Que faire des déchets de Moscou, où le recyclage est presque inexistant?

L'une des rares usines de recyclage en banlieue de Moscou
Photo : Radio-Canada / Alexey Sergeev
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Quand je suis arrivée à Moscou, il y a presque six mois, je savais très bien que la Russie avait énormément de retard en ce qui a trait au recyclage et à la gestion des déchets. Je n'avais jamais imaginé à quel point le problème était majeur.
Une des premières questions que j’ai posées au concierge de l'immeuble que j’habite était de m'indiquer où se trouve la chute à déchets. Sa réponse m'a littéralement laissé bouche bée.
« Là, juste en bas », a répondu Alexey, en pointant du doigt la petite poubelle de la rue, qui était déjà pleine à craquer de bouteilles et de cartons.
J’ai vite compris que la réalité de cette mégapole pourtant moderne était désolante, du moins du point de vue d’une Nord-Américaine qui a eu le luxe de vivre dans des villes comme Toronto, Ottawa et Montréal, qui distribuent des bacs à même notre porte et qui assurent la collecte au moins une fois par semaine.
À Moscou, non seulement il n'existe aucun programme de recyclage, mais la gestion des déchets est laissée au hasard et au crime organisé.
Il existe seulement quelques dizaines de centres de tri pour le recyclage, mais encore faut-il les trouver. Ce qui veut dire que pour recycler en bonne et due forme, il faut soit conduire, soit prendre le métro avec ses ordures. Ceux qui prennent la voiture sont par ailleurs confrontés à des embouteillages monstres.
Bref, il faut être drôlement motivé, même en 2019, pour contribuer aux efforts timides des Moscovites.
Des efforts de moins en moins inaperçus
Nous avons eu l’occasion de suivre au mois de décembre les bénévoles de la petite ONG Sphère écologique qui ne propose rien de moins qu’un service gratuit de collecte d’ordures recyclables à domicile.
Igor, un homme dans la quarantaine, nous attendait impatiemment au volant de sa camionnette, à l’entrée d’une tour d'habitation de l’est de Moscou.
Il a à peine pris le temps de nous serrer la main qu’il s’affairait déjà à trier les déchets qu’une femme venait de lui confier pêle-mêle, comme s’il s’agissait d’un petit trésor.
Armé d’un téléphone intelligent et d’un GPS, il reçoit des textos de clients toute la journée. Il arpente les quartiers résidentiels pour aller à leur rencontre.
Il perd toutefois un temps fou dans les embouteillages, mais c’est un moindre mal, selon lui. En fait, si ce n’était le service qu’il offre, plusieurs Russes nous ont confié qu’ils ne recycleraient pas, parce que ça leur demande trop de temps et d’efforts.
« L’État ne fait presque rien pour éduquer les Russes et les sensibiliser », explique Igor, exaspéré, en faisant le tri des dizaines de sacs qui s’accumulent dans sa camionnette.
Il nous a suffi de le suivre quelques heures seulement pour constater à quel point les Russes n’y connaissent rien au recyclage, ne serait-ce que séparer le papier du plastique, un geste qui est devenu pour les Nord-Américains au fil des ans un réflexe quotidien.
Où vont les déchets?
Moscou est une ville avec très peu de relief et de montagnes. Or, si vous conduisez à peine 10 kilomètres vers certaines banlieues, vous serez choqués d’y découvrir d’immenses montagnes artificielles qui sont en fait des décharges puantes et toxiques.
Ce désastre écologique s’est érigé dans la quasi-indifférence du gouvernement russe à défaut d’une politique de gestion des déchets.
C'est dans ces décharges que 90 % des déchets de Moscou aboutissent. Seulement 10 % sont recyclés, selon Greenpeace.
Au printemps dernier, les résidents de ces banlieues sont sortis dans la rue pour demander au gouvernement d’intervenir.
Pour la première fois, de simples citoyens russes exigeaient, pancartes géantes à la main, un programme de recyclage. Les autorités ont calmé le jeu en promettant sous peu un programme public de gestion des déchets. Si le gouvernement envisage des solutions à ces immenses montagnes de déchets, tout indique qu’il choisira l’incinération massive.
Quel avenir pour les petites initiatives?
Les petites compagnies qui contribuent aux efforts de recyclage en Russie, comme celle d’Igor, se multiplient malgré tout depuis les cinq dernières années. Mais il a été assez difficile de convaincre une de ces compagnies de critiquer ouvertement le statu quo.
L’homme d’affaires Evgeniy Bogolubov a toutefois accepté et nous sommes allés le rencontrer en banlieue de Moscou, où il exploite une petite usine de recyclage de plastiques, Plast Ressource. Ses revenus proviennent uniquement des matières traitées, qui sont ensuite revendues.
C’est lui qui reçoit le butin d’Igor, de Sphère écologique, une fois que son camion est plein.
La fierté et l’enthousiasme avec laquelle il nous fait visiter les lieux sont contagieux. Il nous explique rapidement que ce qui était au départ une occasion d’affaires est devenu une vocation.
Sur les murs de son petit bureau sont accrochés les laissez-passer des séminaires auxquels il a assisté dans plusieurs grandes villes d’Europe pour mieux comprendre l’industrie du recyclage, une industrie qui tente de s’imposer en Russie contre vents et marées.
« »
Si les affaires vont bien, Evgeniy s’inquiète de ce que lui réserve l’avenir.
Le gouvernement dévoilera sous peu sa nouvelle politique, mais Evgeniy doute que de petites compagnies vertes comme la sienne soient dans le coup. Aux dernières nouvelles, les autorités ont promis de construire cinq incinérateurs géants, plutôt que de miser temps et argent sur la récupération.
« Il existe un proverbe en Russie qui dit : "Nous avons voulu faire pour le mieux, mais on fait comme d’habitude" », explique ironiquement l’homme d’affaires avant de nous laisser.
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