Violence conjugale : la loi de Clare donne à réfléchir aux Albertains

L’Alberta est la troisième province ayant le taux le plus élevé de violence entre partenaires intimes, selon Statistique Canada, pour l'année 2016.
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Le projet de loi de Clare, à l'étude en Saskatchewan afin de contrer la violence familiale, suscite l'intérêt des Albertains. Cette loi, adoptée en Grande-Bretagne en 2014, permet à la police d'informer une personne sur le passé violent de son conjoint.
Un texte de Nelly Albérola
Melody Bundt aurait préféré savoir dès le départ que son mari avait des antécédents de violence. « J’aurais pu comprendre que je n’étais pas fautive, dit-elle. Et, peut-être, aurais-je pu mettre fin plus tôt à cette relation toxique. »
L’objectif de la loi de Clare est justement de lutter contre la violence familiale et protéger de potentielles victimes. Grâce à ce texte, à l’étude actuellement dans la province voisine, les forces de police pourraient, sous conditions, fournir au conjoint, à sa famille ou à ses proches les renseignements d’une personne qui a des antécédents de violence.
Conditions de divulgation
Les policiers ne fourniraient les informations demandées qu’au cas par cas, s’ils estiment que le danger est réel. La divulgation des renseignements n’est donc pas automatique, même si la personne visée a un passé de violence.
Pour la directrice de l’association de prévention de la violence familiale Discovery House, Monique Auffrey, l’introduction de la loi au Canada est « une merveilleuse première étape ».
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Selon le dernier rapport de la Ville de Calgary, les incidents de violence familiale ont augmenté de 48 % entre 2013 et 2016.
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Une question sociale, plus que juridique
Interrogée sur le sujet, l’avocate de la défense criminelle Kim Arial n’est pas certaine de l’efficacité de cette loi. « La violence familiale est à prendre très au sérieux, c’est très fréquent dans nos tribunaux, c’est certain, rappelle la juriste, mais je pense qu’il existe d’autres moyens pour régler ses problèmes. »
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L’avocate craint que l’information donnée n’ait pas l’effet escompté sur la potentielle victime, car la loi prévoit la possibilité pour une tierce personne d’accéder à ces renseignements.
À titre d’exemple, une personne pourrait découvrir le passé de violence du conjoint de sa soeur et vouloir l’en avertir, voire l’inciter à rompre. Or, la victime potentielle pourrait mal réagir à une telle immixtion dans sa vie de couple, au risque de vouloir prendre la défense de son partenaire.
Cette crainte est partagée par la porte-parole de SOS violence conjugale, Claudine Thibodeau, pourtant favorable à la loi de Clare.
« Toute mesure pour favoriser la sécurité des victimes de violence familiale, c’est bien! , a-t-elle déclaré lors d’une entrevue à l'émission Le Café Show. Mais il y a des dérives possibles. » La porte-parole de SOS violence conjugale rappelle qu’au Canada, une femme meurt tous les 6 jours sous les coups de son conjoint.
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Pour la directrice des services de soutien par les pairs pour les femmes victimes de violence à Calgary, Andrea Silverstone, cette loi ne doit pas tant être vue comme un encadrement légal, mais comme une ouverture au dialogue dans le couple.
« L’information reçue ne signifie pas forcément que vous devez rompre, dit-elle, mais que vous avez besoin de soutien. »
Rassurer l’opinion publique
La juriste précise que la question est également politique. « Nous avons des ministres qui peuvent maintenant dire qu’ils soutiennent le droit des victimes », souligne-t-elle.
Le gouvernement britannique a introduit la loi de Clare, après le meurtre de Clare Wood, une femme de 36 ans morte étranglée et brûlée par son conjoint, en 2009. La tragédie avait choqué tout le pays.
L’introduction de cette même loi en Saskatchewan est également une réponse à une situation traumatisante qui est venue alourdir le sombre bilan des homicides liés à la violence familiale.
En 2015, Lisa Strang, la plus ancienne employée et directrice des finances du Parti saskatchewanais, a été tuée par son mari. L’affaire avait alors été hautement médiatisée.
En Alberta, la ministre de la Condition féminine, Danielle Larrivée, n’a pas voulu se prononcer sur le sujet, mais soutient que « le gouvernement provincial regardait de près les autres juridictions pour prendre les meilleures solutions afin d’assurer une meilleure vie aux Albertaines. »
Selon les dernières statistiques fédérales, datant de 2016, l’Alberta est la troisième province ayant le taux le plus élevé de violence entre partenaires intimes, avec 403 victimes pour 100 000 personnes, après la Saskatchewan (680) et le Manitoba (616).
Les taux les plus élevés du pays restent encore au Nunavut (3790), aux Territoires du Nord‑Ouest (2555) et au Yukon (1180).