Laïcité et signes religieux : le gouvernement Legault a l’appui de la population

François Legault, alors qu'il faisait campagne, en septembre dernier.
Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La première session parlementaire de l'ère Legault s'ouvrira mardi à Québec. Les questions touchant la laïcité y trouveront certainement une place de choix, même si le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) ne s'attend à déposer son projet de loi sur les signes religieux qu'au printemps. Radio-Canada a retenu les services de la maison de sondage CROP pour savoir s'il a la population de son côté. La réponse courte : oui.
Un texte de Bernard Barbeau (Nouvelle fenêtre)
« Il y a un consensus au Québec » sur ces questions, a récemment souligné le premier ministre François Legault, en particulier quand on parle d'interdire aux employés de l'État qui se trouvent en situation d'autorité de porter des signes religieux visibles.
Le gouvernement a « sans l’ombre d’un doute » les coudées franches pour aller de l'avant, estime le président de CROP, Alain Giguère.
Cette interdiction, un projet que la CAQ brandit depuis bien avant la campagne électorale, reçoit un aval sans équivoque, même lorsqu'il est question des enseignants.
Près des trois quarts des répondants de CROP se sont dits tout à fait d’accord ou plutôt d’accord avec l’idée d’interdire aux magistrats, aux gardiens de prison et aux enseignants de porter des signes religieux.
En fait, pas moins de 65 % des répondants sont d'accord pour que le gouvernement interdise aux enseignants de porter des signes religieux visibles. Il s'agit d'une proportion inégalée par rapport aux coups de sonde précédents, selon Alain Giguère de CROP.
Le rapport Bouchard-Taylor, publié en 2008, recommandait l'interdiction du port de signes religieux aux juges, aux procureurs de la Couronne, aux policiers, aux gardiens de prison ainsi qu'aux présidents et vice-présidents de l'Assemblée nationale. Le philosophe Charles Taylor, qui avait étudié la question des accommodements consentis aux minorités avec le sociologue Gérard Bouchard, a cependant changé son fusil d'épaule, depuis, et il n'appuie plus cette proposition.
Les résultats du sondage ne surprennent pas Alain Giguère. « M. Legault revient au texte original [du rapport Bouchard-Taylor], en ajoutant les enseignants, qui n’étaient pas dans la volonté initiale. On a tellement parlé de ce rapport, on a tellement dit que ça faisait consensus », souligne-t-il.
On peut comprendre [...] que la population soit d’accord à ce qu’on étende la mesure jusqu’aux enseignants, compte tenu du rôle-clé qu’ils jouent dans l'éducation de nos enfants.
« Le Québec envoie ses enfants dans les écoles en espérant qu'elles transmettent bien nos valeurs. Il peut y avoir une interrogation sur le port de signes religieux », fait valoir M. Giguère.
La possibilité que les enseignants soient visés par l'interdiction avait fait réagir plusieurs acteurs du milieu de l'éducation, pendant la campagne. La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) avait affirmé qu'elle pourrait porter la cause devant les tribunaux, faisant valoir que les enseignants n’exercent pas le même genre d’autorité que les policiers ou les juges.
Pierre Bosset, professeur de droit à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), est du même avis.
Il n'est pas clair que l’autorité des enseignants dans leurs salles de classe, par exemple, est la même que celle du juge qui envoie quelqu’un en prison ou du policier qui arrête quelqu’un.
« On semble présumer que parce qu’une personne porte un signe religieux, cette personne ne sera pas capable d’enseigner sa matière d’une façon neutre, déplore M. Bosset. C’est faux. Une personne peut très bien porter un signe religieux et faire consciencieusement et professionnellement son travail. Et on peut même imaginer l’inverse, une personne qui ne porterait aucun signe religieux, mais qui serait quand même très tendancieuse dans sa façon d’enseigner. »
« Il n’y a pas de lien rationnel entre l’objectif de la neutralité de l’enseignante et le moyen qui semble être privilégié [...] et les tribunaux exigent qu’il y ait un lien rationnel », explique-t-il.
Professeur titulaire au département de philosophie de l’Université de Montréal, Michel Seymour signale lui aussi que même si l'opinion publique est du côté du gouvernement Legault, le droit, lui, ne l'est pas.
Cet interdit des signes religieux va à l'encontre du droit onusien, va à l'encontre du droit québécois et va à l'encontre du droit canadien.
« Bien sûr, M. Legault peut vouloir se prévaloir de la clause dérogatoire [qui permet de soustraire temporairement une loi à la Charte canadienne des droits et libertés], reconnaît Michel Seymour. Mais ça veut dire que le débat va se poursuivre, parce que, cinq ans plus tard, il faudra à nouveau la réappliquer. »
« Il n’est pas certain, dans mon esprit, que c’est une voie prometteuse pour l'avenir que de s’engager dans une contestation tous azimuts pour être le seul endroit en Amérique du Nord où il y a un interdit de ce genre », ajoute-t-il.
M. Seymour pense que l'opinion publique pourrait tourner : « M. Legault doit s’interroger sur cet appui provisoire d’une population qui ne voit peut-être pas encore venir le mur contre lequel va se heurter le Québec en tentant d’appliquer une règle qui est anticonstitutionnelle. »
Pierre Bosset note que la loi actuelle impose déjà la neutralité religieuse à l’ensemble des employés de l’État, incluant les enseignants, sans toutefois aller jusqu’à dicter ce qu’ils peuvent porter. « Est-ce qu’il est nécessaire d’aller plus loin? » demande-t-il.
Cela justifierait-il un congédiement?
Le gouvernement caquiste a déjà indiqué que la loi prévoirait une période de transition lors de laquelle les employés de l’État en situation d'autorité détenant un pouvoir coercitif se verraient offrir la possibilité d’être « relocalisés » à l’intérieur de leur ministère s’ils refusaient de retirer leur signe religieux. Ceux qui refuseraient d'obtempérer, cependant, pourraient finir par perdre leur poste.
La moitié des Québécois questionnés par CROP estiment qu’il serait justifié de congédier les employés de l’État qui refuseraient de se plier à l’obligation. Mais cette sanction serait trop lourde pour plus de quatre répondants sur dix.
De plus, les répondants se sont montrés peu enclins à laisser les employés déjà en poste bénéficier d’un droit acquis : une majorité – relativement modeste, toutefois – s’oppose à ce que soit inscrite dans la loi une « clause grand-père », qui ferait en sorte qu’elle ne s’appliquerait qu’aux nouveaux venus dans la fonction publique. Un peu plus du tiers trouvent qu'une telle disposition aurait sa place.
D'ailleurs, le Parti québécois (PQ) préconisait pendant la campagne électorale que la règle ne s'applique qu'aux nouveaux employés, mais la CAQ a plusieurs fois insisté sur le fait que la loi s'appliquerait à tous.
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Et le crucifix du Salon bleu?

Ce crucifix a été placé au-dessus du fauteuil du président de l'Assemblée nationale en 1936.
Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot
Quant au crucifix accroché par Maurice Duplessis en 1936 au Salon bleu de l'Assemblée nationale, où siègent les parlementaires, le gouvernement de la CAQ n'entend pas le déplacer. François Legault avait répété durant la campagne électorale qu'il « est là pour rester » puisqu'il « fait partie du patrimoine ».
Chez les répondants de CROP, plus de la moitié souhaitent eux aussi qu’il reste en place.
Dans l'esprit des Québécois, le crucifix a davantage une connotation culturelle que religieuse, note Alain Giguère de CROP. Il convient qu'il s'agit du symbole le plus important du christianisme, « mais c’est aussi l’histoire du Québec », dit-il.
Le professeur de philosophie Michel Seymour voit dans le maintien du crucifix « une sorte de contradiction ».
On veut maintenir à cet endroit un signe religieux qui est non seulement visible, mais omniprésent, puisqu’il surplombe la tête du président de l’Assemblée nationale.
Par ailleurs, les positions de la CAQ reçoivent plus d’appuis à l’extérieur de la région de Montréal, chez les 35 ans et plus (et encore davantage chez les 55 ans et plus) ainsi que chez ceux qui ont voté pour la CAQ ou pour le PQ le 1er octobre dernier.
L’enquête d’opinion a été réalisée du 14 au 19 novembre, par le biais d’un panel web, auprès de 1000 Québécois de 18 ans et plus, un échantillon non probabiliste. Les résultats ont été pondérés en fonction du genre, de l’âge, de la région, de la langue maternelle et du degré de scolarité des répondants.