Assurance maladie grave : « Je me sens comme trompé, arnaqué »

Au Canada, une personne sur deux devrait faire face au cancer au cours de sa vie.
Photo : Getty Images / alvarez
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
L'assurance maladie grave est un produit financier de plus en plus populaire. Ceux qui l'achètent se sentent protégés. Mais quand la maladie frappe, l'argent n'est pas toujours au rendez-vous, comme en témoignent deux personnes à qui nous avons parlé.
Josée Morin aime la clarté, la limpidité et la précision, essentielles à son travail d’optométriste. Femme d’affaires éclairée, elle achète en 2009 une assurance maladie grave, histoire d’avoir l’esprit tranquille financièrement, si par malheur elle tombe malade.
« Si je dois cesser de travailler, je dois protéger mes revenus futurs, explique-t-elle. C'est pour ça que j'ai pris cette assurance. »
Elle débourse 335 $ par mois pour une police d’assurance de 100 000 $ qui couvre 24 maladies, comme la cécité, la crise cardiaque, l’alzheimer ou encore le cancer.
Un cancer pas « assez » grave
Le 27 décembre 2016, Josée Morin découvre une flaque de sang dans la cuvette. Le diagnostic est brutal : elle souffre d’un cancer du rein.
C’était dévastateur. J'ai un cancer qui risque de me faire mourir statistiquement à 30 % ou 40 % en l'espace de cinq ans.

Josée Morin, optométriste
Photo : Radio-Canada / La facture
Malgré la gravité de son cancer, l’ablation de son rein droit et sept mois sans pouvoir travailler, sa compagnie d’assurance refuse de l’indemniser. « Ils m'ont répondu que mon cancer correspondait à la définition d’un petit cancer », raconte Josée Morin.
Pour qu'un assuré soit indemnisé, le cancer doit être invasif, c’est-à-dire qu’il doit envahir les tissus autour de l’organe touché. C’est ce qui est prévu dans le contrat de la Great-West. Or, le cancer de Josée Morin n’a pas envahi les tissus autour de son rein.
Le reportage d’Annie Hudon-Friceau et Christine Campestre est diffusé le 15 janvier à l’émission La facture sur ICI TÉLÉ.
Une crise cardiaque qui n’en est pas une, selon le contrat
Denis Capes est courtier d’assurances. Il vend ce type de produit depuis des années. Il croyait tellement à l’assurance maladie grave qu’il a été l’un des premiers à en contracter une au début de l’an 2000.
Alors qu’il ramasse les feuilles à l’automne 2017, il est terrassé par une crise cardiaque. À sa grande surprise, sa compagnie d’assurance, Manuvie, refuse de l’indemniser.
Je me sens comme trompé, arnaqué. Je me suis senti seul là-dedans. Il y a des fois [où] je me serais assis par terre et j'aurais pleuré.
Malgré cinq heures d’opération à cœur ouvert, la crise cardiaque de Denis Capes n’en est pas une, au sens de sa police. « Son électrocardiogramme n’a pas eu de nouvelles variations », précise l’assureur dans la lettre de refus.

Denis Capes
Photo : Radio-Canada / La facture
« J’avais Manuvie tatouée sur le cœur. On achète le produit, on se croit couvert, la compagnie nous incite à croire qu'on est à l'abri, qu'on a la tranquillité d'esprit. C'est loin d'être vrai », témoigne Denis Capes.
Qu’est-ce que l’assurance maladie grave?
L’assurance maladie grave offre une protection en cas de maladies graves. L'un des avantages de ce produit financier est que la personne admissible reçoit une somme forfaitaire, en un seul versement – par exemple 100 000 $ – dès qu’une maladie couverte par le contrat est diagnostiquée.
Un jargon médical tout sauf clair et limpide
La plupart des compagnies d’assurance offrent différentes protections en cas de maladie grave. Mais la stratégie de vente est souvent la même. On mise d’abord et avant tout sur les émotions et sur la prévalence des maladies graves. Les publicités pullulent de statistiques comme celles-ci : « Près d’une personne sur deux aura un cancer au cours de sa vie », « Toutes les 7 minutes, un Canadien subit une crise cardiaque », « Plus de 500 000 Canadiens souffrent d’un trouble cognitif », etc.
Le problème, c’est qu’on vend le produit en présentant une liste de maladies couvertes par l’assurance, mais le contrat, qui explique en détail les maladies donnant droit à l’indemnisation, n’est en général remis à l’assuré qu’après sa signature. Le client bénéficie d’une période de grâce pour résilier son contrat s’il s’en déclare insatisfait.
Et même avec le contrat en main, on se bute systématiquement à un jargon médical incompréhensible pour le commun des mortels.

Extrait d'un contrat d'assurance maladie grave
Photo : Radio-Canada / La facture
Maladies graves et exclusions
Exemples tirés de différents contrats d’assurance
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« Crise cardiaque (Infarctus du myocarde)
Mort d’une partie du muscle cardiaque à cause d’un apport sanguin inadéquat à cette partie. Le diagnostic doit être posé en fonction de :
i) nouvelles variations électrocardiographiques qui montrent un infarctus du myocarde, et
ii) élévation des enzymes cardiaques »
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« Par un cancer constituant un danger de mort, on entend une tumeur caractérisée par la croissance désordonnée et la prolifération des cellules malignes et l’invasion des tissus. La définition constituant un danger de mort ne comprend pas les formes suivantes de cancer :
- carcinome in situ mélanome malin à une profondeur de 0,75 mm ou moins
- carcinome squameux de la peau non métastasée »
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« Par infection par le VIH contracté au travail, on entend l’infection par le virus de l’immunodéficience acquise (VIH) en conséquence d’une blessure accidentelle survenue dans l’exercice de la profession habituelle de l’assuré et qui a entraîné une exposition à des liquides organiques contaminés par le VIH. »
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« Par maladie d’Alzheimer, on entend une maladie dégénérative et évolutive du cerveau. L’assuré doit manifester une perte de capacité intellectuelle [...] qui entraîne une réduction si importante de son fonctionnement mental et social qu’il a besoin d’un minimum de huit heures de supervision quotidienne. »
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« Chirurgie de l’aorte [...] : aucune prestation n’est payable au titre de la définition du terme “chirurgie de l’aorte” en cas d’angioplastie, d’intervention chirurgicale intra-artérielle ou transcathéter percutané ou d’intervention non chirurgicale. »
Jacqueline Bissonnette, l’avocate de Josée Morin, croit qu’il était impossible pour sa cliente de comprendre la portée de sa police d’assurance lorsqu’elle a signé son contrat.
Ça crée chez les individus ce que moi j'appelle un faux sentiment de sécurité. Les gens, à la lecture de la police, ne peuvent pas voir à quel point cette police est limitée. Pour un assuré qui lit ça, c'est du chinois. À moins d'être médecin.
Pour mieux saisir le niveau de difficulté du vocabulaire des polices d’assurance, La facture a consulté le chirurgien cardiaque Ismail El-Hamamsy à l’Institut de cardiologie de Montréal.
« La difficulté de la chose, c'est que les maladies sont très variables. Donc il faudrait aller voir un cardiologue, il faudrait aller voir un neurologue pour l'alzheimer, il faudrait aller voir un oncologue pour le cancer. Forcément, ça crée beaucoup de confusion », note le chirurgien.
Je pense que monsieur et madame Tout-le-Monde ne peuvent pas comprendre de façon très claire toutes les nuances au sein de chacune des 15 ou 20 maladies qui sont citées dans ces assurances-là.

Le Dr Ismail El-Hamamsy
Photo : Radio-Canada / La facture
Dans le monde médical, par exemple, une crise cardiaque, ça ne veut rien dire. « En tant que médecin, on évite de parler de crise cardiaque, parce qu’encore une fois c'est un terme qui est trop large. Et je pense que le problème est un peu là. C'est peut-être quelque chose qu'il faut corriger de la part des compagnies d'assurance lorsqu'elles vendent leurs polices d'assurance aux patients. Même quand c'est grave au point d'avoir besoin d'une opération chirurgicale à cœur ouvert, on peut ne pas être admissible », observe Ismail El-Hamamsy.
L’avocate de Josée Morin réclame des changements.
Il va falloir à un moment donné [que l’assureur] s'assoie et qu'il parle français pour que l'assuré puisse le comprendre. S'il ne le fait pas, quant à moi, il est responsable des attentes qu'il crée chez son assuré.
Un an après son premier cancer, Josée a pour sa part appris qu’elle en avait un deuxième. Une récidive du premier, cette fois dans la vessie. Mais là encore, ce n’est pas assez grave au sens de sa police d’assurance.
« Je ne peux vivre avec l'idée que d'autres personnes achètent la même assurance et vivent la profonde injustice, le sentiment d'avoir été flouée dans une période où ta vie est en danger », explique-t-elle.
Un courtier d’assurance complètement désabusé
« Je n'ai plus le goût de travailler dans l'assurance. Je ne crois plus aux compagnies d'assurance. Nous autres, on s'est fait utiliser là-dedans, les représentants. Ils savent qu'il y a des problèmes de définitions, des problèmes d’ambiguïtés. Le monde de l'assurance est assis sur des mines [...]. On ne sait pas à quel moment ça va exploser », lance Denis Capes.
La Great-West et Manuvie ont toutes deux refusé de commenter le dossier de leur client.
Il nous a également été impossible d’obtenir le point de vue de l’industrie. Même l’ACCAP, l’organisme qui représente l’ensemble des compagnies d’assurances de personnes, s’est finalement désistée.
Contester une décision
Les clients qui se sentent lésés par une décision de leur compagnie d’assurance à la suite d’une demande d’indemnisation peuvent notamment s’adresser à l’ombudsman des assurances de personnes du Canada (Nouvelle fenêtre) ou encore porter plainte à l’Autorité des marchés financiers (Nouvelle fenêtre) (Québec).