Donner ses testicules à la science

Certains virus se cachent dans les testicules, à l'abri du système immunitaire, et y subsistent.
Photo : Radio-Canada
À l'Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill, des scientifiques ont compris comment certains virus échappent au système immunitaire, en se cachant dans les testicules.
Un texte de Dominique Forget, de Découverte
Pour faire ses recherches, l’équipe du Dr Jean-Pierre Routy a créé un partenariat inusité avec le Centre métropolitain de chirurgie, seule clinique de réassignation sexuelle du Canada. On y pratique plus de 400 opérations de changement de sexe par année, majoritairement du sexe masculin vers le sexe féminin.
À ce jour, un peu plus de 110 patientes ont accepté de donner leurs testicules, retirés durant l’opération.
Ces spécimens permettent de réaliser des recherches qui étaient jusqu’à maintenant impossibles.
L’équipe du Dr Routy les dissèque pour comprendre comment fonctionne le système immunitaire à l’intérieur des testicules.
« Les testicules sont un organe clos, un peu comme l'œil ou le cerveau », explique l’hématologue. « Il y a une membrane qui les protège et qui fait qu'ils sont séparés du système immunitaire. On dit qu'ils ont un privilège immunitaire. »
Ce privilège sert à protéger les spermatozoïdes. Quand ils font irruption à l’adolescence, le système immunitaire les perçoit comme des agents étrangers. Et pourtant, le corps ne les attaque pas.
Certains virus, comme le Zika ou l’Ebola, profitent de ce privilège immunitaire. Ils se cachent dans les testicules et y subsistent, bien après avoir disparu du sang ou de la salive. Le Dr Routy a découvert que le VIH utilise la même stratégie.
Il veut maintenant comprendre comment les virus se mettent à l’abri et, surtout, comment les débusquer.
Partenariat unique
Il y a quatre ans, le Dr Routy a approché le Dr Pierre Brassard, qui dirige le Centre de chirurgie métropolitain, pour voir s’il pouvait obtenir une partie des tissus prélevés durant les opérations de changement de sexe.
« J'ai dit : "Certainement, on peut certainement faire ça" », raconte le Dr Brassard. À l'époque, son équipe faisait de quatre à cinq opérations par semaine; c'est maintenant beaucoup plus.
Les patientes nées de sexe masculin, mais qui s’identifient au sexe féminin, sont informées du projet de recherche et la majorité sont d’accord pour y participer, ajoute le Dr Brassard.
Après chaque opération, une petite portion de chaque testicule est prélevée pour être expédiée vers un laboratoire de pathologie. On y fait des analyses de routine. Le reste est déposé dans un contenant stérile et envoyé vers l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill.
Le reportage de Dominique Forget et Geneviève Turcotte est diffusé à Découverte, dimanche, à 18 h 30, à ICI Radio-Canada Télé.
Réveiller le système immunitaire
En analysant les tissus, le Dr Routy a découvert que les cellules immunitaires sont peu nombreuses dans les testicules. Elles sont différentes également de celles qu’on trouve ailleurs dans le corps humain.
C’est le cas des lymphocytes T, ces cellules sentinelles chargées de reconnaître et d’attaquer les intrus. Dans les testicules, ils sont couverts d’une protéine qu’on appelle PD-1. Elle agit comme un interrupteur et endort le système immunitaire. À cause d’elle, les lymphocytes T n’arrivent plus à faire le travail.
« C'est ce même système immunitaire qui se développe autour du cancer, quand la tumeur se développe et que le système immunitaire n'arrive pas à la manger, à la guérir », explique le Dr Routy.
Le chercheur croit qu’en enrayant le mécanisme de la protéine PD-1, on pourrait réveiller le système immunitaire dans les testicules, juste assez longtemps pour combattre les virus qui se cachent à l’intérieur.
Certains médicaments qui bloquent la PD-1 sont déjà utilisés dans les traitements d’immunothérapie contre le cancer. Ils pourraient devenir de précieux alliés dans la lutte contre les virus, dont le VIH.