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Envoyé spécial

Des enquêtes publiques : voilà la réponse américaine aux abus sexuels par des prêtres

Un homme tient un chapelet entre ses mains durant la prière, à l'Église. Une croix pend à son cou.

En Illinois, la procureure générale de l’État, Lisa Madigan, a lancé son enquête sur les allégations d'abus sexuels par des membres du diocèse l'été dernier.

Photo : Reuters / John Gress

Dans une quinzaine d'États, des enquêtes publiques sur les agressions sexuelles commises par des prêtres sont en cours. L'exemple américain sera d'ailleurs au cœur du sommet convoqué par le pape François, qui s'ouvre jeudi au Vatican. Voici le cas de l'Illinois.

Larry Antonsen a été servant de messe et membre de la chorale de son église. Il a côtoyé des prêtres pendant toute sa jeunesse : au primaire, au secondaire, dans des équipes sportives.

« À l’époque, les prêtres me semblaient être des bons gars, des gens normaux, mais plus maintenant. » C’est à 15 ans que Larry va comprendre que les prêtres de son entourage n’étaient pas tous des « bons gars ».

Assis, Larry Antonsen.

Larry Antonsen

Photo : Radio-Canada

Un jour, son professeur de latin et de religion, un homme avec qui il s’entendait très bien, décide de l’emmener seul, dans sa voiture, au camp des frères augustins, au bord d’un lac, à quelques heures de route de Chicago. Il était déjà allé à cet endroit avec d’autres élèves.

Ce voyage lui paraissait tout à fait normal. À la fin de la journée, le prêtre-enseignant lui propose de dormir dans la région et de rentrer le lendemain. Larry ne se méfie pas. L’adulte lui offre de boire de l’alcool. Beaucoup d’alcool.

« J’étais au lit, sur le point de m’endormir, et j’ai senti tout à coup sa main qui se glissait dans mon caleçon. Et là, j’ai complètement figé. Je ne savais pas quoi faire. Après, il a pris ma main et l’a mise sur lui, raconte-t-il. J’ai paniqué. J’étais terrifié. Je me suis levé et je me suis sauvé. »

Coincé à 200 kilomètres de chez lui, le jeune Larry décide donc de rester debout, dans un coin de la chambre de motel, aux aguets, toute la nuit.

Le prêtre étant trop ivre pour conduire, c'est finalement l'adolescent qui prend le volant, avec son permis d'apprenti, pour les ramener tous les deux, au petit matin, à Chicago.

Larry raconte qu’il a ensuite complètement effacé cette histoire de son cerveau pendant... 45 ans. Entre-temps, il était devenu alcoolique et avait connu de fortes dépressions qui lui donnaient envie de mourir.

À 60 ans, Larry Antonsen a cherché à obtenir justice, mais le clergé lui a fermé la porte. « Ils m’ont offert de couvrir les frais de deux ans de thérapie. Pour moi, c’était comme si on me frappait au visage. Et je n’ai jamais eu de nouvelles d’eux depuis », souligne-t-il.

Se regrouper et réclamer des enquêtes

Larry a ensuite découvert qu’il n’était pas seul et que des milliers d’autres enfants et adolescents avaient aussi été abusés sexuellement dans la région de Chicago. Il a commencé à assister aux rencontres organisées par SNAP, un réseau national d’aide aux victimes d’abus de prêtres.

Gros plan sur Zach Hiner.

Zach Hiner est le directeur national de SNAP.

Photo : Radio-Canada

Aux États-Unis, la pression exercée par les organisations de ce type a forcé les autorités publiques à mener des enquêtes judiciaires à travers le pays, comme le dit le directeur national de SNAP (Survivors network of those abused by priests), Zach Hiner. « La seule façon d’aller au fond de ces histoires, dit-il, de comprendre ce qui s’est passé et de prévenir les récidives, c’est de mettre sur pied de véritables enquêtes gouvernementales. »

L’exemple de la Pennsylvanie, où une vaste enquête a été menée de 2016 à 2018, a agi comme un déclencheur. Plus de 300 prêtres catholiques qui ont agressé plus de 1000 enfants dans cet État seulement ont été identifiés.

« SNAP a toujours réclamé la tenue d'enquêtes publiques, précise Zach Hiner. Mais depuis qu’une enquête devant un tribunal spécial a eu lieu en Pennsylvanie, nous réclamons que les procureurs généraux de chaque État américain fassent de même. » À ce jour, 16 d’entre eux ont commencé à le faire.

De 150 à 700 prêtres visés 

En Illinois, l'ex-procureure générale de l’État, Lisa Madigan, a lancé son enquête l'été dernier.

« Au moment où nous avons débuté l’enquête, les noms d’environ 150 prêtres et membres du clergé catholique qui avaient pris part à des activités sexuelles illégales avaient déjà été divulgués, explique-t-elle. Nos recherches dans les archives des presbytères de toutes les paroisses de l’Illinois nous ont permis de découvrir en quelques mois que c’est plutôt 700 prêtres qui avaient fait l’objet de plaintes pour abus sexuel ».

Dans son bureau, Lisa Madigan.

Lisa Madigan est la procureure générale de l’État de l'Illinois.

Photo : Radio-Canada

L’enquête lancée par Lisa Madigan démontre également que le clergé a tout fait pour camoufler ces abus sur des mineurs.

Les évêques fermaient les yeux lorsqu’un prêtre faisait l’objet d’une première plainte. Ou encore si le prêtre avait démissionné. Pas d’enquête non plus si le prêtre était décédé ou s’il avait quitté le pays.

On ne menait aucune enquête si la victime refusait de collaborer avec le clergé ou si elle souhaitait conserver son anonymat.

« Il y a avait donc des centaines de cas d’abus pour lesquels il n’y avait eu aucune enquête », précise Lisa Madigan. 

L’État de l’Illinois est en train de préparer la suite des choses. Des accusations formelles devant la justice devraient être déposées prochainement.

Malgré tout, un grand nombre des cas d’abus sexuels de prêtres, commis en Illinois ou ailleurs, ne seront jamais traduits en justice parce que les auteurs de ces abus sont aujourd’hui décédés.

Les enfants victimes, aujourd’hui adultes, demandent des réformes fondamentales aux membres du clergé qui vont se réunir au Vatican.

Un message pour le pape François

Peter Isely, le fondateur de l’organisme ECA (Ending Clergy Abuse), une autre organisation américaine de défense de victimes de prêtres, fait partie d’un groupe restreint de personnes invitées à participer au sommet du Vatican qui s’ouvre jeudi.

Dehors, Peter Isely.

Peter Isely est le fondateur de l’organisme ECA.

Photo : Radio-Canada

Pour lui, le clergé, qui s’est montré si tolérant envers les prêtres abuseurs, représente une sorte d’organisation criminelle, rien de moins, puisqu’il a permis que ces crimes se répètent pendant des décennies à travers le monde entier.

Il sait déjà ce qu’il va dire au pape François et aux présidents des conférences épiscopales : « Nous demandons la tolérance zéro pour tout acte sexuel commis sur un mineur, y compris pour les évêques et les cardinaux qui ont camouflé ces actes. Qu’ils soient expulsés de l’Église. C’est criminel, un point c’est tout. Ça devrait être une loi canonique écrite, poursuit M. Isely. Et puis, l’Église devrait rendre publics les noms de ces personnes coupables. Le pape a le pouvoir de faire tout ça. »

Larry Antonsen de Chicago abonde : « Les prêtres coupables sont parfois exclus de leur paroisse, mais ils continuent à recevoir leur salaire et leurs avantages sociaux. Ce n’est pas juste. Ils devraient aller en prison. Ils ont détruit la vie d’enfants, ils devraient payer pour ça ».

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