Le grand retour diplomatique du Canada à Bagdad

Le nouvel ambassadeur du Canada en Irak, Paul Gibbard (à gauche), remet ses lettres de créance à des représentants du gouvernement irakien dans la capitale, Bagdad.
Photo : Gouvernement de l'Irak
Pour la première fois depuis la guerre du Golfe de 1991, le Canada a un ambassadeur entièrement dédié à l'Irak. Paul Gibbard est en poste depuis à peine quelques semaines à Bagdad, ce qui met fin à une longue absence diplomatique qui avait de quoi étonner, vu l'important engagement du Canada dans le pays.
Un texte de Marc Godbout
Paul Gibbard s’installe à Bagdad avec le mandat de combler un immense vide. Pourtant, sa nomination est presque passée inaperçue.
Le Canada a beau avoir une présence militaire en Irak, apporter une importante aide humanitaire et au développement, il aura fallu près de 28 ans avant qu’Ottawa y nomme un ambassadeur en permanence.
Dans sa première entrevue accordée à un média canadien, le diplomate s’exprime sur la nécessité de ce virage. « L’Irak est un pays très complexe. Mon arrivée est une partie importante de notre stratégie d’augmenter l’engagement diplomatique dans la région. »
Et les défis sont énormes dans un pays très fragile, tout juste sorti de quatre années de guerre contre le groupe armé État islamique. Le pays traverse actuellement une période charnière en faisant notamment face à l’immense défi de la reconstruction.
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Pendant des années, l’ambassade d’Amman en Jordanie desservait l’Irak. Mais pour bien des experts, comme Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient et professeur à l'Université d'Ottawa, c’était devenu un sérieux problème. « Le Canada était le seul pays du G8 à ne pas avoir d’ambassadeur résident à Bagdad et ça nuisait à la capacité du Canada de remplir ses objectifs en Irak », explique-t-il.
Un contexte favorable au Canada?
C’est dans la Zone verte ultra sécurisée de la capitale irakienne que se trouve la mission diplomatique canadienne. Elle loge dans l’ambassade de Grande-Bretagne.
En raison des nombreux défis entourant la sécurité, l'aide consulaire aux Canadiens reste limitée, tout comme son personnel. « Pour l’instant, nous avons seulement 6 Canadiens et 8 employés recrutés sur place », explique Paul Gibbard.
Élément non négligeable, l’arrivée de ce diplomate de carrière à Bagdad coïncide avec la formation d’un nouveau gouvernement en Irak.
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Depuis octobre, l’Irak a officiellement un premier ministre et un gouvernement. Le Parlement a finalement accordé sa confiance à Adel Abdel Mahdi. À 76 ans, il est le cinquième premier ministre à prêter serment depuis la chute du dictateur Saddam Hussein en 2003.
Adel Abdel Mahdi est une rare personnalité consensuelle dans un pays pris en étau entre deux puissances ennemies : l’Iran et les États-Unis.
Pour la première fois depuis les élections multipartites de 2005, ce n'est donc pas l'opposition chiite historique à Saddam Hussein qui a été chargée de former le cabinet, mais plutôt des technocrates.
Ce contexte pourrait faciliter la tâche de l’ambassadeur Gibbard. Le Canada se retrouve, selon lui, dans une position privilégiée en ce moment. « Nous n’avons pas, comme peut-être d’autres pays, un précédent de conflits avec l’Irak ou un soutien à différentes factions. »
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Réalité économique, réalité géopolitique
Aux yeux d’Ottawa, Bagdad reste un important partenaire stratégique au Moyen-Orient. L’Irak, qui a une relation très compliquée avec l’Iran, est aussi voisin de la Syrie et de l’Arabie saoudite.
« Au niveau géopolitique, il y a beaucoup de travail à faire pour le Canada, surtout que l’Irak a une économie qui demeure encore peu exploitée », explique Thomas Juneau.
Le pays est aux prises avec un chômage et une pauvreté endémiques, particulièrement dans le sud, même si, en octobre dernier seulement, les recettes pétrolières de l’Irak ont atteint 8,55 milliards de dollars. Le pétrole représente l'unique source de devises de l'Irak et la quasi-totalité de son budget.
Le nouvel ambassadeur canadien insiste : la sécurité, la stabilité et la prospérité passent d’abord par une gouvernance inclusive.
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Le front militaire
Le Canada continue par ailleurs d’évaluer son rôle dans la coalition internationale contre le groupe armé État islamique. Des centaines de soldats canadiens effectuent des vols de transport et de ravitaillement en carburant en plus de fournir une assistance médicale. Le gouvernement Trudeau n’a toujours pas décidé s’il gardera ces troupes après mars 2019.
Entre-temps, le Canada assume le commandement d’une mission d’entraînement de l’OTAN à Bagdad, où il s’est engagé à fournir 250 soldats, jusqu’à l’automne prochain.
Le parcours de Paul Gibbard
- Lieu de naissance : Nacaome, Honduras
- Études : Université de Calgary (anthropologie) et Université d’East Anglia (développement)
- Langues : anglais, français, espagnol et italien
Carrière diplomatique
- Paul Gibbard rejoint le ministère des Affaires étrangères en 1992. Il devient chef de la section de la politique et de l’économie aux ambassades du Costa Rica et de Cuba avant d’être nommé ambassadeur au Venezuela. Après un passage à l'ambassade de Rome, Paul Gibbard devient ambassadeur en Irak.