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Grippe espagnole : 100 ans plus tard, la « grande tueuse » peut-elle ressurgir?

Des dizaines de patients sont alités sur des lits placés en rangée dans une salle aux dimensions importantes qui s’apparente à un auditorium. Des médecins et des infirmières se tiennent au chevet des malades. La photographie est en noir et blanc.

Des malades de la grippe espagnole admis dans un hôpital près de Fort Riley, au Kansas, en 1918.

Photo : AP Photo/National Museum of Health

Radio-Canada

En 1918, la grippe espagnole, surnommée la « grande tueuse », a fait entre 50 et 100 millions de morts dans le monde, dont plus de 50 000 au Canada et près de 15 000 au Québec. Malgré les avancées de la médecine et les campagnes de vaccination contre la grippe saisonnière, une telle épidémie pourrait-elle survenir de nos jours?

Un texte de Louis Gagné

La grippe espagnole arrive au Canada à la fin de l’été 1918. Les soldats qui participent à la Première Guerre mondiale (1914-1918) en Europe ramènent le virus de type H1N1 à leur retour au pays.

La grippe est foudroyante. Les malades meurent souvent au bout d’une ou deux journées.

Après une accalmie, elle ressurgit à l’hiver 1919, puis au printemps 1920, avant de se dissiper pour de bon. En l’espace de quelques mois, le virus a fait trois fois plus de morts à travers la planète que la guerre de 14-18.

La grippe H1N1 toujours présente

Selon le Dr Jasmin Villeneuve, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), l’apparition d’une nouvelle souche de grippe aussi agressive n’est pas exclue. La pandémie de grippe A (H1N1) de 2009 est là pour nous le rappeler.

« Même si la pandémie n’a pas du tout eu le même impact que la grippe espagnole, c'était quand même un nouveau virus qui est arrivé dans une population qui était non immunisée pour ça et qui s'est quand même répandu rapidement dans la population », relate le Dr Villeneuve.

Des personnes font la file à l’extérieur pour recevoir le vaccin contre la grippe H1N1 à l’automne 2009 à Saint-Eustache, au Québec. À l’avant-plan,  on aperçoit une femme portant un masque anti-projections.

Les centres de vaccination du Québec ont été débordés durant la pandémie de grippe A (H1N1) de 2009.

Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz

Immunité

Comme le virus de la grippe est en constante mutation, l’humain ne développe jamais une immunité parfaite après avoir contracté la maladie, comme c’est le cas pour la varicelle, par exemple. Or, même partielle, l’immunité augmente considérablement les chances de survie des patients, explique le médecin-conseil.

Dans le cas de l'influenza, être déjà un peu protégé, ça peut faire la différence entre : je fais une infection très, très sévère, puis je risque d'en mourir, ou je fais une infection, une grippe, puis j'en sors après une semaine ou dix jours.

Une citation de Dr Jasmin Villeneuve, médecin-conseil à l'INSPQ

C’est justement pour cela que la grippe espagnole de 1918 a principalement tué des jeunes dans la vingtaine. Contrairement à leurs aînés, ces adultes n’avaient jamais été en contact avec la souche H1N1. Ils n’avaient donc développé aucune immunité contre le virus.

Photographie d’archive en noir et blanc montrant trois hommes arborant un masque anti-projection. Les hommes se tiennent côte à côte. Derrière eux, on aperçoit un champ.

Des hommes portent un masque durant l’épidémie de grippe espagnole de 1918 en Alberta.

Photo : La Presse canadienne

Le Dr Villeneuve mentionne que le même phénomène a été observé en 2009 : « On s'est rendu compte que les personnes plus âgées étaient moins affectées parce que le virus qui a circulé […] était apparenté à un autre virus qui avait circulé plusieurs années avant […] Elles avaient donc une immunité qui persistait encore et qui permettait de les protéger. »

Propagation

Plusieurs facteurs ont contribué à diffuser la grippe espagnole en 1918. La promiscuité, les conditions d’hygiène déficientes, la guerre et le développement du transport ferroviaire et maritime ont favorisé la progression du virus à l’échelle du Canada et de la planète.

La rapidité des moyens de transport constitue encore aujourd’hui l’un des principaux éléments favorisant la propagation de la grippe et d’autres maladies telles que le virus Ebola, la rougeole et le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV).

« Les déplacements sont plus rapides que le temps d'incubation des virus ou des infections. Ce qui fait qu'une personne peut s'infecter dans un pays, développer son infection et être contagieuse plus tard dans un autre pays », explique Jasmin Villeneuve.

Des infirmières portent de l'équipement de protection contre le SRAS pendant qu'elles marchent à l'extérieur d'un hôpital de Toronto en 2003.

Des infirmières portent de l'équipement de protection contre le SRAS à l'extérieur d'un hôpital de Toronto en 2003. Dix ans plus tard, la récente épidémie d'Ebola ramène des souvenir douloureux à certains employés de la santé.

Photo : La Presse canadienne / Kevin Frayer

Il rappelle que c’est de cette manière que le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) est entré au Canada en 2003. Une personne ayant contracté le virus à Hong Kong a pris un vol en direction de Toronto, sans savoir qu’elle était infectée, permettant ainsi à la maladie de pénétrer en sol canadien.

Baisse de la mortalité

Puisque les gens voyagent plus souvent et plus rapidement de nos jours, comment se fait-il que les pandémies ne fassent pas autant de ravages qu’au temps de la grippe espagnole?

Les avancées de la médecine et des politiques de santé publique, les mécanismes de surveillance à l’échelle planétaire, la diffusion rapide de l’information au moyen d’Internet et la mise au point de vaccins efficaces, entre autres, contribuent à réduire la mortalité et la progression des maladies.

Une femme pointe un thermomètre infrarouge vers des passagers descendant d'un avion.

Une travailleuse de la santé utilise un thermomètre infrarouge pour détecter de possibles cas de fièvre chez les passagers arrivant à l'aéroport de Mbandaka.

Photo : Getty Images / JUNIOR KANNAH

C’est sans compter qu’il est désormais possible de retrouver rapidement des personnes potentiellement infectées grâce aux réseaux sociaux et aux listes de vol des compagnies aériennes.

« Si je vais sur le site de l’OMS [Organisation mondiale de la santé], je peux suivre chaque jour l'évolution de l'épidémie d'Ebola au Congo […] Je peux savoir ce qui se passe et dire à mes établissements de santé au Québec : ‘’Il y a de l'Ebola au Congo, voici ce qui se passe. Il y a quelqu'un qui vient, voici les mesures à mettre en place’’ », indique le Dr Villeneuve.

En quelques jours, même quelques heures, on peut passer le message. Les informations se rendent et les gens peuvent être préparés à savoir quoi faire.

Une citation de Dr Jasmin Villeneuve, médecin-conseil à l’INSPQ
Gary Kobinger photographié dans un laboratoire

Gary Kobinger, directeur du Centre de recherche en infectiologie (CRI) de l'Université Laval à Québec

Photo : Radio-Canada / Guylaine Bussière

Vigilance

Malgré ces progrès considérables, la survenue de pandémies reste possible, d’où l’importance de rester à jour dans nos méthodes de détection, de prévention et de prise en charge des pandémies, insiste le Dr Villeneuve.

Le médecin-conseil mentionne que les formations et les protocoles mis en place en temps de crise ont tendance à sombrer dans l’oubli une fois que la situation est de retour à la normale.

L’inhalothérapeute Jacob Krygier porte une combinaison de protection Stryker. La combinaison utilise une pression positive pour filtrer l’air.

Une combinaison de protection Stryker utilisée par le personnel de l’hôpital général de North York, à Toronto, durant la crise du SRAS de 2003.

Photo : La Presse canadienne / Kevin Frayer

Il cite l’exemple du SRAS en 2003, qui avait incité plusieurs hôpitaux à acheter des appareils respiratoires autonomes. Quelques années plus tard, le personnel hospitalier était souvent incapable de les retrouver ou de se rappeler leur fonctionnement.

Selon lui, la vigilance et le maintien des connaissances acquises lors de différentes crises représentent le principal défi dans la prévention et la lutte aux pandémies.

La grippe qui n’avait rien d’espagnol

La grippe espagnole doit son nom à la guerre ainsi qu’à la censure militaire qui s’opère dans les pays belligérants. Comme elles sont de nature à miner le moral des populations civiles, les nouvelles sur la grippe sont reléguées à la fin des journaux ou simplement passées sous silence. L’Espagne ne prend pas part au conflit. Ses médias peuvent donc parler plus librement du virus. Lorsqu’il se répand au sein de la famille royale, les journaux ibériques écrivent abondamment sur le sujet. Les médias européens et nord-américains se mettent alors à parler de la « grippe espagnole ».

Références

- «  Grippe espagnole : la grande tueuse  », Québec Science, 8 septembre 2015
- «  Médecin au temps de la grippe espagnole  », entrevue du Dr Albert Cholette réalisée par la journaliste Lizette Gervais pour l’émission La Vie quotidienne, diffusée sur les ondes de Radio-Canada le 1er octobre 1976
- « La grippe espagnole au Canada (1918-1920) » (Nouvelle fenêtre), site Internet de Parcs Canada
- «  ‘‘Elles sont partout…’’ : Les femmes et la ville en temps d’épidémie, Montréal, 1918-1920  », Revue d’histoire de l’Amérique française, volume 58, numéro 1, été 2004

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