L’écart orgasmique, un fossé à combler pour l’égalité au lit

Seulement 65% des femmes hétérosexuelles atteignent toujours l'orgasme contre 95% des hommes (Archives of Sexual Behavior).
Photo : iStock / Milkos
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les femmes hétérosexuelles jouissent moins que leur partenaire. Plusieurs travaux ont démontré ce phénomène décrit comme « l'écart orgasmique ». Comment combler ce fossé des plaisirs?
Une étude publiée en 2017 dans la revue scientifique Archives of Sexual Behavior arrive à la conclusion que seulement 65 % des femmes atteignent toujours l’orgasme lors d’une relation sexuelle contre 95 % des hommes.
Selon Léa Séguin, doctorante en sexologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), l’inégalité en ce qui concerne le plaisir est perçue comme normale, ce qui contribue à ne pas aborder la question.
D’emblée, on priorise le plaisir masculin. Il faut que l’homme ait joui pour que ça compte comme une relation sexuelle. Si la femme n’est pas venue et que l’homme oui, on l’accepte très facilement.
La clé de l’orgasme féminin : le clitoris
Léa Séguin a observé que la pénétration vaginale trône dans le lit des couples hétérosexuels. La stimulation clitoridienne, pourtant la clé du plaisir féminin, reste au banc des préliminaires.
On priorise et on idéalise la pénétration vaginale comme activité sexuelle. Toutes les autres sont vues comme des préliminaires, qui viennent avant le plat principal. Malheureusement, la pénétration vaginale, ce n’est pas quelque chose qui va venir directement stimuler le clitoris.
Sara Hébert, coéditrice de la publication Caresses magiques, croit que la sexualité féminine est mal comprise.

L'auteure, animatrice, éditrice et traductrice Sara Hébert
Photo : Radio-Canada / Hamza Abouelouafaa
Selon elle, l’acte sexuel n’est pas linéaire, mais plutôt circulaire. Les préliminaires peuvent être le plat principal pour certaines.
Je dis toujours à mes partenaires que, pour moi, une relation sexuelle, ce n’est pas une entrée, un plat principal et un dessert. C’est plutôt des tapas.
À la recherche de son plaisir
Lori Malépart-Traversy a réalisé le court-métrage d’animation Le clitoris en 2016, quand elle étudiait à l’Université Concordia. Attirée par les sujets féministes, elle a découvert de l’information en ligne sur l’organe féminin qu’est le clitoris.
J’ai réalisé que je ne savais presque rien du clitoris. J’ai trouvé ça fou de réaliser ça à 24 ans.
Quelques millions de vues plus tard, son court film lui a appris que cette méconnaissance reste très répandue.
Sara Hébert encourage quant à elle les femmes à découvrir leur corps, notamment grâce à la masturbation. Ainsi, elles feront de leur plaisir une priorité simplement parce qu’elles le méritent.
C’est un travail de s’épanouir et de s’aimer plus. On a une faible estime de nous et on peut penser qu’on ne mérite pas d’être pleinement satisfaites. Lorsqu’on refuse d’être seulement un objet de désir, on réclame l’importance de notre plaisir. Là, on est dans une relation de bienveillance.
Pour elle, la communication reste la voie à emprunter pour avoir une vie sexuelle épanouie.
« C’est délicat. Dans les ébats, on a envie de se laisser aller. On n’a pas envie de parler, parce qu’[on a peur de] refroidir certaines personnes. On va avoir la chance de refaire l’amour des centaines de fois. Ça vaut la peine de briser la magie pour expliquer les choses, puis ensuite ce sera mieux. » - Sara Hébert
L’orgasme, une affaire d’hommes
Léa Séguin estime que l’écart orgasmique s’explique aussi par une méconnaissance du plaisir féminin. La croyance selon laquelle les femmes retirent leur satisfaction seulement de l’intimité et du lien amoureux persiste, note-t-elle.
On ne considère pas que le plaisir sexuel chez la femme est nécessairement inné. Ce n’est pas quelque chose qui est naturel à la féminité ni nécessaire à la satisfaction sexuelle [de la femme]. Alors que pour les hommes, c’est naturel et ça va de soi.
Elle explique que cette honte entourant le plaisir féminin empêche des femmes d’affirmer leur désir. Elles ont peur d’être jugées par leur partenaire et préfèrent se taire à courir le risque d’être rejetées.
« L’un des plus grands facteurs qui explique l’écart, c’est la honte que les femmes ressentent face à leur corps, à leur vulve. Dès qu’on est jeunes, on est découragées de se toucher. Les garçons ont un rapport très différent [à leur corps]. » - Sara Hébert
Léa Séguin note que la socialisation des femmes insuffle chez elles l’obligation d’être discrètes et obéissantes.

Léa Séguin, doctorante en sexologie, Université du Québec à Montréal
Photo : Radio-Canada
« Quand une femme demande un acte sexuel de son partenaire comme un cunnilingus qui n’implique pas de plaisir physique pour lui, c’est complètement égoïste. Et beaucoup de femmes ne se sentent pas à l’aise à le demander. » - Léa Séguin
Plein écran sur le plaisir féminin
Selon la réalisatrice Lori Malépart-Traversy, la représentation honnête et réaliste du plaisir féminin à l’écran est encore très marginale.
Dans le cinéma, des couples qui font l’amour, ça se passe rapidement. Il y a pénétration puis les partenaires jouissent tout de suite. Cette image persiste dans la vraie vie. On a cette idée-là qu’une relation sexuelle, ce n’est que la pénétration. C’est seulement la pénétration vaginale et c’est comme ça que la femme jouit.
Mme Séguin remarque une absence du discours prônant le plaisir féminin avant l’âge adulte. Elle explique que les cours d’éducation à la sexualité effleurent l’anatomie du sexe féminin et n’abordent pas la fonction du clitoris, sauf pour identifier sa position.
« Ça joue sur les tabous. Les filles vont explorer leur corps plus tard que les garçons. Elles vont connaître plus tard ce dont elles ont besoin. » - Léa Séguin