L'aide fédérale à l'industrie pétrolière remise en question

Mine de sables bitumineux en Alberta
Photo : La Presse canadienne
C'est dans un climat de tension croissante avec l'Alberta que le gouvernement canadien a annoncé, mardi, l'injection de plus de 1,6 milliard de dollars dans l'industrie pétrolière et gazière au pays. Une stratégie décriée par le professeur Pierre-Olivier Pineau, peu enclin à subventionner ce secteur.
L'aide accordée par Ottawa est constituée, en majeure partie, de prêts commerciaux destinés à secourir une industrie mise à mal par la faiblesse des prix du pétrole.
Exportation et Développement Canada (EDC) consacrera un milliard de dollars aux investissements – immobilisation et nouvelles technologies – que feront les sociétés pétrolières. La Banque du développement du Canada (BDC) débloquera 500 millions de dollars sur deux ans pour aider les petites entreprises pétrolières et gazières à surmonter le ralentissement dans leur secteur.
Qualifiant ces nouvelles mesures de « prochaine étape cruciale », le ministre fédéral de la Diversification du commerce international, Jim Carr, a déclaré que le secteur énergétique albertain n'était pas seulement, sur le plan historique, l'épine dorsale de l'économie canadienne, il était aussi « un élément-clé de l'avenir de notre pays ».
Un choix controversé
Pour le professeur Pierre-Olivier Pineau de HEC Montréal, le gouvernement de Justin Trudeau se trouve dans une situation « assez impossible », du fait de la « frustration extrêmement grande » que ressent la province de l'Alberta. « Et le gouvernement doit réagir à ça, dit-il. Et sa manière de réagir a été d’abord d’acheter [le pipeline] Trans Mountain et, ensuite, de donner de l’argent à cette industrie. »
M. Pineau trouve « dommage » qu'Ottawa choisisse d'aider ces entreprises de l'industrie du pétrole et du gaz.
La société ne peut pas se permettre de les subventionner davantage, on pourra le regretter plus tard.
Pierre-Olivier Pineau poursuit en disant qu'Ottawa tente de « sauver » le secteur énergétique, un peu comme il l'a fait avec le secteur de l'automobile. Or, « ce sont des industries qu’il ne faut pas aider », prévient-il.
« Ce qu'il est arrivé cet automne avec la fermeture de l’usine de GM a laissé entendre que le gouvernement fédéral prenait certaines situations plus au sérieux que d’autres, croit de son côté Frédéric Boily, professeur de science politique au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta. Je pense que ce qu'il arrive aujourd’hui découle un peu de ça. On veut montrer au gouvernement fédéral qu’on a un plan d’urgence pour aider une industrie qui est en difficulté. »
Ne pas pénaliser l'industrie pétrolière
Cela dit, Pierre-Olivier Pineau considère que le fédéral n'a pas d'autre choix que de composer avec l'industrie pétrolière albertaine. Car s'il la pénalisait, il ouvrirait la porte à la concurrence étrangère. « Ce pétrole sert un marché, et si ce n’est pas le pétrole canadien, ce sera le pétrole d’ailleurs », résume l'expert.
Ne pas s’opposer à l’industrie pétrolière est la bonne stratégie, parce que ça ne sert à rien de dire non aux producteurs canadiens et de laisser les producteurs étrangers satisfaire une demande.
M. Pineau affirme qu'Ottawa ne doit pas nuire à cette industrie. Faciliter l'existence et l'activité des pipelines, c’est une chose, « mais de là à les subventionner, c'est problématique », nuance-t-il.
Le risque d'encourager l'achat de véhicules énergivores
De l'avis du professeur de HEC Montréal, le problème n'est pas tant du côté de l'industrie pétrolière, mais du côté des consommateurs qui persistent, y compris au Québec, à opter pour de grosses voitures plutôt que des petites, moins énergivores.
« Ils sont prêts à payer plus cher pour des véhicules qui consomment plus d’essence […], affirme M. Pineau. Vous achetez aujourd’hui une Toyota Yaris, une Chevrolet Cruze ou une Honda Fit, vous faites du 7 litres aux 100 km. Mais les consommateurs préfèrent acheter de plus gros véhicules qui font du 9 ou du 10 litres aux 100 km. »
Pierre-Olivier Pineau précise par ailleurs que le pétrole canadien « n’est pas le plus sale sur terre ». La production de pétrole vénézuelien ou encore de pétrole algérien produit plus de gaz à effet de serre que le canadien. « Le Québec importe la majorité de son pétrole de l'Alberta, c’est ce que nous raffinons ici », ajoute-t-il.
Des annonces à remettre dans leur contexte
Ce sont « des mesures qui visent à soutenir l’industrie pétrolière dans cette période difficile, indique pour sa part Frédéric Boily, mais [qui montrent] aussi qu’on a une certaine impatience du côté du gouvernement fédéral et qu’on a entendu les multiples appels de l’Alberta ».
« Ça devrait permettre à Rachel Notley de mieux respirer pour les prochaines semaines », ajoute-t-il, même s'il s'agit de mesures à court terme, « parce que la solution à long terme reste dans l’augmentation de la capacité de transport, donc les pipelines ».
C’est vraiment la question du pipeline Trans Mountain qui représente le but à atteindre.
Le professeur estime également qu'à quelques mois des élections provinciales en Alberta et avec les élections fédérales à l'automne, « ça devait être à l’esprit du gouvernement fédéral d’arriver avec quelque chose pour faire baisser les tensions » à travers le pays.
L'hostilité de certains Albertains envers le Québec s'est notamment fait sentir lundi, lors d'une manifestation propipeline à Calgary, alors que le maire Naheed Nenshi a été accueilli par des huées quand il a voulu prononcer quelques mots en français.
« Le gouvernement fédéral commence peut-être à voir qu’il y a peut-être un mouvement qui risque de devenir incontrôlable », commente-t-il, estimant que ce mouvement pourrait déborder des frontières albertaines.