« Tout repartir à zéro » : une « gilet jaune » canadienne se confie
Ils sont spontanément apparus en octobre, à Paris. Depuis, ils n'ont plus quitté l'espace médiatique. Les gilets jaunes sortent, manifestent, dérangent et fascinent aussi bien en France qu'en Belgique, au Liban, en Israël et maintenant au Canada. Mouvement violent et xénophobe ou rassemblement de laissés pour compte? Une « gilet jaune » convaincue se confie.
Un texte de Yasmine Mehdi pour Les malins
Jane Scharf est assez facile à repérer dans un café du centre-ville d'Ottawa, vendredi après-midi. Lunettes ovales noires et épaisses, bracelets de billes multicolores, piercing au nez : plusieurs éléments de son accoutrement attirent l’attention, mais c’est surtout le gilet jaune fluorescent qui capte le regard.
J’ai vu ce qui se passait en France et j’ai été très impressionnée
, explique l’Ottavienne, qui administre une page Facebook regroupant près de 300 gilets jaunes de la capitale. Je pense que ce qui menace [la France] menace aussi notre pays.
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Pendant près d’une heure, Jane, 65 ans, partage sa vision du monde autour d’un café et d’un pudding au chia. Ses revendications, parfois disparates, s’inscrivent toutes en opposition au « nouvel ordre mondial » - une théorie voulant qu’un groupe d’élites secret mène un projet de domination planétaire.
Les gens doivent mettre un gilet jaune pour montrer au gouvernement qu’ils veulent du changement.
Ils ont un contrôle direct sur les populations dans chaque pays
, insiste Jane, convaincue que les politiciens et les médias sont tous « vendus ». Elle affirme fièrement n’écouter ni la télévision ni la radio et s’informer essentiellement sur les réseaux sociaux.
Mais Jane ne fait pas que défendre des théories du complot. L’ex-fonctionnaire déplore aussi la baisse du pouvoir d’achat, la taxe carbone et la politique migratoire du gouvernement Trudeau, en plus de demander plus de transparence aux élus. J’aimerais qu’on reparte à zéro et que les lois soient faites par les citoyens, par voie de référendum
, explique-t-elle.
On dirait qu’on ne peut rien faire et c’est frustrant. C’est sûrement ça qui est à la base de la colère.
Confrontée aux messages violents et xénophobes publiés sur les groupes de gilets jaunes canadiens, la soixantenaire se distance. C’est une minorité
, assure-t-elle. Pour Jane, la colère des gilets jaunes vient d’abord « d’un sentiment d’impuissance ».
Au royaume conspirationniste
Ça ressemble beaucoup à ce qu’on voit un peu partout en Occident sur les réseaux sociaux
, analyse le chroniqueur Jeff Yates, spécialiste de la désinformation en ligne.
Voilà maintenant plusieurs semaines qu’il examine les théories conspirationnistes qui circulent sur le groupe Facebook Yellow Vests Canada, qui a accumulé 100 000 membres depuis sa création en décembre dernier.
On se méfie des institutions au sens général, tant du gouvernement que des banques, que du système de justice, que des médias, que du système médical.
On voit qu'il y a beaucoup de frustration avec le gouvernement Trudeau. On ne se le cachera pas, c'est la cible numéro 1
, indique Jeff Yates. Parmi les autres thèmes récurrents, il y a la contestation de l'immigration, de la taxe carbone et des Nations unies.
On partage des conspirations qui véhiculent que les Nations unies veulent prendre le contrôle du Canada ou nous forcer à changer nos lois sur l'immigration
, rapporte-t-il.
« Une logique partisane », selon certains
Faut-il prendre les gilets jaunes canadiens au sérieux? Le sociologue Raphaël Canet émet quelques bémols et y voit surtout de la récupération politique.
Je le trouve trop lié à une logique partisane, pour le moment
, dit-il. Tout est dans le nombre de personnes qui se mobilisent. S’il y a des mobilisations de plus en plus grandes, il va falloir prendre ça plus au sérieux.
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Pour ce qui est du mouvement français, le sociologue est plus prometteur et n’hésite pas à l’inscrire dans la même mouvance qu’Occupy Wall Street ou que les Indignés. Il y a un sentiment d’injustice, ils sentent qu’ils sont laissés pour compte et qu’il y a un système qui accroît les inégalités.
Un gilet jaune, c’est quoi? C’est quelque chose qui rend visibles les invisibles.
Jane Scharf, elle, compte bien continuer d’arborer son gilet dans les rues de la capitale. Un symbole de rébellion, qui lui permet de se sentir vue.