable ne soit subi durant le déroulement de l'instance », explique-t-il dans une décision de 16 pages. Le magistrat a également jugé que l'AQAADI avait la légitimité nécessaire pour plaider dans ce dossier.
« »
« C’est vraiment aujourd’hui une très belle nouvelle, et une très belle nouvelle pour la société québécoise aussi », a réagi son président, Guillaume Cliche-Rivard, en entrevue à la radio de Radio-Canada. « Vraiment, sur toute la ligne, le juge nous donne raison », s'est-il réjoui.
« On va quand même faire nos représentations quant au projet de loi 9, mais ce qui est certain, c’est que la cour aujourd’hui a ordonné au ministre de reprendre l’étude des demandes de CSQ, de traiter ces demandes-là, et d’émettre des CSQ », a-t-il ajouté.

La Cour supérieure accorde une injonction de 10 jours qui forcera le ministère de l'Immigration du Québec à continuer de traiter des dossiers en attente. Ce dernier prévoyait en annuler 18 000 dans le cadre de sa réforme de l'immigration. Entrevue avec Guillaume Cliche-Rivard, président de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration
Dans un communiqué publié en soirée, le ministre de l'Immigration, Simon Jolin-Barrette, prend acte de la décision de la Cour supérieure et affirme que le gouvernement la respectera.
« Le ministère [...] continuera de traiter et de rendre des décisions relativement aux demandes de Certificat de sélection du Québec dans le cadre du Programme régulier des travailleurs qualifiés d'ici l'adoption du projet de loi », précise-t-il.
« »
Une décision qui donne des munitions à l'opposition
Ce revers judiciaire infligé au gouvernement a nourri les critiques des partis de l’opposition contre la réforme de l’immigration, menée selon eux dans la précipitation.
« Le gouvernement doit faire la seule chose qui s’impose : c’est de traiter l’ensemble des dossiers et le faire le plus rapidement possible, parce que c’est 50 000 personnes qui sont affectées par ça », a commenté la députée libérale Dominique Anglade.
Dans une déclaration transmise à Radio-Canada au nom de la députée Catherine Fournier, le Parti québécois a accusé le gouvernement caquiste d’avoir « agi en véritable bulldozer dans ce dossier ». La formation propose de traiter en priorité « les dossiers des candidats déjà installés au Québec, qui parlent déjà français et qui occupent présentement un emploi ».
« La cour reconnaît que le gouvernement était dans l’illégalité, et ce, depuis le début : le ministère n’a pas le droit d’arrêter de traiter 18 000 dossiers », a pour sa part réagi le député de Québec solidaire, Andrés Fontecilla.
Le sort de milliers de candidats à l'immigration dans la balance
L'AQAADI conteste la légalité de la décision du gouvernement, qui entend éliminer les milliers de dossiers d’immigration non traités dans le cadre de la réforme prévue dans le projet de loi 9. Cela causerait un préjudice grave à des milliers de personnes, plaide-t-elle.
L'association argue que les dossiers en attente devraient être soumis à la loi présentement en vigueur et non à un projet de loi qui n'est pas encore adopté.
À cela, le gouvernement réplique que la loi confère au ministre de l'Immigration le pouvoir discrétionnaire de poser un tel geste.
Le projet de loi, présenté le 7 février, prévoit spécifiquement de mettre un terme à toute demande présentée au MIDI avant le 2 août 2018 dans le cadre du Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ) géré par Québec, et pour laquelle il n’a pas encore rendu de décision. Cette date correspond à l'entrée en vigueur d'un nouveau système de traitement de demandes, Arrima.
Les avocats en immigration demandent que les 18 139 dossiers en attente – qui concernent au moins 50 000 personnes – soient traités en priorité par le gouvernement plutôt qu'éliminés.
Dans un premier temps, près d'une centaine de membres de l'AQAADI ont tenté d'infléchir la position du gouvernement par un règlement à l'amiable, envoyant une lettre au ministre Jolin-Barrette il y a une dizaine de jours.
L'Association du Barreau canadien, qui représente plus de 35 000 juristes au pays, a joint sa voix à celle de l’AQAADI, estimant que la suspension des dossiers en attente était illégale et nuisait de surcroît à l'image du Québec.
Les trois partis d'opposition ont pour leur part unanimement dénoncé l'injustice du projet de loi.
La durée de 10 jours représentant la limite d'une injonction provisoire, les parties reviendront devant la Cour la semaine prochaine. La nature des procédures à venir reste à déterminer.
Le gouvernement pourrait faire appel, mais cette situation est plutôt rare. L'AQAADI s'attend plutôt à ce que la Cour prolonge l'injonction provisoire et fixe une date pour l'audition d'une demande d'injonction interlocutoire.
Avec des informations de La Presse canadienne