Perte des terres agricoles au Québec : « C'est pire qu'avant »

Les terres agricoles cultivables représentent 2 % du territoire québécois.
Photo : Getty Images / Sylvie Bouchard
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La pression est plus forte que jamais sur les terres agricoles québécoises, 40 ans jour pour jour après l'adoption de la Loi sur la protection du territoire agricole. Les terres cultivées continuent de disparaître année après année en raison de l'étalement urbain et de l'activité de spéculateurs financiers.
Un texte de Thomas Gerbet (Nouvelle fenêtre)
Il ne reste que deux fermes à Brossard, une ville de banlieue qui s'est développée sur des terres qui sont parmi les plus fertiles du Québec.
À la fin des années 1960 et au début des années 1970, l'effervescence économique était telle dans la région de Montréal que 20 000 hectares de terres agricoles ont disparu. C'en était trop et le gouvernement de René Lévesque a adopté la Loi sur la protection du territoire agricole, le 9 novembre 1978.
La menace est toujours bien présente 40 ans plus tard. La construction du Réseau express métropolitain (REM) va faire disparaître des terres agricoles, tout comme les projets d'expansion du port de Montréal, d'élargissement de l'autoroute 30, de future gare à Mirabel ou de nouvel hôpital à Vaudreuil-Soulanges.
La pression est pire qu'avant, selon l'Union des producteurs agricoles (UPA). Avec seulement 2 % de terres cultivables sur le territoire québécois, l'UPA demande qu'on les considère comme « la prunelle de nos yeux ».
C'est une bataille de tous les jours et le gouvernement du Québec est un peu complice.
L'étalement urbain

La pointe nord de la ville de Beloeil en 2005 (à gauche) et en 2017 (à droite)
Photo : Radio-Canada / Google Earth
Le développement immobilier et les décisions de certaines municipalités figurent parmi les principales menaces sur le territoire agricole. Le principe de la Loi de 1978 était pourtant d'interdire l'utilisation du sol à d'autres fins que l'agriculture. Mais la Loi créait aussi la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), qui avait le pouvoir d'autoriser des exceptions.
L'an dernier, la CPTAQ a autorisé les trois quarts des demandes qui lui ont été faites. Près de 2000 hectares de terres agricoles ont ainsi disparu en un an, et ce sont 34 000 hectares qui ont été perdus en 20 ans.
La Commission reconnaît elle-même les difficultés auxquelles elle doit faire face dans un document publié pour son quarantième anniversaire.
La zone agricole subit encore aujourd'hui des pressions importantes et la protéger demeure un défi quotidien.
La CPTAQ déplore que des agglomérations choisissent de se développer sur les terres agricoles alors qu'elles « disposent généralement d'espaces suffisants pour combler » leurs besoins. Ainsi, la région de Montréal pourrait encore développer 30 000 hectares disponibles en dehors de la zone agricole.
« Ça coûte moins cher d'exproprier ou d'acheter le terrain d'un agriculteur que celui d'un promoteur », explique le président de l'UPA, Marcel Groleau. Il constate qu'il est tentant pour les municipalités « d'empiéter sur le territoire agricole pour augmenter leurs revenus ».

Carte du territoire agricole du Grand Montréal.
Photo : Communauté métropolitaine de Montréal.
En fait, la zone agricole ne représente que le tiers de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), puisque le gouvernement du Québec surestime sa taille en incluant par exemple les autoroutes ou les parcs.
De nombreuses terres agricoles sont également laissées volontairement en friche dans la région, dans un but de spéculation. C'est le cas de 10 000 hectares, selon la CMM. La rareté de plus en plus grande des terres cultivables fait grimper les prix et des spéculateurs l'ont bien compris.
Les investisseurs

Charles Sirois, cofondateur de Pangea, en entrevue à RDI Économie
Photo : Radio-Canada
Au cours des dernières années, les achats de grandes superficies agricoles par des sociétés d'investissement se sont multipliés. L'UPA regrette que les terres soient désormais considérées comme une valeur refuge pour de gros joueurs boursiers. « Les producteurs se font damer le pion et la relève ne peut tout simplement pas soutenir cette concurrence », écrit l'UPA.
Les producteurs agricoles canadiens possèdent 64,6 % des terres qu'ils exploitent, un chiffre en baisse constante.
Un fonds d'investissement comme PANGEA possède déjà 5800 hectares. Dans 10, 15 ou 20 ans, qui sera capable d'acheter ces terres? Des familles agricoles ou des multinationales?
Pangea, fondée en 2012, achète des terres qu'elle loue ensuite aux producteurs. L'ancien gouvernement libéral s'était montré préoccupé par la place prépondérante qu'occupent dans cette société les fonds d'investissement comme la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ).
La valeur des terres agricoles cultivables au Québec a monté en flèche ces dernières années. Depuis 10 ans, le prix d'un hectare est passé de 6280 $ à 21 446 $.
Les acheteurs étrangers sont aussi présents sur le marché. On les retrouve actifs notamment en Abitibi-Témiscamingue, là où les terres sont les moins chères de la province.
C'est dans l'est de la Montérégie que les terres cultivables se vendent le plus cher. La valeur moyenne à l'hectare était de 33 690$ en 2016.
La position de la Coalition avenir Québec
Durant la campagne électorale, la CAQ avait déclaré que « la plus importante problématique est l’achat de terres agricoles pour des fins autres. Nous convenons du fait que l’achat de terres agricoles pour la revente ou la construction de bâtiments commerciaux ou résidentiels contribue à l’augmentation de la valeur des terres, en plus de réduire la quantité de terres cultivables au Québec. Ce n’est évidemment pas souhaitable et il faut agir pour faire respecter strictement les lois et règlements qui protègent le territoire agricole, et ainsi protéger la vocation agricole des terres. »
Changer la loi?

Vue aérienne de la Rive-Sud de Montréal.
Photo : Getty Images
L'UPA et des groupes écologistes estiment que la situation serait pire si la Loi sur la protection du territoire agricole n'existait pas, mais ils réclament qu'elle ait plus de mordant.
Par exemple, la Loi s'applique aux organes du gouvernement du Québec, mais ce dernier peut contourner la CPTAQ par décret. « Il faut la renforcer pour s'assurer un garde-manger pour les générations futures », dit Sylvain Perron, le coordonnateur du Mouvement ceinture verte.
D'un autre autre côté, des municipalités voudraient adoucir la loi ou l'appliquer différemment selon les régions. En milieu rural, la loi est souvent perçue comme un frein au développement et à l'attrait économiques.
Déjà en 1978, le porteur de la Loi sur la protection du territoire agricole, Jean Garon, avait fait face à la résistance de certains collègues. Le ministre de la Justice Marc-André Bédard trouvait que la loi ne devait toucher que la région de Montréal, et le ministre de l’Éducation, Jacques-Yvan Morin, s’inquiétait d’une éventuelle machine bureaucratique lourde et coûteuse. Jean Garon finit toutefois par obtenir un consensus au Conseil des ministres.

Jean Garon a été ministre de l'Agriculture de 1976 à 1985.
Photo : Radio-Canada
Jean Garon est considéré par de nombreux agriculteurs comme le meilleur ministre de l'Agriculture de l'histoire du Québec. Il a conservé ce portefeuille durant neuf ans.
Quatre décennies plus tard, la Commission de la protection du territoire agricole continue de demander à son « créateur », le gouvernement du Québec, que le territoire « soit traité comme un patrimoine collectif faisant l'objet de mesures exceptionnelles de protection afin d'assurer la pérennité des activités agricoles exercées, dans une optique de développement durable. »