Une espèce d'écrevisse envahissante inquiète les biologistes

Le biologiste Jean-François Desroches montre l'écrevisse à taches rouges
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
On entend beaucoup parler ces dernières années d'espèces exotiques envahissantes comme la coccinelle asiatique, l'agrile du frêne et la moule zébrée. Il faut maintenant ajouter à la liste l'écrevisse à taches rouges. Cette envahisseuse venue des États-Unis a commencé à faire des ravages au Québec, et on ne sait pas jusqu'où elle étendra son territoire.
Au bord du lac Brome, en Montérégie, le biologiste Jean-François Desroches est inquiet. Son constat est clair : le lac Brome est envahi par l’écrevisse à taches rouges.
« En 2011, on a constaté la présence de l'écrevisse à taches rouges au lac Brome. […] À certains endroits, en dessous de chaque pierre qu'on levait, il y en avait au moins une, des fois deux ou trois. Ce sont de très fortes densités qu'on ne retrouve pas habituellement chez les écrevisses au Québec », explique Jean-François Desroches.
L’écrevisse à taches rouges est une espèce exotique envahissante qui provient des États-Unis. Ce sont sans doute des pêcheurs qui s’en servaient comme appât qui l’ont transportée jusqu’au lac Brome. Son intrusion en territoire québécois est jugée préoccupante par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.
« La première conséquence qu'on remarque, c'est vraiment qu'elle déloge les écrevisses indigènes. Après quelques années, souvent, les écrevisses indigènes disparaissent complètement puis l'unique espèce [restante], c'est l'écrevisse à taches rouges », poursuit le biologiste du Cégep de Sherbrooke.

La tache rouge est bien visible sur le corps de cet individu.
Photo : Radio-Canada
C’est ce qui est arrivé au lac Brome. L’écrevisse à pinces bleues, l’espèce indigène qui occupait le territoire, a désormais disparu du lac.
[L’écrevisse] à taches rouges est beaucoup plus forte, beaucoup plus agressive et beaucoup plus corpulente. L'écrevisse à pinces bleues ne fait pas le poids vis-à-vis de sa concurrente à taches rouges.
Une situation bientôt incontrôlable?
La préoccupation principale est maintenant de voir l’écrevisse à taches rouges élargir son territoire. La menace est bien réelle, puisque le lac Brome se jette dans la rivière Yamaska et que les biologistes ont déjà commencé à trouver des écrevisses à taches rouges dans ce cours d’eau. La rivière Yamaska s’écoule ensuite jusqu’au Saint-Laurent.
« Le fleuve Saint-Laurent est connecté à plein de rivières, donc on a une voie de colonisation ici qui est quand même assez importante. On peut imaginer que l'écrevisse à taches rouges pourrait envahir le fleuve et beaucoup de cours d'eau au courant des prochaines décennies », dit Jean-François Desroches.
La progression de cette espèce envahissante vers le Saint-Laurent pourrait à terme entraîner la disparition de plusieurs espèces d’écrevisses indigènes du Québec.
« Côté biodiversité, c'est vraiment ça le problème. Le désastre, si on peut dire, ou le potentiel majeur, c'est vraiment la perte de la diversité des espèces. Perdre une espèce, c'est potentiellement toujours dramatique parce qu'on ne peut pas la faire revenir », explique M. Desroches.
Trop tard pour renverser la vapeur?
Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a dépêché une équipe au lac Brome pour déterminer si la nouvelle population d’écrevisses à taches rouges pourrait se propager ailleurs au Québec. Sur place, les biologistes ont pris des échantillons d’eau afin de procéder à un test d'ADN environnemental.

L'équipe du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs prend un échantillon d'eau dans le lac Brome.
Photo : Radio-Canada
« On utilise l'ADN des animaux qui sont dans l'eau pour les détecter […]. Puis c'est avec des techniques de laboratoire qu'on vient détecter le brin d'ADN qui nous intéresse, celui de l'écrevisse à taches rouges. Les données nous permettent [de voir] une présence et une absence de l'espèce dans le milieu. Donc, après ça, on peut tester rapidement n'importe quel plan d'eau pour savoir si l'espèce est présente », explique Olivier Morissette, biologiste au ministère.
Au lac Brome, le mal est fait. L’écrevisse à taches rouges n'est pas près de disparaître.
Les expériences qui ont été tentées ailleurs dans le monde ont démontré que l'effort nécessaire pour éradiquer une population doit être très intensif. Dans un système comme le lac Brome, on parle d'un effort qui est probablement irréaliste.
Pour l’instant, la seule façon d’endiguer la prolifération d’une espèce envahissante comme l’écrevisse à taches rouges, c’est d’éviter d’en transporter d’un plan d’eau à l’autre, croit le biologiste.
« L'écrevisse à taches rouges a été beaucoup utilisée comme appât vivant pour la pêche sportive. Depuis avril 2017, les appâts vivants au Québec sont maintenant illégaux, donc prohibés. C'est une méthode de prévention qui va tendre à diminuer les introductions, mais aussi les transferts de ces espèces-là », souligne Olivier Morissette.

Les écrevisses font partie de la famille des invertébrés, elles ont dix pattes et possèdent un exosquelette.
Photo : Radio-Canada
Un débouché commercial?
Sur le lac Saint-Pierre, Roger Michaud est conscient de la menace qui s’en vient. Comme quatre générations de Michaud avant lui, il exerce le métier de pêcheur commercial sur cette partie du fleuve Saint-Laurent, en amont de Trois-Rivières.

Le pêcheur Roger Painchaud capture quantités de poissons dans ses verveux sur le lac Saint-Pierre.
Photo : Radio-Canada
Dans ses verveux, de longs filets coniques, il capture quantité de poissons comme le crapet-soleil et la barbotte. Il attrape aussi des écrevisses à épines et des écrevisses à pinces bleues, deux espèces indigènes au Québec.
La pêche à l’écrevisse est une pêche dite accidentelle. Durant des années, il n’y a pas eu de marché pour ce crustacé. Mais depuis peu, Roger Michaud et les cinq autres pêcheurs commerciaux du lac Saint-Pierre ont trouvé des acheteurs pour leurs écrevisses. Les nouveaux arrivants, notamment, contribuent à la hausse de la demande au pays, ce qui fait l’affaire des pêcheurs, fait remarquer M. Michaud.
Que va-t-il se produire maintenant que l’écrevisse à taches rouges menace de poursuivre sa migration vers le Saint-Laurent?
Quels seront les impacts ensuite sur les poissons et sur le reste de la chaîne alimentaire. C'est là que le mystère demeure.
« Ça pourrait être bénéfique pour certains poissons. Ça pourrait être néfaste pour certains poissons […]. C'est un peu complexe de savoir l'impact réel, il n'y a pas eu d'études qui ont été faites à ce niveau-là », dit Jean-François Desroches.
Sur son bateau, Roger Michaud reste philosophe devant la possibilité que l’écrevisse à taches rouges remplace les écrevisses indigènes du fleuve Saint-Laurent. Pêcher l’espèce envahissante ou une espèce indigène lui importe peu, finalement.
En autant que je les vende. Une médaille [a] un bon côté et un mauvais côté. Il s'agit de savoir lequel tu veux avoir.
Le reportage de Maxime Poiré et Michel Dumontier a été diffusé à l'émission La semaine verte, à ICI Radio-Canada Télé.