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Jair Bolsonaro, un président brésilien aux couleurs de Trump et Duterte

Une foule immense est réunie en arrière-plan. Le focus de la photo est fait sur une petite affiche représentant Bolsonaro.

Jair Bolsonaro a été élu le 28 octobre avec 55 % du suffrage.

Photo : Reuters / Nacho Doce

Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

ANALYSE - On a parlé de lui comme d'un « Trump tropical ». La violence et le simplisme de ses discours, sa propension à cibler et à diaboliser ses adversaires, son succès auprès d'une classe moyenne amère et avide de revanche, le caractère flou de son programme malgré un radicalisme des principes et du verbe : certaines choses rapprochent indéniablement Jair Bolsonaro de Donald Trump.

Député obscur et médiocre pendant un quart de siècle, le président élu du Brésil était surtout connu pour ses outrances verbales, ses attaques personnelles, sa méconnaissance des dossiers et la minceur de son bilan législatif.

Le catalogue de ses déclarations a été maintes fois évoqué : nostalgie de la dictature des années 1960 et 1970, obsession de « l’épuration » de la nation brésilienne, piété évangélique (peut-être feinte, mais profondément stratégique), homophobie, misogynie, racisme assumé, haine de la gauche en général, à qui il a promis « la prison ou l’exil ». On peut, sans exagération, parler d’une personnalité fasciste.

Une violence revendiquée

Cependant, Jair Bolsonaro diffère de Trump par la violence – non pas insidieuse, mais ouverte et revendiquée – de ses attaques et de ses solutions : libéraliser le port d’armes pour réduire l’insécurité endémique, étouffer, voire abolir les ministères de la Culture et de l’Environnement.

Si Donald Trump a été qualifié de « proto-fasciste » aux tendances autoritaires et au dédain dangereux envers les procédures démocratiques, ce radicalisme assumé et constant de Bolsonaro, sur toute une série de questions, permet qu’on lui retire le préfixe « proto ».

Et puis, à la différence de Trump – et malgré un discours semblable de « renouvellement » politique et de tabula rasa –, Jair Bolsonaro est un « faux nouveau », en réalité un vieux routier de la politique brésilienne. Ce n’est pas un « ovni » comme l’était Donald Trump, lorsqu’il a descendu les marches de sa Trump Tower en juin 2015, pour annoncer son improbable candidature.

Un autre parallèle a été proposé pour approcher le personnage, soit celui avec le président des Philippines Rodrigo Duterte, élu comme Trump en 2016.

Duterte, comme Bolsonaro, a l’insulte et l’obscénité faciles (il a traité le pape François de « fils de pute »). Il partage avec le Brésilien la violence verbale, la fascination envers les armes à feu en vente libre et l’« autojustice » comme solution aux problèmes d’insécurité endémique et de trafics illégaux, qui sont communs aux deux pays.

Ce second parallèle éclaire un autre aspect de la personnalité et du style du nouveau président brésilien. En simplifiant, on pourra avancer que Bolsonaro = Trump + Duterte, mais avec une inimitable « touche » brésilienne.

Une ascension fulgurante

En l’espace de deux ans et demi, Jair Bolsonaro a été propulsé au-devant de la scène d’une façon météorique. Pour lui, l’ascension commence lors d’un bref, mais violent discours, lors de la procédure de destitution entreprise en avril 2016 à la Chambre des députés contre la présidente d’alors, Dilma Roussef, émule et successeure de Lula da Silva.

Ce jour-là, en votant pour la mise en accusation de la présidente, comme plus des deux tiers des députés, il exalte la mémoire du colonel Brilhante Ustra, tortionnaire en chef de la dictature (1964-1985), dont les victimes incluaient, au début des années 1970, une jeune bourgeoise passée à la guérilla et prénommée Dilma.

Tout à coup, avec cette incroyable agression verbale, le grossier député de Rio devient une personnalité nationale, enfourchant le cheval de « l’épuration politique » à travers une procédure de destitution très politisée et sans rapport avec une introuvable « corruption » de la présidente Dilma Roussef, devenue plutôt, pour l’occasion, l’agneau du sacrifice.

Paradoxe du moment : la plupart des sénateurs de droite qui, en cet été 2016, jugent et démettent la présidente, en plein coeur des Jeux olympiques de Rio, sont impliqués jusqu’au cou dans des scandales de corruption personnelle, alors que Dilma, elle, n’a jamais mis un sou d’argent sale dans sa poche!

Allié, durant cet épisode, à la droite traditionnelle, Bolsonaro l’utilise alors comme tremplin pour sa propre montée au sommet. Avec le « coup d’État constitutionnel » d’août 2016, la droite pensait s’être débarrassée de Dilma Roussef et du Parti des travailleurs (PT) pour préparer son propre retour au pouvoir. La suite lui a prouvé que non!

C’est un autre type d’animal qui se profilait à l’horizon.

Une conjonction de crises

Qu’est-ce qui peut porter la majorité absolue d’un peuple à voter en 2018 pour un candidat comme Jair Bolsonaro?

En l’occurrence, la conjonction d’une série de crises, réelles et s’empilant les unes sur les autres, qui vont créer dans le public, et s’il le faut, à coups d’exagérations et de fausses nouvelles, l’impression d’une véritable apocalypse nationale. Une apocalypse dont la cause se trouverait essentiellement du côté du PT, et qui appellerait l’irruption d’un personnage providentiel de la « droite dure ».

La sévère récession économique après des années heureuses; la corruption endémique de la classe politique (autant à droite qu’à gauche, même si c’est la gauche que les juges ont ciblée en priorité avec la diabolisation parfaitement réussie du Parti des travailleurs); l’insécurité galopante (65 000 morts violentes par an); un discours alarmiste sur la perte des valeurs traditionnelles... Bolsonaro a littéralement surfé sur l’effroi provoqué par toutes ces crises superposées.

Des alliances traditionnelles

Attention! Tout comme Trump, ce personnage atypique, ou plutôt typique d’une nouvelle époque, peut forger des alliances plus traditionnelles avec des intérêts bien connus.

Avec les lobbies agricoles, il veut faire reculer les protections environnementales. Avec des financiers aujourd’hui en pleine euphorie, il promet de couper radicalement dans l’État-providence progressivement mis sur pied par les présidents Cardoso, Lula et Roussef.

Et avec l’armée, qui aura « son » vice-président (le général à la retraite Hamilton Mourao, un « dur »), le régime Bolsonaro aura d’emblée un bras droit militarisé. Certains comparent déjà Mourao au Dick Cheney qui tirait les ficelles derrière George W. Bush.

Il reste à savoir si tous ces « ingrédients » peuvent mener au fascisme. Ou si, au contraire, la démocratie brésilienne, composée par l’opposition aujourd’hui atomisée, la presse, la société civile et un appareil judiciaire moins partisan, saura réagir et freiner les fortes tendances autoritaires qui triomphent présentement.

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