Vivre et combattre la corruption en Haïti

Désillusionnée, Béatrice continue d’installer ses bacs de poissons dehors, en plein soleil.
Photo : Radio-Canada / Christine Tremblay
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le mot corruption évoque souvent de grandes magouilles, des transactions douteuses dans des paradis fiscaux. On imagine les mallettes qui circulent de main en main, dans un monde auquel on n'a pas accès, loin de notre univers, de notre quotidien. Mais pas pour Béatrice Pierre, une marchande de poissons à Port-au-Prince.
Un texte de Laurence Martin, envoyée spéciale à Port-au-Prince
Béatrice est installée sous son parasol, au bord de la route, entourée de vieux congélateurs rouillés et de quelques tas de déchets. Les mouches bourdonnent au-dessus de ses poissons de moins en moins frais.
Son bonnet rose sur la tête, elle surveille les voitures qui foncent à vive allure, à deux doigts de sa chaise.
« J’ai déjà vu des clients et des marchands se faire frapper ici, juste devant », raconte-t-elle.

Béatrice pèse le poisson d’une cliente.
Photo : Radio-Canada / Christine Tremblay
Béatrice aimerait mieux travailler à l’abri, loin de la grande route. C’est même ce que le gouvernement lui avait promis. Un beau marché aux poissons tout neuf, fermé, protégé.
Sauf que la construction de l’édifice n’a jamais été terminée. Désillusionnée, Béatrice continue d’installer ses bacs de poissons dehors, en plein soleil, devant l’édifice inachevé.

Béatrice aimerait mieux travailler à l’abri, loin de la grande route. C’est même ce que le gouvernement lui avait promis. Un beau marché aux poissons tout neuf, fermé, protégé.
Photo : Radio-Canada / Christine Tremblay
Ce marché, ce n’est qu’un exemple de la corruption en Haïti. Pas très loin, sur la même route, deux autres chantiers ont été abandonnés : un viaduc et un hôpital.
Tous ces projets devaient être financés par l’argent de PetroCaribe, un fonds d’aide mis en place par le Venezuela – à l’époque où le pays avait de l’argent – pour aider au développement d’autres pays du Sud.
Haïti a reçu près de 4 milliards de dollars de PetroCaribe. Mais aujourd'hui, on se demande bien où est passé tout cet argent.
Malversations, trafic d’influence, pots-de-vin : la Cour supérieure des comptes a déjà donné des indices dans un rapport explosif, publié fin janvier.
PetroCaribe, il n'y a pas eu vol. Il y a eu pillage. C'est comme des pirates qui attaquent en pleine mer un bateau. Ils ont tout volé. Et ça ne fait qu’augmenter la misère qui existe déjà.
Ceux qui défient la corruption

Une femme marche devant l’un des slogans du mouvement de lutte contre la corruption #PetroCaribeChallenge : « Nou Pap Dòmi », qui signifie « nous n’allons pas dormir » et plutôt rester mobilisés.
Photo : Radio-Canada / Christine Tremblay
La corruption en Haïti a commencé bien avant le scandale de PetroCaribe. Mais aujourd’hui, les Haïtiens se sentent de plus en plus plus libres de dénoncer le gaspillage de fonds publics.
C’est ce que croit Gilbert Mirambeau Jr, un cinéaste haïtien devenu militant il y a quelques mois. En août dernier, il demandait sur Twitter « où est passé l’argent de PetroCaribe? » Sa photo a enflammé les réseaux sociaux.

Avec cette photo, qu’il a publiée sur Twitter et qui a été partagée des milliers de fois, Gilbert Mirambeau Jr. a déclenché un mouvement de protestation. On peut y lire en créole « Où est passé l’argent du PetroCaribe », ce fonds d’aide prêté par le Venezuela à Haïti. L’argent qui devait servir au développement du pays a été en partie mal géré, selon un rapport récent.
Photo : Twitter / Gilbert Mirambeau Jr
Il y a eu Duvalier, on a eu peur et on se cachait. Il y a eu Aristide, la même chose. Mais là, on est à un tournant, un carrefour où on peut dire quelque chose. Il n'y a plus de répression, il n'y a plus d'assassinats.
Malgré le calme apparent qui règne dans les rues, Gilbert Mirambeau Jr insiste : les Haïtiens doivent maintenir la pression sur les élites politiques pour changer les choses.
« On a une responsabilité, conclut-il. Sinon les gars, les parlementaires... ils vont continuer à faire la même chose. »