Le caribou de la Gaspésie poursuit son déclin

Un caribou sur le mont Jacques-Cartier, en Gaspésie
Photo : iStock / gotrain
Malgré les efforts mis en place pour protéger le troupeau de caribous qui vit au cœur des monts Chic-Chocs, sa population continue de diminuer.
Un texte de Tobie Lebel, de Découverte
Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) a réalisé le mois dernier son inventaire aérien annuel. Même s'il reste du travail d’analyse à faire avant la publication du rapport officiel, les données préliminaires indiquent que la population de caribous est inférieure aux 75 individus estimés l’an dernier.
L’autre chiffre déterminant pour l’avenir du troupeau est le nombre de faons qui survivent à leur premier été, qui est lui aussi en baisse. Car les prédateurs, en particulier les coyotes, sont nombreux à s’aventurer dans le parc national de la Gaspésie, où les caribous se réfugient.
Des pratiques forestières qui favorisent le coyote
Au fil des décennies, les forêts matures de la Gaspésie ont peu à peu été coupées et remplacées par de jeunes forêts, ce qui nuit doublement au caribou.
D’abord, parce qu’il n’y retrouve pas son principal aliment de subsistance, le lichen arboricole, qui s’accroche aux résineux matures, mais surtout parce que les jeunes feuillus qui repoussent permettent la prolifération des chevreuils et des orignaux. Avec une telle abondance de proies, les ours et les coyotes peuvent à leur tour se multiplier.
Résultat : le caribou de la Gaspésie se retrouve isolé sur son îlot de toundra au milieu d’un océan de prédateurs.
Même si on coupe peu chaque année, ça s'additionne. Et on le fait en partant des vallées en déroulant le manteau vers les sommets et on circonscrit, on assiège le caribou dans les derniers habitats, au sommet, qui lui sont favorables.
Un troupeau en voie de disparition
Le caribou de la Gaspésie ne constitue pas une espèce à part entière, mais il possède plusieurs caractéristiques qui le rendent unique, comme son mode de vie montagnard ou sa position au sud du Saint-Laurent.
En 2002, le troupeau a été désigné « en voie de disparition » et, en vertu de la Loi sur les espèces en péril, il dispose d’un territoire protégé, qui englobe la majorité du parc et une partie des réserves fauniques adjacentes.
Pour Martin-Hugues St-Laurent, qui l’étudie depuis plus de 10 ans, cette zone permet au mieux d’éviter son extinction, « mais croire que les 800 kilomètres carrés suffisent à maintenir à eux seuls une population de caribous, c'est illusoire ». La solution à long terme consiste à modifier les pratiques forestières, en particulier aux abords de l’habitat légal du caribou de la Gaspésie.
Freiner l’hémorragie
Mais d’ici à ce que de telles mesures soient mises en œuvre et réduisent la pression que les prédateurs exercent sur le troupeau, le MFFP tente de maintenir un filet de sécurité autour du troupeau. Cette année, quelque 1200 pièges soigneusement disposés ont permis d’éliminer plus de 100 coyotes et 60 ours.
Le biologiste Mathieu Morin, du MFFP, mise aussi sur les trappeurs pour récolter davantage de fourrures pendant l’hiver. « L'idée, c'est de maintenir une pression de piégeage à longueur d'année » explique-t-il.
Le reportage de Tobie Lebel et Louis Faure est diffusé à Découverte, dimanche, à 18 h 30, sur ICI Radio-Canada Télé.
Effacer les cicatrices du passé
Outre la tentative de réduire le nombre de prédateurs, on essaie aussi d’en réduire l’efficacité. Leur quête alimentaire est grandement facilitée par les sentiers de randonnée, les bandes déboisées au pied des pylônes électriques et les chemins forestiers, notamment.
Or, le parc national de la Gaspésie renferme plusieurs de ces chemins, hérités de l’époque où les coupes forestières y étaient permises. Même s’ils sont depuis longtemps à l’abandon, le sol y est tellement compact que la végétation peine à s’implanter, ce qui permet aux coyotes de circuler sans encombre dans le parc et d’approcher des sommets où le troupeau passe la plus grande partie de l’année.
Le responsable de la conservation du parc, Claude Isabel, a donc identifié plus de 20 kilomètres d’anciens chemins, qui ont été ameublis et reboisés cet été avec quelque 35 000 épinettes noires. Mais il faudra s’armer de patience avant d’en voir les effets : « normalement, dans 10, 15 ou 20 ans, ça devrait être suffisamment refermé pour que ce soit moins propice aux prédateurs », estime-t-il.
Quelques raisons d’espérer
Martin-Hugues St-Laurent voit dans ces différentes mesures des pas dans la bonne direction, mais il fait preuve d’un optimisme prudent quant à la survie du troupeau. Son équipe a modélisé les différents scénarios d’intervention, qui montrent que le temps et l’inaction jouent contre le troupeau. D’après le biologiste, « le statu quo pour le caribou de la Gaspésie, c'est une extinction d’ici 40 ou 50 ans ».
Il faudra donc des efforts soutenus et à grande échelle pour tenter de renverser la vapeur et permettre au troupeau non seulement de survivre, mais de proliférer.