La francisation en entreprise, plus facile à dire qu’à faire

Un travailleur de l'entreprise Valtech Fabrication
Photo : Courtoisie de Valtech Fabrication
La francisation représente tout un défi pour bon nombre d'entreprises, grandes et petites. Voici un aperçu des obstacles auxquels elles font face.
Un article de Marie-France Abastado, à Désautels le dimanche
Chez Valtech Fabrication, à Valleyfield, en Montérégie, on produit de l’équipement industriel sur mesure, destiné au raffinage du pétrole. Une des nombreuses activités consiste à souder des composantes d’oléoduc. Mais les soudeurs se font rares au Québec en cette époque de pénurie de main-d’œuvre. Sabrina Proulx-Latour, conseillère en ressources humaines, s’occupe du recrutement de personnel à l’étranger, souvent d’Amérique latine ou des Philippines. La francisation de ces travailleurs, dit-elle, représente un enjeu de taille.
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Le reportage de Marie-France Abastado est diffusé le 11 novembre à l'émission Désautels le dimanche sur ICI Radio-Canada Première.
Une responsabilité partagée
La francisation de ces travailleurs est une responsabilité partagée entre les entreprises et le gouvernement du Québec. Mais Sabrina Proulx-Latour trouve que les entreprises comme la sienne devraient avoir un meilleur soutien du gouvernement. « Ce n’est pas évident d’avoir les informations. Le gouvernement nous réfère au site web à Services Québec, mais si la personne est débordée, ça peut prendre plusieurs semaines avant d’avoir une réponse. »
Elle souhaiterait que le gouvernement mise davantage sur la francisation en entreprise. « Ce que je comprends du site Internet, c’est que quand il s’agit de cours dans un domaine spécialisé, malheureusement, ça va se faire dans des institutions à Montréal. »
La maîtrise de la langue, une question de sécurité
L’impact d’une mauvaise connaissance de la langue de travail, le français en l’occurrence, est néfaste autant sur le plan économique qu’en matière de sécurité, explique Sabrina Proulx-Latour.
Les consignes ne sont pas toujours bien comprises par les travailleurs et il faut parfois refaire des pièces au complet. Sans compter les problèmes de sécurité que cela peut poser.
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Franciser l’entreprise, une obligation
Ce ne sont pas seulement des impératifs économiques et sécuritaires qui commandent que le travail en entreprise se déroule en français au Québec, c’est aussi la loi, rappelle Jean-Pierre Leblanc, porte-parole de l’Office québécois de la langue française (OQLF).
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Chez Softchoice, une entreprise de soutien informatique qui a un bureau à Montréal, le problème se pose autrement que chez Valtech; c’est l’ensemble de l’entreprise qu’il faut franciser. On y est d’ailleurs en plein processus de francisation.
Pour cette entreprise qui œuvre dans plusieurs États américains et provinces canadiennes, se plier aux réglementations locales va de soi. « La réglementation a sensibilisé la haute direction au fait que le marché québécois est francophone. », explique Sandro Polverari, responsable du dossier de francisation chez Softchoice.
Mais M. Polverari admet que le caractère coercitif de la loi a aussi eu de l’impact. En effet, tout appel d’offres auprès du gouvernement ne peut être fait que si l’entreprise a obtenu son certificat de francisation.
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La dure compétition de l’anglais
Mais quand on se promène dans les bureaux de Softchoice, la plupart des conversations se déroulent encore en anglais. En fait, la francisation demeure un défi de tous les instants pour les entreprises en informatique, où l’anglais est la langue naturelle des communications.
C’est encore plus vrai quand le siège social est à Toronto. « Tous les directeurs d’équipe à Montréal ont la capacité de tenir des réunions en français. » Mais dans le contexte où les équipes se trouvent à plusieurs endroits en Amérique du Nord, « dès qu’il y a quelqu’un en téléconférence, généralement, on passe à l’anglais », reconnaît Sandro Polverari.
Un soutien qui pourrait être amélioré
Sandro Polverari apprécie l’esprit de collaboration instauré par l’OQLF dans ses relations avec les entreprises. Il aurait souhaité toutefois un type d’accompagnement plus adapté à la réalité.
Oui, les outils de traduction peuvent aider, mais dans son travail de francisation, M. Polverari est surtout face à des défis de gestion. « C’est un apprentissage qu’on a fait par essais-erreurs sans savoir qu’il fallait une approche plus globale qui partait de la haute direction. On n’a pas eu beaucoup d’indices au sein de l’OQLF qui nous amenaient à aborder le problème de cette façon. »
La francisation et la présence à l’international
Les problèmes vécus par des entreprises comme Softchoice dans le processus de francisation sont bien compris par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Le président, Michel Leblanc, croit qu’il y aura toujours des défis, en particulier pour les grandes entreprises qui sont sur les marchés internationaux.
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La francisation des petits commerces
Au Québec, 83,7 % des entreprises de 50 employés et plus détiennent leur certificat de francisation, ce qui représente un taux satisfaisant selon l’OQLF, compte tenu des nouvelles entreprises qui émergent constamment.
De son côté, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain réitère l’importance qu’elle accorde à la francisation. Depuis quelques années, elle a d’ailleurs pris plusieurs initiatives pour favoriser la francisation des entreprises de moins de 50 employés qui ne sont pas visées par la loi 101, en particulier les petits commerces.
« Le milieu des affaires reconnaît que la langue est un facteur identitaire québécois très important. Mais la Chambre de commerce souhaite aussi que les immigrants reconnaissent le plus rapidement possible la valeur du français et l’apprennent. On est très conscients de la réalité de vie d’un immigrant qui vient d’arriver. Il essaie de gagner sa vie et de s’astreindre à prendre des cours. Ça peut être compliqué », explique Michel Leblanc.
Le jumelage linguistique dans les petits commerces
Maya Hashimoto travaille comme serveuse au restaurant Takara, au centre-ville de Montréal. Elle est au Québec depuis trois ans et compte y rester. Comme beaucoup de ses collègues, elle connaissait peu le français jusqu’à ce qu’elle entende parler de l’initiative de jumelage entre petits commerçants et étudiants universitaires organisée par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.
Roxanne Julien, qui vient de terminer sa maîtrise en littérature française, est la mentore de Maya depuis le printemps dernier. Toutes les semaines, elles se rencontrent au restaurant pour une heure de conversation et pour la correction des devoirs hebdomadaires de Maya.
« Maya est très motivée », dit Roxanne Julien. Elle a même recruté des collègues pour participer au programme de jumelage.
La Chambre de commerce est très fière de son projet de jumelage qui donne de bons résultats, dit son président, Michel Leblanc. Jusqu’à présent, près de 500 petits commerces ont pu en bénéficier.
En parallèle, la Chambre de commerce mène une très grande campagne de sensibilisation qui a commencé dans le quartier multiethnique de Côte-des-Neiges. Il s’agit d’autocollants sur lesquels est écrit : « J’apprends le français, aidez-moi ». L’idée, c’est d’encourager les clients à ne pas basculer à l’anglais quand un commerçant semble avoir de la difficulté en français. Le programme a eu tant de succès que la Chambre l’a déployé dans plusieurs artères commerciales de Montréal.
Évidemment, ce programme ne peut à lui seul répondre à l’immense défi de la francisation de la main-d’œuvre. Michel Leblanc en est bien conscient. Mais il plaide résolument pour que la francisation des immigrants se fasse le plus vite possible en milieu de travail. Il faut, dit-il, briser le mythe selon lequel les nouveaux arrivants doivent suivre des cours du soir ou de fin de semaine en plus d’avoir à éduquer leur famille et de faire face à la réalité d’une nouvelle immigration.