Autrefois moteur économique du Canada, Calgary se définit aujourd’hui par ses tours vides

Le centre-ville de Calgary, le coeur de l'industrie énergétique, s'est vidé et ne trouve pas de sang neuf pour se renouveler.
Photo : La Presse canadienne / Jeff McIntosh
Les grues parsèment encore le ciel du centre-ville de Calgary. Mais la réalité se lit plus bas, dans les rues. À chaque intersection, des panneaux offrent des bureaux à louer. Depuis plus de quatre ans, le coeur de la métropole albertaine est déserté et rien ne fait redémarrer cet ancien moteur économique.
Un texte de Tiphanie Roquette
Depuis la chute des prix du pétrole durant l'été 2014, de 20 000 à 50 000 personnes, qui travaillaient au centre-ville, ont perdu leur emploi.
Même plusieurs années après le début de la récession, le quart des tours de bureaux est vacant. Plus d’un million de mètres carrés d’espaces, l’équivalent de 6000 grandes maisons, sont toujours à la recherche de locataires.
« Si vous comparez à Vancouver, à Edmonton, à Toronto ou à Montréal, nous sommes en mauvaise posture », constate Greg Kwong, le directeur régional de la firme immobilière CBRE.
À l’heure du dîner, la rue piétonne de Calgary devrait ainsi fourmiller d’employés à la recherche d’un café, mais les groupes sont petits et disparates.
L'énergie a déserté le centre-ville
La coupable n’est pas seulement la fine neige qui tombe sur la métropole albertaine, affirme Adam Pekarsky. Ce chasseur de têtes a établi son entreprise au centre-ville il y a près de 10 ans.
« Avant 2014, on devait faire la queue pour obtenir un café. Trouver un stationnement demandait de la patience et de la sueur, mais c’était un endroit fun », se souvient M. Pekarsky. Aujourd’hui, son portrait est différent.
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Survivre au centre-ville est de plus en plus difficile, selon M. Pekarsky. Au pied de ses bureaux, il a remarqué une augmentation de l’itinérance et de l’insécurité.
Il y a moins d’entreprises, moins d’affaires pour les restaurants et les commerces, plus de faillites, moins d’yeux pour limiter les dégradations, moins de pouvoir d’attraction. Le coeur de Calgary est au milieu d’un cercle vicieux, estime l’entrepreneur.
Pour la Ville, c’est devenu un casse-tête fiscal pour les discussions budgétaires. Les géants du pétrole et du gaz contribuaient à la majeure partie de l'impôt foncier. Maintenant, ce coût est répercuté sur les commerces en banlieue et les petites entreprises dans des proportions exorbitantes.
Au point où le directeur général de la Ville, Jeff Fielding, a levé les bras au ciel en comité municipal sur les finances.
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En 3 ans, 142 propriétés du centre-ville ont perdu 12 milliards de dollars de valeur, ce qui représente un manque à gagner de 200 millions de dollars pour la métropole.
Des rêves de Silicon Valley envolés
L’agence de développement économique de Calgary a tenté d’attirer plus d’entreprises pour remplir les bureaux délaissés, notamment dans le domaine des nouvelles technologies.
Le problème, selon le directeur immobilier Greg Kwong, est que la métropole albertaine fourmille de cerveaux du secteur pétrolier et gazier, mais pas assez de génies de l’informatique.
« Le fait de ne pas avoir été présélectionné pour accueillir le deuxième siège social d’Amazon a été montré à beaucoup de monde que nous devons changer notre économie », explique M. Kwong.
Son pronostic le plus réaliste voit cette situation durer pour encore cinq ans. Le plus pessimiste atteint la décennie.
Le vide suscite aussi l’innovation. Les fenêtres de l’immeuble Barron sont ainsi obstruées, mais pas parce que l’énorme tour est condamnée. Au contraire, la firme de développement immobilier Strategic Group lui donne une nouvelle vie.
Repeupler le coeur de la ville
Lorsque le groupe a acheté l’immeuble, il y a 10 ans, lui aussi pensait à des bureaux d'entreprises, mais la prolifération de projets de construction au destin morose lui a fait changer d’avis. L’immeuble Barron est converti en une centaine d’appartements.
Le processus est compliqué. Les tours de bureaux manquent ainsi de stationnement pour des centaines de locataires. La profondeur des pièces n’est pas toujours idéale pour une habitation.
Le centre-ville manque d’espaces verts qui doivent alors être ajoutés sur les toits des immeubles. Le vice-président du développement à Strategic Group, Ken Toews, estime qu’une dizaine de tours pourraient se prêter à ces transformations.
Il ne s'agit donc pas d'une solution miracle, mais elle s’accompagne des promesses d’un effet de ricochet. « Ajouter du monde au centre-ville, cela veut dire plus de clients pour les commerces et les restaurants », s’enthousiasme M. Toews.
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Adam Pekarksy aimerait pousser la transformation un peu plus loin et regarde l’exemple de Montréal. Il espère voir une université s’installer au centre-ville de Calgary, un peu comme l'Université McGill.
L’idée a été soulevée lors de sessions de remue-méninges de l’agence de développement économique, mais pour l’instant, le centre-ville de Calgary ne fait encore que rêver à ce qu’il pourrait devenir.