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La Loi sur la protection de la jeunesse a 40 ans : « La DPJ, c'est le dernier arrêt du métro »

Un adolescent aux cheveux coupés très courts à la nuque, vu de profil, presse un téléphone cellulaire sur son oreille.

En 2017-2018, dans la seule région de Montréal, le Directeur de la protection de la jeunesse a pris en charge près de 5000 jeunes après avoir retenu leur signalement.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Un enfant, c'est vulnérable. Quand ses parents ne peuvent ou ne veulent pas le protéger, le Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) intervient en vertu d'une loi qui fête ce mois-ci ses 40 ans. Une loi d'exception qui a fait avancer le Québec, se félicite le juge à la retraite Jacques R. Roy, qui rappelle cependant que la loi ne s'applique qu'en situation exceptionnelle, pour des cas graves : c'est « le dernier arrêt du métro ».

Maltraitance, négligence, abus physiques et sexuels, abandon, troubles graves de comportement... Quand on croit que la sécurité ou le développement d'un enfant est compromis, il est obligatoire de le signaler au DPJ.

Tous, des professionnels de la santé aux voisins, en passant par l'enseignant, l'entraîneur de natation et la parenté, sont astreints à cette obligation.

Et quiconque y contrevient est passible d'amendes allant, dans certains cas exceptionnels, jusqu'à 200 000 $.

Les pouvoirs conférés au DPJ sont si larges qu'ils ont parfois préséance sur le Code civil. Par exemple, lorsqu'il s'agit d'outrepasser les droits des parents pour décider des soins à prodiguer à un enfant ou pour interdire les contacts parents-enfant.

Jacques R. Roy a siégé comme juge notamment en Chambre de la jeunesse et en fin de carrière au Yukon pendant 15 ans. Maintenant à la retraite, il enseigne les tenants et les aboutissants de la Loi sur la protection de la jeunesse à la Faculté de droit de l'Université de Montréal.

Il retrace ici, en 12 questions, l'évolution de cette loi.

Un homme est attablé dans une cafétéria devant des notes et un stylo à la main.
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Jacques R. Roy, juge à la retraite, enseigne à la Faculté de droit de l'Université de Montréal, après avoir siégé pendant quinze ans.

Photo : Radio-Canada / Anne Marie Lecomte

Les cas d'enfants maltraités ou négligés signalés à la Direction de la protection de la jeunesse sont en constante augmentation au Québec. C'est donc dire qu'il y a encore des drames... Est-ce une bonne loi?

Si c’est bon? Certainement que c’est bon! Elle est entrée en vigueur en janvier 1979, mais on aurait pu l'avoir avant. On a perdu trente-cinq ans.

En 1944, le gouvernement d’Adélard Godbout en avait fait une, loi sur la Protection de la jeunesse. Une avancée du tonnerre! Malheureusement, elle n’a jamais été appliquée.

Sinon, il existait une loi, votée en 1951, qui permettait d'amener un jeune exposé à des dangers physiques et moraux devant un juge de la Cour du bien-être social.

Ce dernier siégeait dans son bureau, sans la présence d'avocats et il décidait de façon souveraine et discrétionnaire d'un placement sans durée déterminée.

Ses décisions étaient sans appel.

Est-ce qu'à l'époque, la violence à l'encontre des enfants, la négligence, étaient taboues?

Oui. On pensait que ça n'arrivait que dans les familles pauvres, ce qui est faux. Et on n'avait pas l'expertise pour s'occuper de ces cas-là.

Quand les policiers débusquaient un cas flagrant d'enfant battu, ils faisaient comparaître le parent en Cour criminelle avec les difficultés de preuve que cela comporte. Au final, on n'améliorait pas la condition de l'enfant.

À la fin des années 1960, des pédiatres comme l'Américain Ray Helfer et Gloria Gelu de l'Hôpital Sainte-Justine à Montréal ont mis en lumière la nécessité de détecter et de documenter les cas d'abus et de violence.

Ils voyaient arriver aux urgences des enfants avec des ecchymoses, des fractures et les parents disaient que le petit avait déboulé les escaliers...

Puis, en 1974, un cas alerte l'opinion publique, celui de cet enfant de huit ans que son père avait tenu enfermé dans un placard pendant 45 jours! Tout le Québec était en émoi.

Aussi, en 1975, le ministre de la Justice de l'époque, Jérôme Choquette, fait adopter à toute vapeur une première loi sur la protection des enfants.

M. Choquette avait dit d'ailleurs que « cette nouvelle loi allait à l'encontre de notre tradition juridique du secret professionnel et de la puissance paternelle ».

Qu'entendait-on par puissance paternelle?

Ah! C'est qu'on venait de loin!

Avant la Révolution tranquille, au Québec, il y avait la puissance paternelle, maritale, où on donnait au père – parce qu’il est « le mâle » – une sorte d’autoritarisme. Et où la femme n’avait pas de droits pour ainsi dire. Elle était assujettie à la domination de son mari, et les enfants, à celle du père.

Le Code civil a fini par reconnaître l’autorité parentale, tant celle de la mère que celle du père. Fini la « puissance maritale », avec tout ce que ça comporte de discriminatoire.

Il y avait l’Église catholique aussi?

Évidemment. L’Église exerçait jusqu’à un certain point une tutelle sur les familles. Et elle avait la mainmise sur le réseau d’enseignement et les services sociaux. Tout a été secoué avec la Commission royale d’enquête sur l’enseignement, dite Commission Parent, (Nouvelle fenêtre) qui a mené à la réorganisation en profondeur du système de l’éducation au Québec.

C'est dans cette foulée qu'est entrée en vigueur, en 1979, la Loi sur la protection de la jeunesse qui fait passer les enfants d'« objets » de droit à « sujets » de droit : plus question de décider pour eux sans les consulter.

La Loi a-t-elle changé beaucoup en 40 ans?

D'abord, rappelons qu'il y a 15 mois, l’Assemblée nationale a adopté à l'unanimité de nouvelles modifications à la Loi, notamment pour permettre à la famille d’accueil d’être présente, dans la salle d’audience, pour le dossier de l’enfant que la DPJ lui a confié.

Sinon, citons deux dates charnières : 1984 et 2006.

À partir de 1984, à la suite d’une décision rendue en Cour suprême, les cas de mineurs ayant commis des délits criminels ne sont plus envoyés au DPJ, mais jugés en cour criminelle en vertu de la Loi fédérale sur les jeunes contrevenants.

La même année, la loi est aussi modifiée pour reconnaître que les parents ont la première responsabilité des enfants. C’est le principe de « primauté parentale ».

C'est pour cette raison que le DPJ va d'abord, par des mesures d’encadrement, tenter de protéger l’enfant dans sa famille. Si ça ne fonctionne pas, il le confiera à la famille élargie ou, si c’est impossible, à une famille d’accueil. En dernier ressort, on le placera en centre de réadaptation.

Dans tous les cas, on ne peut ignorer les parents, qui sont étroitement associés au traitement du dossier.

Puis, en 2006, on introduit dans la loi l’importance d’élaborer, pour l’enfant, un projet de vie. On a compris qu’un enfant placé à gauche et à droite devient, ce qu’on appelait à l’époque, un « enfant Téflon ». Il ne veut ni ne peut s’attacher tant il a peur d’être rejeté… une fois de plus.

Le projet de vie, ce peut être le maintien ou le retour dans la famille biologique, ou le placement jusqu’à la majorité dans une famille d’accueil ou une ressource, ou la tutelle, ou l’adoption.

Mais tes parents... ça reste tes parents! Comment savoir ce qui est le mieux pour l'enfant?

Bien avant 2006 j’avais eu, moi, à trancher le cas d’un enfant qui avait été confié à une famille d’accueil quelques jours après sa naissance. J’avais devant moi deux psychiatres. L’un préconisait le maintien de l'enfant dans la famille d'accueil. L’autre disait : « Non! Il faut le réunir avec ses parents biologiques, sinon il va les chercher sa vie durant ».

Dans ce cas-là, j’ai privilégié la famille d’accueil, la parenté psychologique et j'ai fait jurisprudence.

L’attachement, c’est ce qu’un enfant éprouve quand il comprend l’importance de cette figure, toujours la même, qui le réconforte la nuit quand il se réveille et qu’il a peur. C’est important.

Les petits pieds d'un bébé sont photographiés en gros plan; l'enfant se tient entre les jambes d'un adulte vêtu de pantalons noirs et de chaussettes de laine et qui est assis sur le sol. On ne voit pas les visages.
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Pour bien se développer, un enfant a besoin de stabilité relationnelle, affective et physique.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Les nouveaux arrivants connaissent-ils l’existence de la Loi sur la protection de la jeunesse?

Nul n’est censé ignorer la loi. Or, quantité de familles ne la connaissent pas, tant celles nouvellement arrivées que les autres qui sont d’ici! Je me rappelle cet adolescent qui était parti de chez lui depuis un certain temps et qui m’avait dit : « Crisse, j’suis même pas assez important pour que ma mère appelle la police ».

Les valeurs ou les spécificités culturelles, il faut en tenir compte, mais jamais, cependant, aux dépens de l’enfant. On ne doit pas dire : « compte tenu de ce milieu, de cette culture-là, c’est acceptable d’avoir des comportements allant jusqu’au crime d’honneur! » Les raisonnements tels que « ça s’est toujours fait comme ça dans notre pays », c’est non.

Du temps que je siégeais à la Chambre de la jeunesse, j'avais rendu un jugement dans un cas d'enfant battu en écrivant ceci : qu'on soit au Québec depuis 3 ans ou 300 ans, on ne frappe ni ne bat un enfant. L'adage voulant qu'« il ne s'en souviendra plus le jour de ses noces », c'est pas vrai! C'est inscrit en lui.

Et quand il s’agit de religion?

Au niveau du droit, on ne peut contraindre un enfant à adopter les croyances religieuses de ses parents.

Par exemple, le cas d’un parent divorcé qui voulait faire faire des activités de prédication religieuse aux enfants, notamment du porte-à-porte, s’est rendu jusqu’en Cour suprême. Et la Cour a dit non, parce que les enfants ne le voulaient pas.

Mais comment pourrait-on mieux faire connaître cette loi?

Soyons inventifs! En 1975, la loi sur la protection de la jeunesse n’en était qu’à ses premiers balbutiements et, pour la faire connaître, le gouvernement imprimait sur les chèques d’allocation familiale le numéro de téléphone qu’il fallait composer pour faire un signalement.

Les enfants autochtones représentent 7,7 % de tous les enfants au pays, mais ils représentent 52,2 % de tous les enfants âgés de 0 à 14 ans en famille d’accueil. Comment répondre à leurs besoins?

Évidemment que le DPJ tient compte des facteurs culturels des peuples autochtones, mais ça ne fonctionne pas à la perfection.

Un exemple donne espoir toutefois, celui du Conseil de la Nation Atikamekw (CNA), en Mauricie, qui a son propre directeur de la protection de la jeunesse, au même titre que chacune des régions du Québec. C'est un premier pas extrêmement intéressant.

Un adolescent monte les marches d'un escalier à l'extérieur en hiver.
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Un adolescent monte les marches d'un escalier à l'extérieur en hiver.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Pour un juge, quelle est la particularité d’entendre des causes dans le domaine de la protection de la jeunesse?

Le juge ne doit pas se prendre pour un psychologue, non. Mais il doit enlever sa toge jusqu’à un certain point, pour amener les parties à la conciliation quand c’est possible. Il doit avoir des notions de psychologie, de criminologie, de psychiatrie, de sociologie…

La Loi sur la protection de la jeunesse est une loi hybride qui relève des ministères de la Justice et des Affaires sociales. Il y a deux voies après qu'un signalement soit retenu : la première est celle des mesures volontaires, quand les parents reconnaissent le problème et sont aptes à le régler avec l'aide du DPJ. La seconde, et c'est là qu'intervient le juge, est la voie judiciaire, quand les parents et l'enfant font du déni ou sont incapables de remédier au problème avec le DPJ.

Qu’est-ce qu’on devrait faire pour aider encore plus les enfants du Québec?

Les études nous montrent que, depuis le premier regard de l’enfant, tout s’inscrit et s’incruste dans son cerveau. Donc, il faut commencer tôt, avoir des ressources au niveau de la communauté et pas seulement le DPJ. Le DPJ, c’est le dernier arrêt du métro.

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