Donald Trump déclare une urgence nationale pour construire son mur

Trump a évoqué une « invasion » pour justifier la construction du mur.
Photo : Reuters / Carlos Barria
- François Messier
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le président américain Donald Trump décrète l'urgence nationale pour obtenir des fonds afin de construire son mur à la frontière avec le Mexique. Il justifie cette mesure exceptionnelle par une « invasion » de drogues, de gangs criminels et de migrants illégaux qu'il dit vouloir combattre.
La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et le leader de la minorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, ont fait savoir, avant même que M. Trump n'ait terminé sa conférence de presse, qu'il s'agit là d'un « coup violent » porté à la Constitution et qu'ils contesteront sa décision devant les tribunaux.
L'affaire ne surprendra guère M. Trump, qui a lui-même prédit ce scénario lors de sa conférence de presse devant la Maison-Blanche. Le président a dit s'attendre à ce que le litige se transporte devant la Cour d'appel du 9e circuit, à San Francisco, qu'il a déjà critiqué dans le passé.
« Nous allons avoir un autre mauvais jugement, puis un autre mauvais jugement, et ça va se terminer devant la Cour suprême », a-t-il commenté. Le plus haut tribunal du pays nous offrira un « traitement équitable », et « je crois que nous allons gagner », a-t-il ajouté, en soulignant qu'il s'agissait là du sort subi par son décret sur les interdictions de séjour.
Je pourrais construire le mur sur une plus longue période de temps. Je n’avais pas besoin de faire ça [déclarer l’urgence nationale], mais je préfère le construire plus rapidement.
L'annonce du président américain survient après qu'il a perdu un bras de fer contre Nancy Pelosi au sujet du financement du gouvernement américain, qui a entraîné une paralysie partielle de l'administration pendant plus d'un mois.
Donald Trump, qui réclamait 5,7 milliards de dollars américains pour la construction de son mur avec le Mexique, a finalement dû se contenter d'une somme moindre de 1,375 milliard pour financer la construction de 88,5 km de « nouvelles barrières physiques ».
Le président n'a pas confirmé vendredi qu'il signera la loi approuvée par le Congrès, mais sa porte-parole avait indiqué jeudi qu'il allait le faire.
Selon la Maison-Blanche, la proclamation d'une urgence nationale permettra au président d'obtenir 8,1 milliards de dollars pour la construction du mur. L'argent proviendrait à la fois des départements de la Défense et de la Sécurité intérieure, et du Trésor.
La situation actuelle à la frontière sud se traduit par une crise sécuritaire et humanitaire qui menace les intérêts fondamentaux de la sécurité nationale et constitue une urgence nationale.
Elle fait valoir en outre que les prédécesseurs du président ont évoqué une telle urgence nationale à 60 reprises depuis que le National Emergencies Act a été adopté par le Congrès en 1976, entre autres pour combattre des problèmes à la frontière américano-mexicaine, et que plusieurs de ces urgences sont toujours en vigueur.
Le président a rabroué lors de sa conférence de presse un journaliste qui soulignait que les statistiques fédérales officielles contredisaient ses affirmations, selon lesquelles de plus en plus de migrants illégaux et de trafiquants de drogues franchissent la frontière, ou que la violence est en hausse. M. Trump a indiqué qu'il avait ses propres statistiques.

La frontière entre le Mexique et les États-Unis s'étend sur environ 3000 kilomètres. Des tronçons de mur couvrent environ 965 kilomètres à l'heure actuelle.
Photo : Reuters / Carlos Garcia Rawlins
Les démocrates aux barricades
La Maison-Blanche ayant télégraphié le geste du président en annonçant jeudi qu'il allait déclarer une urgence nationale, Mme Pelosi et M. Schumer ont immédiatement annoncé dans un communiqué qu'ils allaient contester cette décision par tous les moyens possibles au Congrès, devant les tribunaux et dans l'espace public.
« La déclaration illégale du président au sujet d'une crise qui n'existe pas porte un coup violent à notre Constitution et rend notre pays moins sûr, en volant des fonds dont la défense a urgemment besoin pour la sécurité de notre armée et de notre pays », ont-ils écrit.
« Il s'agit clairement d'un coup de force par un président déçu qui agit en dehors de la loi pour obtenir ce qu'il n'a pu obtenir par le processus législatif prévu par la Constitution, ajoutent-ils. Les gestes du président violent clairement le pouvoir de dépenser exclusif du Congrès, que nos pères fondateurs ont enchâssé dans la Constitution. »
Le président n'est pas au-dessus de la loi. Le Congrès ne peut pas laisser le président déchirer la Constitution.
Les deux démocrates les plus influents du Congrès ajoutent que les pères fondateurs ont investi le Congrès du pouvoir de limiter les excès du pouvoir exécutif, soit la présidence, afin de préserver l'équilibre des pouvoirs qui est à la base du système démocratique des États-Unis. Ils demandent à leurs collègues républicains de se joindre à cette lutte.
La procureure générale de l'État de New York, Letitia James, a aussi fait savoir qu'elle saisira la justice dans cette affaire. « Nous ne permettrons pas cet abus de pouvoir, et nous allons nous battre avec tous les outils juridiques à notre disposition », a-t-elle annoncé dans un communiqué.
« La Californie vous donne rendez-vous devant la justice », a lancé de son côté le gouverneur démocrate de la Californie, Gavin Newsom.

La plus longue paralysie de l’État de l'histoire des États-Unis a été provoquée par l’exigence du président Donald Trump d’obtenir le financement pour construire un mur à la frontière mexicaine.
Photo : Getty Images / Scott Olson
Des républicains entre l'arbre et l'écorce
La contestation de la décision du président pourrait passer par l'adoption, par la Chambre des représentants, d'une résolution de désapprobation, une mesure prévue dans le National Emergencies Act pour contester la proclamation d'une urgence nationale.
Une telle résolution doit d'abord être approuvée par la Chambre des représentants, ce qui devrait n'être qu'une formalité puisque les démocrates y sont majoritaires. Son adoption forcerait automatiquement le Sénat à se prononcer à son tour. Une majorité simple de 50 + 1 voix serait alors nécessaire pour qu'elle soit approuvée.
Cela risque de ne pas mettre fin au débat pour autant, puisque le président aurait alors la possibilité d'y soumettre son veto présidentiel. Le Sénat pourrait ensuite annuler ce veto, mais cela nécessiterait un vote aux deux tiers, un seuil beaucoup plus difficile à obtenir.
À l'heure actuelle, les républicains détiennent 53 des 100 sièges du Sénat.
Cette situation risque de placer les élus républicains devant un dilemme. Plusieurs d'entre eux ont publiquement exprimé un certain malaise devant l'approche du président. Certains craignent notamment qu'un futur président démocrate n'utilise la même approche pour prendre une décision concernant le contrôle des armes à feu, les changements climatiques ou l'assurance maladie.
Le sénateur républicain Marco Rubio a par exemple écrit jeudi soir sur Twitter qu'« aucune crise ne justifie qu'on viole la Constitution », tandis que son collègue John Cornyn a fait savoir que la proclamation de l'urgence nationale « n'est pas une solution pratique, parce qu'elle sera immédiatement contestée en justice et que l'argent sera immobilisé du fait de cette procédure ».
La sénatrice républicaine Susan Collins a pour sa part avancé que la décision du président ne respectait pas l'esprit du National Emergencies Act. « Ce doit être un moyen de répondre à des événements catastrophiques, comme une attaque ou un désastre naturel majeur », a-t-elle déclaré jeudi.
Des professeurs de droit, dont Jonathan Turley, de l'Université George Washington, et William Banks, de l'Université Syracuse, avancent pour leur part que le recours à cette procédure pourrait nuire à la contestation judiciaire attendue. Si le Congrès refuse au bout du compte de contester l'autorité du président, les tribunaux pourraient se montrer hésitants à trancher un débat politique.
Avec les informations de Associated Press, Washington Post et Reuters
- François Messier