Venezuela : une crise intérieure devenue internationale

Le président du Venezuela, Nicolas Maduro, pendant une rencontre avec des soldats sur une base militaire de Caracas, le 30 janvier 2019.
Photo : Reuters
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
À la base, le drame vénézuélien est une crise fondamentalement intérieure, propre à un pays : l'épuisement d'un modèle socioéconomique « socialiste », le caractère dictatorial de moins en moins caché du régime issu d'Hugo Chavez (président de 1999 à 2013), une classe dirigeante prédatrice et corrompue, une opposition qui oscille entre révolte et abattement, un peuple littéralement affamé...
Une analyse de François Brousseau
Avec la proclamation, le 23 janvier par une opposition sortie de sa torpeur, d’un président « alternatif » – Juan Guaido – issu de l’Assemblée nationale, aussitôt reconnu par les États-Unis, le Canada et par la plupart des grands pays d’Amérique latine, l’affaire du Venezuela est devenue une véritable crise régionale.
En y ajoutant les déclarations de Pékin et de Moscou qui ont suivi dans les 24 heures (mais aussi celles d’Ankara et de Téhéran), à l’appui du président « officiel » Nicolas Maduro, la crise prenait soudain une dimension diplomatique mondiale, soufflant des relents de guerre froide en plein 21e siècle.
Un retour au 20e siècle?
La guerre froide, c’était l’affrontement entre les États-Unis et l’Union soviétique, la division du monde en deux « camps ». Avec les zones d’influence des deux superpuissances : notamment l’Europe de l’Est « prisonnière » du système soviétique de 1945 à 1989, et l’Amérique latine, « chasse gardée » des États-Unis (à l’exception de Cuba), lieu de plusieurs interventions armées (dont une bonne partie, il est vrai, antérieures à la guerre froide).
Entre le Guatemala (plusieurs fois), le Chili (1973) et la Grenade (1983), c’est par dizaines qu’on peut compter les interventions américaines en Amérique latine, directes ou indirectes, aux 19e et 20e siècles.
Au cours des derniers jours, Donald Trump, avec ses seconds Mike Pompeo (secrétaire d’État) et John Bolton (conseiller à la sécurité), a multiplié les déclarations en faveur de l’opposition vénézuélienne et a annoncé des mesures de rétorsion contre le régime de Caracas.
Par exemple, le gouvernement américain a gelé les comptes aux États-Unis et les actifs de la PDVSA, la compagnie nationale du pétrole. Il a déclaré qu'il allait détourner le produit de nouvelles ventes sur un compte qui ne sera accessible qu’après que lacompagnie sera sous le contrôle de M. Guaido ou d'un gouvernement élu.
« La liberté arrive! » « Toutes les options sont sur la table! » a lancé le « tweeteur en chef ». La deuxième déclaration évoque quelques souvenirs vilains dans cette région du monde.
Un des arguments obsessionnels dans la bouche du chaviste assiégé Nicolas Maduro, c’est que ses opposants sont des « vendus à l’impérialisme ». Et qu’il faut, au nom de la souveraineté et de la patrie, soutenir le pouvoir en place. Cet argument patriotique fonctionnait encore assez fort à l’époque d’Hugo Chavez, mort il y a bientôt six ans, mais qu’en est-il aujourd’hui?
Eh bien aujourd’hui, c’est un argument qui ne fonctionne plus tellement. Les estomacs vides et un régime oppresseur peuvent affaiblir la fibre patriotique.

Le président américain Donald Trump à la Maison-Blanche
Photo : Reuters / Jim Young
Une alliance objective avec les soutiens internationaux
Au pays même, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue afin de manifester contre le régime Maduro. Fait nouveau : des gens des classes populaires ont pris la rue.
Et ce n’est pas fini. En parallèle, les appuis internationaux se sont multipliés pour former une sorte d’alliance objective avec les militants de l’opposition.
Les États-Unis, le Canada, mais aussi l’Europe et surtout les grands pays environnants d’Amérique latine (Brésil, Argentine, Chili, Colombie, etc.) roulent désormais pour le « président autodésigné » Juan Guaido.
Dans la région, les exceptions ne sont pas nombreuses : la Bolivie, le Nicaragua, Cuba bien entendu (le « grand frère ») et aussi le Mexique (avec des nuances) continuent de soutenir le régime chaviste.
On peut donc parler d’un véritable mouvement international en faveur de l’opposition vénézuélienne, devenue – par une opération qui reste pour l’instant théorique – le « gouvernement provisoire légitime reconnu ». Le mouvement social au pays s’allie donc aux pressions diplomatiques et internationales. Mieux : il les sollicite et compte sur elles.
Cependant, si des manifestations et quelques pressions étrangères suffisaient – à elles seules – à faire tomber un président, Nicolas Maduro serait déjà parti en avion à destination de Cuba. Ce n’est manifestement pas le cas, du moins pas encore.
Le régime chaviste s’accroche, il a encore avec lui la haute hiérarchie de l’armée... sans compter qu’il a aussi ses propres appuis internationaux.
Même s’ils sont géographiquement très éloignés, la Russie et la Chine ont beaucoup d’intérêts au Venezuela, où ils ont investi, ces dernières années, des dizaines de milliards de dollars.
Ce ne sont pas des investissements « productifs » au sens classique : on sait trop bien que l’économie vénézuélienne, y compris le secteur pétrolier, est en chute libre, et que ce pays est un trou sans fond de corruption et de misère, avec une mafia au pouvoir qui accapare les rares profits qui restent.
Mais c’est un régime que Pékin et Moscou sauvent du naufrage complet, pour ce qui concerne, en tout cas, le maintien de l’actuelle classe dirigeante… y compris pour sa sécurité physique! Ainsi, une milice privée russe aurait été dépêchée pour la protection de Maduro et de son entourage.
L’idée n’est certes pas d’avoir au Venezuela des « retours rapides sur investissements », au sens financier, mais plutôt, un bon ancrage géostratégique, dans ce qu’on appelait au 20e siècle « l’arrière-cour des Américains ». Avec, dans le cas de la Russie, une coopération militaire Moscou-Caracas.

Le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue vénézuélien, Nicolas Maduro, lors d'une rencontre le 5 décembre 2018 à la résidence d'État de Novo-Ogaryovo, à l'extérieur de Moscou, en Russie
Photo : Reuters / Maxim Shemetov
Une demande d’intervention… mais laquelle?
Le souvenir de l’impérialisme américain dans cette région du monde ne doit pas être déterminant, lorsqu’il s’agit de voir ce qui se passe vraiment à l’intérieur du Venezuela. Ou de juger l’action de gens qui se révoltent contre un régime classé « à gauche ». Des gens qui, aujourd’hui, demandent désespérément de l’aide à l’international : pour une majorité de Vénézuéliens, le procès du chavisme passe bien avant les « ficelles étrangères »…
Mais à la fin, est-ce que c’est l’international qui va – ou qui pourrait – décider de l’issue de cette crise?
Le seul cas de figure où on peut répondre « oui » à cette question, ce serait une (improbable) intervention militaire massive des États-Unis. Et encore.
Sinon, avec une aide et une sympathie extérieures qui devront être délicatement dosées – entre reconnaissance diplomatique et solidarité économique –, ce sont essentiellement les Vénézuéliens qui devront trouver une issue à l’impasse.
Entre eux, à l’intérieur de leur pays. Avec une société civile mobilisée… et ce qui reste d’institutions viables au Venezuela, précisément en ce catastrophique 20e anniversaire du chavisme au pouvoir.
Vous avez dit l’armée?