Le gouvernement Ford « mine l'intégrité » des hauts fonctionnaires indépendants, selon l'opposition

Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford
Photo : La Presse canadienne / Chris Young
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le gouvernement de Doug Ford veut se donner le droit de suspendre la vérificatrice générale, le Directeur général des élections et l'ombudsman par un simple vote en Chambre, « si la suspension est justifiée ». Plusieurs voix s'élèvent pour critiquer la mesure qui selon eux, menace l'indépendance de tous les officiers de l'Assemblée législative.
Un texte de Christian Noël
« C'est une forme implicite d'intimidation », tonne Gord Miller, l'ex-commissaire à l'environnement de l'Ontario. Selon lui, il est inacceptable que le gouvernement conservateur change les règles de la sorte afin de pouvoir suspendre les chiens de garde de la province avec un vote à majorité simple de l'Assemblée législative.
Ce gouvernement utilise déjà sa majorité de façon très agressive et n'hésite pas à insinuer qu'il est insatisfait du travail des officiers de la législature. La menace latente d'une suspension franchit un pas de trop.
Les hauts fonctionnaires indépendants touchés par les nouvelles mesures
- le Directeur général des élections;
- le greffier de l'Assemblée législative;
- la vérificatrice générale;
- l'ombudsman;
- le directeur de la responsabilité financière;
- la commissaire à l'intégrité;
- le commissaire à l'information et la vie privée.
Présentement, la loi dispose que les agents indépendants de l'Assemblée peuvent être embauchés ou renvoyés pour motifs valables par le Conseil des ministres. Cette responsabilité serait transférée à l'ensemble des députés. Le projet de loi ajoute que « l'Assemblée peut suspendre l'officier, si elle estime que la suspension est justifiée ».
Indépendance menacée?
C'est la formulation vague du projet de loi qui soulève l'inquiétude des partis d'opposition.
Quels sont les critères de suspension? Est-ce que ça peut-être parce qu'on pense que la personne n'a pas fait un bon travail, qu'elle est trop critique envers le gouvernement?
Une inquiétude qui est partagée par Geneviève Tellier, professeure de politique à l'Université d'Ottawa, parce qu'elle ouvre la porte à un affaiblissement des institutions démocratiques.
Le gouvernement détenant la majorité pourrait dire à ses députés : “On veut suspendre tel officier, on n'est pas satisfait de son travail”, et on va passer une motion en Chambre pour le suspendre.
Gord Miller, qui est également un ancien candidat du Parti vert, craint les conséquences sur le système politique ontarien. « Le greffier interprète les règles de débat et d'adoption des lois. Le DGE s'assure du bon fonctionnement du système électoral. Si vous compromettez leur position, ça menace l'intégrité même de la démocratie. »
Nathalie Des Rosiers ajoute qu'elle souhaite une clarification de ce qui représente un « motif valable ».
De son côté, le Nouveau parti démocratique croit que la suspension d'un haut fonctionnaire devrait nécessiter à tout le moins l'approbation des deux tiers de la Chambre, pour éviter les abus par un gouvernement majoritaire.
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Des changements nécessaires
Le gouvernement conservateur de Doug Ford indique qu'au contraire, les changements proposés vont améliorer la transparence et la protection des agents de la législature. D'abord parce que maintenant, ce sont tous les députés, et non seulement le Conseil des ministres, qui auront le dernier mot. Ensuite, parce que l'ajout d'une suspension temporaire donne plus de flexibilité aux élus.
La suspension peut être utile si nous avons besoin de temps pour faire enquête sur des actions douteuses ou criminelles qui pourraient entraîner le renvoi d'un haut fonctionnaire indépendant.
La suspension serait nouvelle en Ontario, mais des mesures semblables existent déjà dans six autres provinces, dont l'Alberta et le Nouveau-Brunswick. D'ailleurs, la Colombie-Britannique vient de suspendre avec salaire son greffier et son sergent d'armes, qui font l'objet d'une enquête criminelle par la GRC.
Un effet dissuasif?
Radio-Canada a contacté la majorité des sept hauts fonctionnaires touchés par ces nouvelles mesures. Certains d'entre eux s'interrogent sur la véritable intention du gouvernement Ford. D'autres ont entrepris une vérification interne pour en évaluer l'impact potentiel. D'autres encore croient que ces changements n'auront aucune conséquence sur leur travail.
Ce n'est pas dans la nature de mon rôle de plaire au gouvernement! J'aurai des rapports qui ne feront pas plaisir au parti au pouvoir et je vais les publier quand même.
Le bureau du commissaire à l'information et à la protection de la vie privée répond : « Nous sommes en train d'étudier le projet de loi et d'évaluer les implications potentielles sur notre fonctionnement. Il serait prématuré d'émettre un commentaire. »
Un troisième haut fonctionnaire admet cependant que la possibilité d'une suspension par un gouvernement majoritaire « peut être perçue comme une mise en garde aux hauts fonctionnaires de se surveiller et d'être moins critiques des actions du gouvernement. »
Pour l'ex-commissaire à l'environnement Gord Miller, la simple existence d'une méthode de suspension « peut semer le doute dans la tête de certains hauts fonctionnaires ».
Si je critique trop fort, est-ce que je risque de perdre mon emploi? C'est une hésitation qui ne devrait jamais exister, afin de préserver l'indépendance de leur rôle.
Un des hauts fonctionnaires interrogés par Radio-Canada se réjouit cependant qu'au moins le processus sera ainsi plus transparent. Avant, le Conseil des ministres avait le dernier mot, maintenant, ce sont les députés.
« Si un gouvernement majoritaire se sert de l'Assemblée pour se débarrasser d'un haut fonctionnaire pour une raison frivole, croit-il, ça se fera en public et le parti au pouvoir devra vivre avec les conséquences ».