Survente de sièges : Air Canada ne dit pas tout à ses clients

Un Boeing 777 d'Air Canada, sur le tarmac de l'aéroport Heathrow, à Londres.
Photo : Radio-Canada / Bernard Barbeau
Les employés au comptoir d'Air Canada dans les aéroports enverraient aux portes d'embarquement des clients dont ils savent pourtant qu'ils n'ont pas de siège sur le vol prévu en raison d'une survente de billets, selon des témoignages recueillis par l'équipe d'enquête de CBC News.
Selon un ancien agent du service à la clientèle devenu aujourd'hui agent formateur pour le transporteur, la politique d’Air Canada obligerait ses employés à ne pas prévenir les voyageurs, dès leur arrivée au comptoir, qu’ils risquent de ne pas avoir de place dans l'avion.
Air Canada demanderait plutôt à ses employés de diriger malgré tout les passagers vers la porte d'embarquement, où ils n'apprendront qu'à la dernière minute qu'il n'y a pas de place pour eux dans l'appareil.
« Ce n'est jamais amusant d'avoir à mentir aux gens, de les duper », a déclaré un ancien agent du service à la clientèle, qui a travaillé au comptoir d'enregistrement d'Air Canada à l'aéroport international de Vancouver pendant plusieurs mois, avant de démissionner il y a un peu plus d'un an.
La survente est une pratique répandue dans l’industrie de l’aviation. Elle consiste à vendre plus de billets qu’il n'y a de places disponibles dans l’avion afin de compenser le nombre de voyageurs qui ne se présentent finalement pas à l'aéroport.
Cette pratique est autorisée au Canada et ne vise que les voyageurs qui n’ont pas payé pour réserver leur siège au préalable ou qui profitent des aubaines de dernière minute.
Or, Air Canada manquerait de transparence dans son application, selon un agent de services à la clientèle qui est aujourd’hui devenu formateur à Air Canada.
« J’explique aux nouveaux agents qu’ils ne pourront gérer des confrontations toute la journée au comptoir », raconte le formateur qui a lui aussi requis l’anonymat.
« Je leur dis : "Si quelqu'un a les lettres GTE [pour Gate] sur sa carte d'embarquement, cela signifie qu'il n'a pas de siège. Mais si tu leur expliques ça, ils vont s'énerver. Alors, envoyez-les à la porte d’embarquement." », dit-il.
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Le jour où il s’est entretenu avec l’équipe de CBC, il a dit avoir dirigé des dizaines de clients d'Air Canada vers une porte d’embarquement en sachant pertinemment qu'ils n'avaient pas de siège.
Son ex-collègue de la billetterie de Vancouver avait aussi été clairement prévenu, lors de sa formation, de ne pas informer les clients au comptoir d'enregistrement qu'il n'y avait pas de place pour eux dans l'appareil.
Il affirme avoir quitté son emploi parce qu’il n’en pouvait plus d’induire des clients en erreur toute la journée.
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L’homme raconte par exemple l'histoire des membres d''une famille enthousiastes de voler pour la première fois. Mais à leur arrivée, leurs cartes d'embarquement n'avaient pas de place assignée.
« Je me sentais mal à l'aise, mais j'ai dû dire qu'ils allaient faire un bon voyage et les pousser jusqu'à la porte d’embarquement », relate l’ex-agent du service à la clientèle.
« Ils n’ont jamais embarqué. C'était le dernier vol de la journée », se rappelle-t-il.
Selon l'ancien agent d'Air Canada qui s'est entretenu avec CBC, la façon de s'assurer d'avoir bel et bien un siège dans un avion est de se connecter au site Internet d'Air Canada 24 heures avant le vol pour réserver son siège ou encore de payer des frais pour la sélection des places au moment de l'achat de votre billet.
Air Canada affirme agir dans les règles
Interrogée par l’équipe d’enquête de CBC sur ses politiques en cas de survente, Air Canada a refusé d’accorder une entrevue au micro ou à la caméra.
Le transporteur a cependant réagi dans un courriel où la porte-parole de l’entreprise, Angela Mah, a rejeté plusieurs de ces allégations.
« La survente de billets représente moins de 1 % des réservations. », écrit Mme Mah, qui précise qu’Air Canada a transporté 51 millions de passagers l’an dernier.
Or, même si 1 % de 51 millions représente tout de même 510 000 billets vendus en trop, seulement une fraction de ces billets survendus entraînent un refus d’embarquement, précise-t-elle. Elle affirme par ailleurs que plusieurs millions de clients par année ne se présentent pas à l’embarquement.
La survente est « une pratique courante chez de nombreuses compagnies aériennes du réseau international pour s'assurer que le nombre maximal de sièges est atteint sur un vol »,dit-elle.
Qui plus est, « la survente est bénéfique pour les clients en maintenant des tarifs bas et en permettant aux compagnies aériennes d'exploiter des routes moins fréquentées. »
La clientèle d'affaires d'abord
Pour Fred Lazar, analyste de l'industrie du transport aérien et professeur agrégé d'économie à la Schulich School of Business de l'Université York, une bonne partie des problèmes de survente s’explique par le fait qu'Air Canada se concentre sur la clientèle d’affaires du pays.
Cette clientèle d’élite, qui voyage beaucoup, exige un réseau international de vols étendu et paie souvent des tarifs très élevés pour pouvoir modifier un vol à la dernière minute.
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Les passagers les plus susceptibles d'être supplantés ou expulsés d’un vol sont selon lui ceux qui voyagent peu souvent et en classe économique.
Compensations monétaires
Les passagers qui sont expulsés d’un vol ont néanmoins des recours. Les compagnies aériennes doivent en effet chercher des volontaires pour renoncer à leur siège avant de refuser l'embarquement de quiconque sur un avion.
Les passagers qui sont involontairement expulsés ou privés de leur vol ont droit, en vertu des règles en vigueur, à une indemnisation pouvant atteindre 1350 $ selon la compagnie aérienne, la destination et la durée du retard.