Le Canada, pas toujours l’eldorado pour les travailleurs qualifiés

Un programmeur en train de concevoir un site web.
Photo : getty images/istockphoto / Suwat Rujimethakul
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Qu'ils soient ingénieurs ou techniciens en informatique, les travailleurs étrangers temporaires qualifiés arrivent ici avec l'espoir d'une vie meilleure. Bon nombre d'entre eux subissent plutôt une grande précarité, selon plusieurs chercheuses.
Un texte de Danielle Beaudoin
Beaucoup de recherches ont été menées sur les travailleurs étrangers temporaires peu spécialisés, note Danièle Bélanger, professeure titulaire au Département de géographie de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques migratoires mondiales. Mais on a très peu étudié jusqu’ici, ajoute-t-elle, la situation des migrants plus qualifiés, qui arrivent en général par le biais du Programme de mobilité internationale (PMI) ou du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET).
Programmes fédéraux de travail temporaire
PMI
- Défend les intérêts économiques et culturels du Canada
- Dépend largement d’accords bilatéraux ou multilatéraux
- Pas besoin d’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT)
- Permis de travail ouvert (plus grande mobilité des participants)
- En majorité des emplois spécialisés à salaire élevé (chercheurs, conférenciers, artistes, etc.), sans oublier les étudiants internationaux
PTET
- Dernier ressort pour les employeurs qui veulent pourvoir des emplois pour lesquels ils ne trouvent pas de Canadiens qualifiés
- Chaque demande des employeurs fait l’objet d’une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT), afin de s’assurer qu’aucun Canadien ne peut réaliser le travail.
- Permis de travail fermé (lié à un employeur unique)
- Surtout des emplois peu spécialisés (travailleurs agricoles, aides familiaux, etc.)
Source : Canada.ca (Nouvelle fenêtre)
« On présume que tout va bien pour les qualifiés, car ils ont plus de droits sociaux. » La professeure Bélanger fait notamment référence au fait que ces travailleurs peuvent migrer avec leur famille et surtout accéder à la résidence permanence après quelques années, contrairement à la plupart des migrants peu spécialisés.
Une « précarité insoupçonnée »
Cela dit, bon nombre de travailleurs étrangers temporaires qualifiés se butent à des difficultés lorsqu’ils arrivent au Canada, précise Danièle Bélanger. La chercheuse est coauteure d’une étude qualitative à paraître début janvier sur la « précarité insoupçonnée » de ce type de migrants au Québec.
La plupart des participants à cette étude ont dit avoir eu de moins bonnes conditions de travail que les immigrants résidents permanents ou citoyens canadiens. Et même si dans certains cas, des employeurs ne respectaient pas les contrats, ces travailleurs n’osaient pas se plaindre de peur de perdre leur statut.
Un des participants, un ingénieur en informatique, confie qu’il s’est fait flouer par une agence de sous-traitance qui l’avait recruté à l’étranger. Il avait signé un contrat lui promettant du travail régulier et des mandats en continu. Il s’est retrouvé sans travail entre deux mandats, et sans aucun salaire. Il a ensuite tenté, sans succès, de faire valoir ses droits auprès des autorités provinciales. « Il essayait d’appeler au MIDI [ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion] : "Non, on ne s’occupe pas de vous". Il a appelé au ministère du Travail. Ils ont dit : "Non, on ne s’occupe pas de vous" », raconte la chercheuse.
Sur le terrain, on le voit; des travailleurs qui sont dans des situations d’abus qui essaient de faire valoir leurs droits. C’est très difficile pour eux d’avoir des interlocuteurs.
L’étude de l’Université Laval révèle « un sentiment fréquent de vulnérabilité vis-à-vis de l’employeur et des pouvoirs publics, malgré leur position de travailleurs qualifiés ».
L’analyse conclut que pour la majorité de ces travailleurs, « le renouveau professionnel et personnel espéré grâce à la migration ne semble accessible qu’au terme d’un long et pénible parcours menant à l’acquisition de la résidence permanente ».
Des permis Vacances-travail en attendant la résidence permanente
La professeure Bélanger attire aussi l’attention sur les permis Vacances-travail, une composante du programme Expérience internationale Canada.
Expérience internationale Canada (EIC) fait partie du Programme de mobilité internationale (PMI) et s’adresse aux jeunes. Il comporte trois volets : Vacances-travail, Jeunes professionnels et Stage coop à l’étranger. Il « permet aux travailleurs étrangers d’obtenir un emploi au Canada lorsque les Canadiens ont des possibilités réciproques similaires à l'étranger. L’admission en vertu des dispositions de réciprocité devrait avoir une incidence neutre sur le marché du travail », peut-on lire sur le site de Canada.ca (Nouvelle fenêtre).
L’experte souligne que bon nombre de participants, une fois ici, font la demande de résidence permanente. Ils sont alors plus ou moins à la merci de leur employeur, note la chercheuse, car ce dernier doit fournir des documents, comme attester que le travailleur temporaire fait partie de son personnel.
« Ça crée une forte dépendance. On voit que même chez des qualifiés qui sont entrés avec le permis Vacances-travail […], c'est fréquent qu'ils nous disent : « Je dois juste supporter les conditions de travail jusqu'à ce que j'aie ma résidence, et après je quitte, je vais pouvoir m'affranchir ». Donc ça crée des périodes de vulnérabilité aussi, ce processus », explique Danièle Bélanger.
Une autre chercheuse, Dalia Gesualdi-Fecteau, professeure au Département des sciences juridiques de l’UQAM, s’intéresse aussi aux permis Vacances-travail. Elle estime que ce programme est « complètement dans l’angle mort de la recherche et aussi de l’intérêt des citoyens ».
Elle explique que les recherches préliminaires révèlent que la majorité des participants au programme Vacances-travail ne viennent pas ici pour prendre des vacances, mais plutôt pour avoir accès au marché du travail canadien. Elle croit, tout comme Danièle Bélanger, qu’il s’agit là d’un court-circuit vers la résidence permanente.
Plusieurs dizaines de milliers de personnes arrivent chaque année au Canada via ce programme [Expérience internationale Canada] et s’insèrent dans le marché du travail. […] C’est énorme, énorme, énorme.
Les jeunes qui viennent avec le programme Vacances-travail, en grande partie des universitaires, vont souvent travailler dans la restauration et le commerce au détail, explique la chercheuse. Des emplois de transition en attendant d’avoir le statut permanent. « On a une certaine intuition que les conditions de travail avec lesquelles ces jeunes-là composent sont assez exécrables », fait valoir Dalia Gesualdi-Fecteau. Elle se base notamment sur les recherches menées l’an dernier par une de ses étudiantes à la maîtrise.
Expérience internationale Canada n’a pas été pensé ou mis en place pour combler des besoins de main-d’œuvre, fait valoir la chercheuse. « Ce qu'on se trouve finalement à constater, c'est que ça devient un programme d'immigration temporaire ou un programme pour combler des besoins de main-d'oeuvre, parce que c'est comme ça que les employeurs le perçoivent, et c'est comme ça que les travailleurs aussi le perçoivent », conclut-elle.
Dans une réponse par courriel, le ministère canadien de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté (IRCC), qui gère le PMI, insiste sur le fait que ce programme n’est pas là pour remédier aux pénuries temporaires de main-d’œuvre, « mais plutôt pour les avantages concurrentiels pour le Canada sur les plans économique, culturel ou autre et en raison des avantages mutuels pour les Canadiens et les résidents permanents ».
« Une concurrence par le bas »
Hélène Pellerin, professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, estime que le Canada « a plus ou moins réussi » à devenir concurrentiel sur le plan international avec le PMI. Toutefois, elle soulève plusieurs problèmes.
Il y a d'abord un problème de rétention des professionnels étrangers hautement qualifiés. « Malgré le fait qu’on les fait entrer avec le tapis rouge et puis qu’on leur offre la possibilité de faire venir leur famille, il y en a plusieurs qui retournent. » Ensuite, certains travailleurs étrangers sont surqualifiés pour les emplois qu’on leur accorde, ajoute la chercheuse. « On leur accorde un permis de travail ouvert, sauf qu’on perd de vue un peu ce que font ces personnes une fois qu’elles sont arrivées. […] Finalement, on ne leur offre pas ce qu’on leur promettait. »
Hélène Pellerin montre elle aussi du doigt les conditions de travail des travailleurs étrangers temporaires qui viennent ici grâce au PMI. Elle donne l’exemple d’entreprises étrangères en technologies de l’information qui font des affaires à Toronto, Montréal et Calgary et qui font venir des travailleurs de leur pays d’origine. « Je pense à Tata [Consultancy Services], qui va embaucher des travailleurs indiens et qui augmente la cadence de travail. […] Finalement, les conditions de travail se détériorent. Et on parle de personnes hautement qualifiées, qui sont en train de développer des programmes de gestion informatique pour d’immenses industries et à qui on offre des conditions moindres. »
« Le Programme de mobilité internationale, d’une certaine façon, rajoute ou alimente cette idée d’une concurrence par le bas des travailleurs étrangers hautement qualifiés », constate l’experte.