Un timide retour du français en Nouvelle-Orléans
Les noms français sont omniprésents à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane.
Photo : Radio-Canada / Michel Labrecque
La Nouvelle-Orléans fête ses 300 ans cette année. Autrefois française, elle est devenue espagnole, puis américaine. Depuis quelques années, le français vit une renaissance.
Un texte de Michel Labrecque, à Désautels le dimanche
Quand on débarque pour la première fois dans cette ville, on vit des sentiments mitigés à titre de francophone. Parce que le français est à la fois partout et nulle part.
Il y a tant de noms français : rues, bâtiments, quartiers, familles. Mais on n’entend presque jamais cette langue, qui a été interdite au début du 20e siècle. En 1850, La Nouvelle-Orléans était la deuxième ville française en importance de l’Amérique du Nord.
Le reportage de Michel Labrecque a été diffusé le 9 décembre à l’émission Désautels le dimanche sur ICI PREMIÈRE.
Il y a aujourd’hui un regain francophone dans cette ville. On y trouve cinq écoles francophones ou bilingues. Quelque 1500 élèves étudient en français. C’est trois fois plus qu’il y a 10 ans, et ce nombre continue d’augmenter.
Le Lycée français de La Nouvelle-Orléans est le principal laboratoire de cette poussée, avec 936 élèves répartis sur deux campus. Un lycée vraiment pas comme les autres.
« C’est un établissement qui est très jeune », explique Soazic Pougault, directrice pédagogique de l’école. « Et c’est une école publique; c’est gratuit de venir ici », ajoute-t-elle.
Beaucoup de lycées français à travers le monde sont des écoles privées, destinées d’abord aux expatriés francophones. À La Nouvelle-Orléans, on a opté pour l’école publique. Et la clientèle privilégiée est locale.
Notre objectif est d’avoir 67 % d’élèves qui sont de milieux dits "à risque". Des gens de milieux défavorisés qui ont des moyens limités. Aujourd’hui, nous sommes à près de 50 %.
Le Lycée français a des employés qui font du démarchage dans les communautés noires et latino-américaines pour recruter des élèves.
Mais le programme respecte scrupuleusement les exigences du gouvernement français. « Quand ils gradueront, ils pourront aller dans des universités françaises ou québécoises », dit Mme Pougault. L’immense majorité du personnel enseignant est française.
Le président de l’Alliance française de La Nouvelle-Orléans, Alexandre Vialou, traque tout événement ou publication à saveur francophone à travers son compte Twitter. Il a même donné une tournure locale au récent débat sur le projet d’université francophone en Ontario.
Puisqu’il existe un vol @AirCanada direct entre la #NouvelleOrléans et Toronto, @universiteON deviendrait aussi l’université francophone la plus proche (3h d’ ✈️) pour la communauté francophone de Louisiane! @TeleLouisiane @CGCanDallas https://t.co/wuMyPZ4es1
— Alexandre Vialou (@FrenchSTATnola) 28 novembre 2018
« La francophonie n’est pas très audible, mais elle n’est pas à zéro », soutient M. Vialou.
Parler français à l’extérieur de l’école
Outre les nouvelles écoles d’immersion, il y a de plus en plus de festivals francophones. Il y a aussi une « French library » sur la rue Magazine, une des avenues les plus branchées de la ville.
Et puis le gouvernement local s’est récemment reconnecté à toutes sortes d’organisations francophones.
En 2014, la municipalité a rejoint l’association des maires et mairies francophones. La municipalité a vraiment fait beaucoup d’efforts pour rattacher la ville à plusieurs réseaux francophones.
« Nous sommes là, un peu cachés dans la mauvaise herbe », dit en riant Joseph Dunn, un francophone passionné, Louisianais de souche française maternelle, qui parle un français impeccable.
Le défi maintenant, c’est de créer des espaces sociaux et professionnels pour que ces jeunes qui apprennent le français puissent s’en servir à l’extérieur de l’école.
La touche française en cuisine
Et enfin, la ville reste imprégnée de traditions françaises. La cuisine créole est un mélange unique en Amérique du Nord : influences africaine, antillaise et espagnole, mais avant tout française.
Nous assumons totalement notre héritage français, qu’il s’agisse du meilleur poulet rouge ou des cailles cuites dans la tradition française. Mais nous travaillons avec des ingrédients locaux. Je n’achète rien à plus de 160 km de distance.
Tory Mc Phail est le chef du restaurant le plus prestigieux de La Nouvelle-Orléans, le Commander’s Palace. Il y a aussi les « ancêtres », comme Antoine, Galatoire, Jacques-Imo, et aussi les petits nouveaux comme le Compère Lapin.
Cette « culture » française continue d’imprégner la ville. Jusqu’au président du conseil municipal, Jason Williams, un Afro-Américain anglophone, qui sent lui aussi une connexion avec l’héritage francophone de La Nouvelle-Orléans. « Ça rend notre ville différente et unique, et j’en suis très fier ».
Pas besoin d’être francophone pour assumer sa « francitude ».