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Les migrants, toujours au coeur des préoccupations des Européens

Des migrants devant le navire allemand Sea-Watch

Des migrants devant le navire allemand Sea-Watch

Photo : Reuters / Darrin Zammit Lupi

Le nombre total de migrants ayant traversé la Méditerranée en 2018 est fortement en baisse par rapport aux années précédentes. La question demeure cependant sur le devant de la scène, puisque c'est un thème sur lequel font campagne plusieurs partis pour les élections européennes de 2019.

1. Combien de migrants sont arrivés en Europe en 2018?

Moins de 120 000 personnes ont traversé la Méditerranée en 2018, selon les chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Il s’agit du chiffre le plus bas depuis 2014 et le début de la crise syrienne.

Cette diminution cache cependant des contradictions. S’il y a eu une baisse du nombre d’arrivées en Italie et en Grèce, le nombre de migrants ayant débarqué en Espagne a, quant à lui, augmenté de 131 % entre 2017 et 2018.

La crise des migrants

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Un enfant pleure à la frontière entre la Grèce et la Macédoine.

C’est maintenant par cette route de la Méditerranée occidentale qu’arrivent la plupart des migrants qui tentent de rejoindre l’Europe.

La tendance n’est pas nouvelle : le nombre de migrants qui arrivent en Espagne est en augmentation depuis plusieurs années, mais entre 2017 et 2018 il a littéralement explosé.

L’Espagne est devenue le principal point d’entrée en Europe.

Une citation de Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés

Le plus récent rapport du HCR signale également qu’un nombre croissant de personnes sont mortes en tentant de traverser la Méditerranée. La plupart de ces décès ont eu lieu à la suite du chavirage de bateaux au large des côtes de la Libye. Selon les estimations, 2275 migrants sont morts en mer en 2018, soit une moyenne de six personnes par jour.

Le HCR calcule que, si le nombre total de morts a diminué, le taux de mortalité, lui, a nettement augmenté en 2018, passant de 1 décès pour 269 arrivées en 2015 à 1 pour 51 arrivées en 2018.

« Aujourd'hui, moins de migrants arrivent en Europe [à cause de la fermeture des frontières], mais la conséquence est que ces personnes doivent trouver d'autres moyens pour y arriver, explique Shoshana Fine, chercheure au European Council on Foreign Relations. Elles sont plus dépendantes des passeurs, qui empruntent des chemins moins surveillés et plus dangereux. »

Qui plus est, signale Roberto Forin, coordonnateur au Mixed Migration Centre, à Genève, les décès en Méditerranée ne représentent que la pointe de l’iceberg.

Bien des migrants meurent avant même d’embarquer vers l’Europe, notamment en tentant la traversée du Sahara. « Le passage du désert est un trou noir en ce qui concerne la surveillance des risques courus par les migrants », ajoute-t-il.

Il n’y a pas de données fiables sur la question, mais l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime que pour chaque migrant dont la mort est connue en traversant la Méditerranée, jusqu'à deux sont perdus au désert.


2. Pourquoi ce changement dans les routes?

La route la plus empruntée pendant la crise syrienne était celle de la Méditerranée orientale, qui passe par la Grèce. Plus d’un million de personnes sont passées par là depuis 2015.

Toutefois, ce nombre a diminué significativement depuis l’entente entre l‘UE et la Turquie, en mars 2016, qui prévoit renvoyer vers le territoire turc tous les nouveaux migrants irréguliers en échange d’une importante aide monétaire pour Ankara et de l’accueil en Europe d’un nombre limité de demandeurs d’asile syriens installés en Turquie.

De 57 000 migrants en février 2016, on est passé à 27 000 en mars puis à 3600 en avril. Le nombre d’arrivées mensuelles n’a pas beaucoup augmenté depuis.

Après l’entente avec la Turquie, c’est la route passant par la Méditerranée centrale et l’Italie qui est devenue la plus achalandée, au printemps 2016. L’Italie a aussitôt réagi en signant un accord avec la Libye, d’où partent la plupart des migrants qui échouent sur les côtes italiennes, pour endiguer ce flux.

Des millions d’euros ont été versés au gouvernement libyen pour gérer ses frontières et pour l’aide humanitaire.

Ce plan est dénoncé par les organisations de défense des droits de la personne, qui estiment qu’il ouvre la porte aux exactions envers les migrants, soit de la part des gardes-côtes qui les interceptent en mer ou dans les centres où ils sont détenus en Libye de façon arbitraire.

« L’Europe finance des centres de rétention, où on a documenté des cas de torture et de mauvais traitements de migrants et de réfugiés », relate Shoshana Fine. « C’est très problématique parce qu'on sait très bien qu'il y a des violations des droits de l’homme qui se passent là. »

« Ce qu'on voit avec les politiques d'externalisation, comme ce qu’ont fait l’UE et l’Italie, c'est qu'on pousse les frontières de plus en plus loin », explique Shoshana Fine.

Ainsi, la France et l’Espagne sont très impliquées dans la sécurisation des frontières au Niger, juste au sud de la Libye, un important pays de transit pour les migrants subsahariens. « Ça crée beaucoup de problèmes pour ces migrants, qui sont forcés de prendre d’autres routes », ajoute-t-elle.

On a l'impression que si les migrants meurent en Afrique et pas à côté de l'Europe, ce n’est pas notre responsabilité.

Une citation de Shoshana Fine, chercheure au European Council on Foreign Relations

3. D’où viennent-ils?

La grande majorité des migrants qui arrivent en Europe viennent de l’Afrique et du Moyen-Orient.

Ceux qui passent par la Grèce sont surtout originaires de l’Irak, de l’Afghanistan et de la Syrie, tandis que ceux qui arrivent en Espagne et en Italie proviennent du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne.

L’augmentation du nombre d’arrivées en Espagne et leur diminution ailleurs ne signifie pas nécessairement que la route se soit déplacée, croit Roberto Forin. « C’est encore un peu tôt pour parler d’un transfert d’une route à l’autre, affirme-t-il. Beaucoup de ces mouvements se font sur une base irrégulière. Ce n’est pas si facile pour les réseaux de passeurs de se réorienter. »

En analysant les nationalités des migrants arrivés en Europe, le MMC constate que ce changement de route est avéré pour certains pays d’origine, mais pas pour tous.

Il faudrait plutôt regarder les raisons qui expliquent l’augmentation du nombre de départs du Maroc vers l’Espagne, croit-il, et notamment le rôle des autorités marocaines.

Celles-ci auraient pu décider de relâcher le contrôle des frontières, permettant ainsi à un nombre accru de personnes de rentrer en Europe, tout en se positionnant « en tant que gardiennes de la porte d’entrée de l’UE », croit Roberto Forin, pour obtenir plus de ressources de la part des Européens, comme l’ont fait la Turquie et la Libye dans le passé.


4. L’Afrique est-elle une bombe à retardement, comme le croient certains?

Des migrants secourus en mer Méditerranée

Des migrants secourus en mer Méditerranée

Photo : Reuters / Jon Nazca

Selon les prévisions du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le nombre d’habitants de l’Afrique devrait presque doubler au cours des prochaines décennies, pour atteindre 2,5 milliards de personnes en 2050. Les pays africains, qui souffrent de chômage endémique, devront créer les emplois nécessaires à ces millions de jeunes qui arriveront sur le marché du travail.

En conséquence, plusieurs craignent qu’un grand nombre d’entre eux ne décide de se tourner vers les pays riches, en premier lieu l’Europe, et que le nombre de migrants n’explose au cours des prochaines années.

Mais cette pression migratoire est grandement exagérée, écrit François Héran, sociologue au Collège de France et spécialiste des migrations.

En fait, les Africains émigrent très peu (à peine 2,8 % de la population quitte son pays de naissance) et quand ils le font c’est, dans la grande majorité des cas (70 %), vers d’autres pays de la région, selon les données publiées par M. Héran dans le bulletin de l’Institut national d’études démographiques de France.

Qui plus est, l’attrait de l’Europe pourrait fortement diminuer au cours des prochaines années, estime Roberto Forin, du MMC. « Les migrants et les réfugiés ont tendance à aller dans des pays où ils croient qu’ils pourront se reconstruire une vie, trouver du travail, et cela est sûrement plus facile dans des pays aux économies croissantes. Et aujourd’hui, il y a des pays qui ont une croissance économique bien meilleure que celle de l’Europe », affirme-t-il.

Pourquoi ne pas s’imaginer que d’ici une dizaine d’années beaucoup plus de migrants africains tenteront de se rendre en Chine, en Inde ou ailleurs dans le continent africain?

Une citation de Roberto Forin, coordonnateur au Mixed Migration Centre

5. Quelle réponse du côté de l’Europe?

Des migrants secourus par un bateau de pêcheurs en Méditerranée.

Des migrants secourus par un bateau de pêcheurs en Méditérranée.

Photo : World Press Photo / Mathieu Willcocks

L’UE peine à trouver une politique commune sur l’accueil des migrants. Quand elle avait besoin de main-d’oeuvre, elle les accueillait les bras ouverts, mais la donne a maintenant changé.

« Depuis plusieurs années, l’UE traite les migrants comme une menace ou un problème, soutient Mme Fine. Le discours sécuritaire est devenu très important. » On a institutionnalisé le lien entre la migration, la délinquance et le terrorisme, ajoute-t-elle.

Ce discours sécuritaire est très dangereux. Ce ne sont pas les migrants qui sont menaçants, ce sont les politiques et les discours.

Une citation de Shoshana Fine, chercheure au European Council on Foreign Relations

Ce n’est plus seulement l’extrême-droite qui dépeint ainsi les migrants, affirme-t-elle, même les partis centristes reprennent ce discours. « C'est une performance à court terme, croit Mme Fine, qui a pour seul objectif de remporter des votes. »

« C’est paradoxal de constater qu’en 2018, il y a eu une énorme remontée du discours sur la crise migratoire, alors que le nombre de migrants est en baisse, affirme M. Forin. Cela signifie que ce n’est pas une vraie crise migratoire, mais plutôt une crise politique et de protection, dans la mesure où on n’arrive pas à trouver de solution commune pour protéger même ce nombre très limité de migrants et réfugiés. »

« On a passé des jours à discuter du sort de 47 migrants », souligne-t-il.

Ces 47 migrants sont ceux qui ont été recueillis en mer le 19 janvier par un navire de l'ONG allemande Sea-Watch. Pendant plusieurs jours, l’ONG a tenté de trouver un port d’accueil. Les migrants ont finalement pu débarquer le 31 janvier à Catane, en Italie.

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