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Accueillir moins d’universitaires et plus d’ouvriers, demandent les entreprises

Un travailleur qui fait des travaux de soudure.

Les employeurs de l'Î.-P.-É. auront 425 postes à pourvoir l'an prochain. Le gouvernement provincial mise sur les travailleurs étrangers temporaires pour pallier la pénurie de main-d'oeuvre.

Photo : CBC/John Robertson

Radio-Canada

Le Canada doit ouvrir grand les portes aux migrants peu qualifiés, car nous en avons cruellement besoin, clament les entreprises. Parmi les solutions qu'elles proposent : offrir la résidence permanente aux travailleurs étrangers temporaires.

Un texte de Danielle Beaudoin

« Un baccalauréat en sociologie d'une université étrangère ne va pas nécessairement combler le besoin de main-d'oeuvre d'une usine qui produit des salades en région », lance Martine Hébert, vice-présidente principale et porte-parole nationale de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI).

La pénurie de travailleurs non qualifiés est criante, rappelle Mme Hébert. « Au moment où on se parle, on a des usines, des manufacturiers partout au pays qui doivent refuser des contrats parce qu'ils n'ont pas les manoeuvres pour opérer la machinerie. On a des restaurateurs qui doivent fermer leur restaurant quelques jours par semaine parce qu'ils n'ont pas le personnel suffisant pour servir leurs clients. On a des établissements d'hébergement qui fonctionnent seulement à 50 % de leurs capacités […], n'ayant pas de personnel suffisant pour suffire à la tâche. »

Il faut avoir un « meilleur casting », dit-elle, tout en rappelant que parmi tous les travailleurs immigrants accueillis au Québec depuis 10 ans, un sur deux était surqualifié.

Plus de 8 emplois sur 10 qui sont à pourvoir à l'heure actuelle dans les PME sont des emplois non qualifiés, ou l'équivalent du secondaire professionnel ou cégep technique.

Une citation de Martine Hébert, porte-parole de la FCEI

Les PME canadiennes demandent donc au gouvernement de revoir les critères de sélection des immigrants, notamment au Québec, afin d’accueillir plus de travailleurs non qualifiés. C’est aussi ce que réclame la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), pour qui ces modifications sont essentielles et urgentes.

Les cartes week-end

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Des travailleurs temporaires pour des besoins permanents

Les entreprises canadiennes font notamment appel au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET). Ce programme est fort utile, mais il ne suffit pas aux besoins, selon la FCEI et la FCCQ.

2 programmes fédéraux pour les travailleurs étrangers temporaires

Le PTET permet aux employeurs canadiens qui ne trouvent pas de main-d’œuvre locale d’engager en dernier ressort des travailleurs étrangers temporaires. Ce programme a fait l’objet de plusieurs réformes depuis sa création en 1973. Il a été complètement restructuré en 2014, afin notamment de resserrer les règles d’embauche et de multiplier les inspections sur le terrain. On comptait, au 31 décembre 2017, 46 520 titulaires de permis de travail en vertu du PTET.

Quant au Programme de mobilité internationale (PMI), il a pour objectif de défendre les intérêts économiques et culturels du Canada, et il dépend largement d'accords avec d'autres pays. Par exemple, chercheurs, conférenciers et étudiants étrangers viennent travailler au Canada dans le cadre de ce programme. On comptait, au 31 décembre 2017, 322 695 titulaires de permis de travail en vertu du PMI.

Les démarches pour faire venir ces travailleurs temporaires sont complexes, longues et coûteuses, souligne Martine Hébert. Tout ça pour qu’en fin de compte ces employés ne restent qu’une courte période de temps, alors que les besoins sont permanents.

Les ouvriers agricoles arrivent au premier ou au deuxième rang des métiers les plus demandés dans presque toutes les provinces. Au Québec, les postes de programmeurs et de développeurs en médias interactifs, ainsi que de designers graphiques et d'illustrateurs sont recherchés (5e et 6e rangs). En Ontario, les producteurs, les réalisateurs et les chorégraphes arrivent au 8e rang, et les chefs, au 10e. En Colombie-Britannique, les designers graphiques et les illustrateurs sont parmi les métiers les plus demandés (6e rang), ainsi que les ingénieurs et les concepteurs de logiciels (8e rang). À Terre-Neuve-et-Labrador, on a d’abord besoin de matelots et d’officiers de pont (1er et 2e rangs).

Martine Hébert martèle qu’il faut, d’une part, simplifier le processus pour faire venir les travailleurs temporaires étrangers et, d’autre part, leur permettre de s’installer pour de bon au pays.

Au terme d'un an ou deux, une fois qu'ils [les travailleurs étrangers temporaires] ont terminé le programme, qu'ils puissent rester ici, et que leur passage au niveau du PTET leur permette d'avoir un traitement accéléré et automatique vers la résidence permanente.

Une citation de Martine Hébert, de la FCEI

Même son de cloche à la Fédération des chambres de commerce du Québec. Oui, il faut d’abord bonifier le PTET, notamment en simplifiant les démarches pour les employeurs reconnus comme étant de confiance, qui respectent les règles du programme, fait valoir Stéphane Forget, PDG de la FCCQ. Il faut aussi pouvoir modifier le contrat des travailleurs temporaires une fois qu’ils sont arrivés, que ce soit le salaire ou la nature du travail, ajoute Stéphane Forget.

« On réfléchit à faire en sorte d’avoir des programmes qui vont permettre à ces travailleurs, qui vont répondre à un certain nombre de critères par la suite, de devenir des résidents permanents, et éventuellement des citoyens du Québec », explique Stéphane Forget.

Selon une récente étude de Statistique Canada (Nouvelle fenêtre), la majorité des travailleurs étrangers temporaires ont quitté le pays au cours des deux années suivant leur arrivée.

Quelle pénurie de main-d’œuvre?

Plusieurs experts remettent en question l’idée même d’une pénurie de main-d’œuvre au Canada. Y a-t-il une véritable pénurie ou est-ce plutôt que les conditions de travail sont trop mauvaises pour intéresser la main-d’œuvre locale? Par exemple, dans le secteur agricole, la rémunération est faible et les conditions de travail sont souvent pénibles, note Dalia Gesualdi-Fecteau, professeure au Département de sciences juridiques de l’UQAM, qui s’intéresse aux travailleurs migrants.

Je pense que la question des conditions de travail est au coeur de la réalité du non-comblement de certains postes par la main-d'oeuvre dite locale.

Une citation de Dalia Gesualdi-Fecteau, professeure à l’UQAM

La professeure Gesualdi-Fecteau donne l’exemple des attrapeurs de poulets, un métier qu’elle décrit comme extrêmement pénible, où le rythme de production est très élevé et où les risques de blessures sont grands, pour un salaire qui n’est pas mirobolant. « Alors que c'est une profession qui existe depuis la nuit des temps, maintenant, c'est 100 % comblé ou presque […] par une main-d'oeuvre immigrante et migrante. » Donc, des immigrants qui ont un statut permanent au Canada, mais aussi beaucoup de travailleurs temporaires dont le statut migratoire est précaire, précise-t-elle.

Des milliers de poulets dans une immense pièce.

Un élevage de poulets

Photo : getty images/istockphoto / ligora

Hélène Pellerin, professeure à l’École d’études politiques à l’Université d’Ottawa, ne croit pas tellement elle non plus à la pénurie de main-d’oeuvre. « À défaut d'améliorer les conditions de travail, on dit qu'on n'arrive pas à trouver des personnes […] donc, on doit aller chercher à l'extérieur. » Elle aussi donne l'exemple des ramasseurs de poulets. « Ils sont à peu près une équipe de cinq à six, et en huit heures, ils doivent ramasser entre 30 et 35 000 poulets. Vous imaginez le travail, les conditions de travail! »

Elle rappelle que les travailleurs agricoles doivent être disponibles de 5 h du matin à 20 h. « Ce sont des conditions très difficiles et qui n'ont pas été améliorées dans les dernières années, malgré le fait que l'industrie agroalimentaire est devenue une industrie exportatrice, concurrentielle sur le plan international. Donc, c'est clair qu'ils n'ont pas mis l'argent là-dedans. »

Plein emploi et exode rural au banc des accusés

Martine Hébert, de la Fédération canadienne des entreprises indépendantes, balaie d’un revers de main l’idée qu’il n’y ait pas de véritable pénurie de main-d’œuvre. Si les employeurs avaient le choix, dit-elle, ils engageraient de la main-d’œuvre locale, car ça leur coûterait beaucoup moins cher. Elle parle ici des frais administratifs pour obtenir un travailleur étranger temporaire, des coûts de transport, du logement et des autres dépenses associées à leur séjour au Canada.

Le recrutement est « l’enjeu économique numéro un » pour bon nombre d’entreprises, note-t-elle. Elle cite un récent sondage mené par son organisation auprès des employeurs, dans lequel 88 % des sondés disent avoir amélioré les conditions de travail de certains de leurs employés pour les retenir, et 65 % ont dit avoir fait la même chose pour attirer des candidats.

Même en bonifiant les conditions de travail, les entreprises ont de la difficulté à trouver des employés sur le marché local, souligne Martine Hébert. Pourquoi donc? D’abord, le très faible taux de chômage dans plusieurs régions. Ensuite, le fait que la société est de plus en plus scolarisée. « Je ne connais pas beaucoup de gens qui veulent encore aujourd’hui aller ramasser des fraises, travailler dans les champs ou occuper des postes de manœuvre dans les usines. » Elle cite aussi le vieillissement de la population et l’exode rural pour expliquer cette pénurie de main-d’œuvre.

Le recrutement à l'étranger, une « zone grise »

La professeure Dalia Gesualdi-Fecteau montre aussi du doigt les conditions de recrutement des travailleurs temporaires. Elle explique que, si le gouvernement surveille d’assez près les employeurs pour s’assurer qu’ils respectent les règles du PTET quant au traitement des migrants, il y a toute une zone grise pour le recrutement, souvent fait par des agences privées à l’étranger.

La chercheuse a fait une étude là-dessus, avec un échantillon d’une centaine de travailleurs. Elle a constaté que les travailleurs s’endettent parfois beaucoup pour payer les frais de recrutement. « Le travailleur porte finalement le poids de ce qui s’est passé pendant le recrutement tout le long de l’exécution de son contrat de travail ici. »

Tous les fils ne sont pas noués, et la grosse zone d’ombre, c’est le processus de recrutement; les frais qui sont imposés et les conditions dans lesquelles se passe le recrutement.

Une citation de Dalia Gesualdi-Fecteau, professeure à l’UQAM

Quant à la professeure Hélène Pellerin, elle croit que le PTET incite à des abus, notamment parce que les migrants ont un permis de travail fermé et qu’ils dépendent d’un seul employeur.

Tout comme les employeurs, les deux chercheuses croient qu’il faudrait offrir la résidence permanente aux travailleurs étrangers temporaires. « De là, on va avoir un meilleur levier pour exiger des réformes sur la façon dont les marchés du travail sont gérés. Et il y aura moins d’abus de cette façon-là », fait valoir Hélène Pellerin.

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