La dirigeante de Huawei a des « arguments forts » à faire valoir, concède l'ambassadeur canadien à Pékin

L'ambassadeur du Canada en Chine, John McCallum, lors d'une rencontre du cabinet fédéral à Sherbrooke, le 16 janvier 2019.
Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei dont l'arrestation à Vancouver, à la demande de Washington, est à l'origine d'un litige diplomatique entre le Canada et la Chine, a de bons arguments à faire valoir contre son extradition aux États-Unis, affirme l'ambassadeur du Canada en Chine.
John McCallum a fait ces commentaires mardi soir, lors d’une rencontre avec des médias canadiens et sino-canadiens à Markham, ville située dans la circonscription fédérale qu’il a représentée pendant de longues années à la Chambre des communes. Il a énuméré trois de ses arguments.
Premièrement, l'implication politique de Donald Trump, qui a fait des commentaires sur son dossier. Deuxièmement, l’aspect extraterritorial de son dossier. Troisièmement, il y a l'aspect des sanctions [américaines] contre l'Iran en jeu dans son dossier. Le Canada n'applique pas ces sanctions.
« Alors, je crois qu’elle [Meng Wanzhou] a des arguments forts à faire valoir devant un juge », a résumé M. McCallum, dans ses remarques préliminaires aux journalistes présents.
Trudeau rappelle les engagements d’Ottawa et joue la neutralité

Le premier ministre Justin Trudeau
Photo : La Presse canadienne / Kayle Neis
Interrogé à ce sujet lors d'une conférence de presse à La Loche, en Saskatchewan, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a refusé d'endosser explicitement les propos de son ambassadeur en Chine.
Nous allons toujours assurer l’application de notre système de droit dans son intégrité, et ça inclut, évidemment, le droit de toute personne de se défendre adéquatement et pleinement devant la justice au Canada.
M. Trudeau a ajouté que cela comprenait « la possibilité pour elle [Meng Wanzhou] de monter une défense forte. Cela fait partie de notre système de justice », a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse à La Loche, en Saskatchewan.
« Inacceptable », dit Andrew Scheer
Le chef du Parti conservateur a déclaré qu'il était « absolument inacceptable » que M. McCallum, un ancien ministre du gouvernement Trudeau avant d'être nommé ambassadeur du Canada à Beijing, s'immisce dans un processus juridique qui se déroule devant un tribunal de la Colombie-Britannique.
« Ce n'est pas quelqu'un qui a une opinion, ou un professeur qui s'exprime. Il est le porte-parole du gouvernement du Canada dans le pays même où la situation se présente. Il s'agit d'un processus indépendant », a déclaré Andrew Scheer dans une entrevue accordée mercredi à l'émission Power & Politics de CBC News.
Si j'étais premier ministre, je congédierais John McCallum.
Pour Erin O'Toole, porte-parole du Parti conservateur en matière d'affaires étrangères, les commentaires de M. McCallum ont été faits après une rencontre avec le premier ministre et son cabinet. Cela soulève des questions « sur l'ingérence politique dans des procédures judiciaires sensibles ».
« Trudeau a-t-il demandé à l'ambassadeur de faire ces déclarations? Les libéraux ont-ils exclu les médias canadiens de la conférence de presse pour limiter l'examen minutieux? Pourquoi l'ambassadeur n'a-t-il pas soulevé ces questions lorsqu'il a rencontré les députés? », s’est encore interrogé M. O'Toole sur Twitter.

Les autorités américaines ont jusqu'à la fin du mois de janvier pour déposer leur demande d'extradition de Meng Wanzhou.
Photo : La Presse canadienne / Darryl Dyck
« Il faudrait demander ça à Donald Trump »
M. McCallum n'a pas hésité à épingler le président américain une seconde fois lorsqu'une journaliste lui a demandé si Ottawa et Washington abusent du traité d'extradition, comme l'allègue Pékin.
« Je ne peux pas parler des motivations des États-Unis. Il faudrait demander ça à Donald Trump ou à quelqu'un du gouvernement américain », a-t-il répondu, avant de réaffirmer que le gouvernement canadien n'avait pas le choix d'arrêter Mme Meng après avoir reçu une requête de la justice américaine.
« En raison du traité, nous devons prendre cette requête au sérieux. Ça ne veut pas dire que nous allons l'extrader, mais nous devons la détenir et il doit y avoir une audience. C'est ce que nous faisons. Et en raison de nos lois, nous n'avons pas d'autre choix », a-t-il dit.
« Le gouvernement chinois peut avoir une opinion différente, et il a droit à son opinion. Je vous donne notre point de vue », a ajouté l'ambassadeur, en précisant que le système canadien préconise la séparation des pouvoirs politiques et judiciaires.
M. McCallum a aussi indiqué lors de cette rencontre que le président chinois Xi Jinping est « très fâché » par l'arrestation de Mme Meng, mais maintient qu'il est encore trop tôt pour que le premier ministre canadien Justin Trudeau s'entretienne avec lui, puisqu'il s'agit de la dernière carte à jouer.
Il soutient lui-même que cette affaire a changé sa vie à Pékin. Il y a eu « la vie avant le 1er décembre », où les relations sino-canadiennes allaient « extrêmement bien », et « la vie après le 1er décembre ».
Le Canada [...] est pris dans une dispute entre les États-Unis et la Chine, la première et la deuxième économie du monde. Nous sommes au milieu. Nous n'avons pas demandé à être là. [...] Nous serions plus heureux si ce n'était jamais arrivé. Mais c'est arrivé, et nous devons gérer ça.

Trois possibilités de dénouement
L'ambassadeur du Canada en Chine soutient que le cas de Mme Meng peut se résoudre de trois façons. La meilleure option du point de vue canadien est que Washington et Pékin concluent une entente permettant de dénouer leur litige commercial.
« Une partie de cette entente pourrait être que les États-Unis ne demandent plus son extradition », a-t-il dit. « Nous espérons que les États-Unis fassent une telle entente, et qu'une partie de l'entente porte sur la libération des deux Canadiens » détenus en Chine, Michael Kovrig et Michael Spavor.
« C'est une option, mais ça relève plus des États-Unis que du Canada », a-t-il convenu.

Michael Kovrig (à gauche) et Michael Spavor (à droite) ont été arrêtés par les autorités chinoises.
Photo : La Presse canadienne/Twitter
Les deux autres options relèvent plutôt des tribunaux : soit Mme Meng est extradée, soit elle est relâchée. Dans les deux cas, cela prendra beaucoup de temps, a prévenu M. McCallum.
Si elle est extradée, « ce ne sera pas un dénouement heureux », a convenu l'ambassadeur canadien. « Et ça prendra des années avant que ça ne se produise, parce qu'elle a le droit d'en appeler jusqu'à la Cour suprême. »
« Elle pourrait être relâchée par un tribunal canadien, a-t-il poursuivi. Mais la décision revient à un juge, et son audience n'aura lieu que dans plusieurs mois. »
J'espère certainement que nous aurons une résolution dans un avenir pas très éloigné, mais c'est quelque chose que ni moi ni le gouvernement canadien ne contrôlons.
Mme Meng de retour en cour le 6 février
La police canadienne a procédé à l'arrestation de Mme Meng à l'aéroport de Vancouver, le 1er décembre, à la demande des autorités américaines, qui réclament son extradition. La justice américaine la soupçonne d'avoir menti à des banques américaines pour permettre à Huawei de contourner des sanctions américaines contre l'Iran.
La fille du fondateur du géant chinois des télécommunications a finalement été libérée, moyennant une caution de 10 millions de dollars, mais elle doit demeurer dans sa résidence de Vancouver et ne peut quitter le Canada, puisqu'elle a dû remettre son passeport.
Elle doit revenir en cour le 6 février afin qu'une date soit déterminée pour la suite des procédures.
L'arrestation de Meng Wanzhou a déclenché la colère de Pékin, qui soutient qu'elle n'a rien à se reprocher, et exige sa libération sous peine de « graves conséquences » pour le Canada.
Deux Canadiens, l’ex-ambassadeur canadien Michael Kovrig et l’homme d’affaires Michael Spavor, ont été arrêtés en Chine par la suite. Ils demeurent détenus, subissent de longs interrogatoires, et les services consulaires qu'ils reçoivent sont limités.
Pékin les soupçonne officiellement d’atteinte à la sécurité de l’État pour des raisons qui n'ont jamais été divulguées, mais plusieurs ex-ambassadeurs canadiens affirment qu’il s’agit d’une mesure de rétorsion du gouvernement chinois.
La justice chinoise a aussi condamné à mort un autre Canadien, Robert Lloyd Schellenberg, pour trafic de stupéfiants. Ce dernier avait écopé d'une peine 15 ans de prison en 2016 devant un tribunal de première instance.