Les ménages canadiens tireront profit de la taxe carbone, promet Trudeau

Vaut-il mieux capturer le CO2 dans l'air ou bloquer les rayons du soleil pour limiter le réchauffement climatique?
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Le plan de tarification du carbone qu'Ottawa imposera dès l'an prochain à l'Ontario, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba et à la Saskatchewan prévoit que la « plupart des ménages » de ces provinces recevront plus d'argent que ce que le nouveau système leur coûtera.
Un texte de François Messier
C'est du moins ce qu'a affirmé le premier ministre canadien Justin Trudeau en dévoilant mardi à Toronto les détails de ce plan destiné aux seules provinces « qui n'ont pas reconnu que la pollution a un prix ».
Les autres, dont le Québec, ont déjà implanté leur propre système de réduction des gaz à effet de serre (GES).
Depuis longtemps, le système prévoit :
- une redevance sur les combustibles pour les producteurs et les distributeurs qui sera en vigueur le 1er avril 2019;
- un système d’échange des droits d’émission de GES pour les entreprises les plus polluantes, qui entrera en vigueur dès le 1er janvier.
Ottawa prévoit que la redevance sur les combustibles, fixée à 20 $ par tonne de GES en 2019, se traduira par une hausse du prix de l'essence à la pompe de 4,4 ¢ le litre en avril 2019. Dans trois ans, le prix de cette tonne passera à 50 $, ce qui gonflera le prix à la pompe de 11 ¢ le litre, selon les estimations fédérales.
Selon le gouvernement fédéral, pas moins de 90 % des recettes provenant du nouveau système seront directement remises aux contribuables des provinces touchées en vertu d’un programme nommé Incitatif à agir pour le climat. Cela doit permettre de couvrir par exemple la hausse du prix de l'essence et des coûts de chauffage.
L’autre portion des revenus sera versée aux universités, hôpitaux, écoles, municipalités, organismes à but non lucratif et communautés autochtones pour qu’ils puissent accroître leur efficacité énergétique et diminuer leurs émissions de GES. Les modalités de ce programme n'ont pas encore été dévoilées.
Un profit annoncé pour 70 % des ménages
Lors de la séance de breffage technique précédant l'annonce officielle du premier ministre Trudeau, un responsable fédéral a estimé que 70 % des contribuables touchés au pays recevront en bout de piste plus d'argent qu'ils n'en auront déboursé. M. Trudeau a pour sa part affirmé que ce sera le cas pour huit ménages ontariens sur dix.
Selon les estimations du gouvernement, un ménage ontarien moyen recevra 300 $ l’an prochain, alors que le système lui en aura coûté 244 $. Ces montants augmenteront progressivement jusqu’en 2022, parallèlement à la hausse du prix de la tonne de GES imposé par Ottawa.
Concrètement, l'argent sera alloué aux contribuables en fonction du nombre d'adultes et d'enfants qui vivent sous un même toit, après l'envoi de leur déclaration d’impôt. L'argent sera ajouté au remboursement que doit recevoir un contribuable ou déduit du montant qu'il doit au fisc, selon le cas.
Les contribuables recevront la somme une première fois l'an prochain, peu avant la prochaine élection fédérale.
Toutes les sommes collectées par le gouvernement fédéral dans une province y seront retournées. Le fait que chaque province n'utilise pas la même source d'électricité explique d'ailleurs pourquoi les montants recueillis et remis ne seront pas les mêmes.
Les sommes versées aux contribuables vivant à l'extérieur des zones urbaines seront bonifiées de 10 %, afin de tenir compte du fait que leur consommation énergétique est plus élevée et qu'ils n'ont pas accès à des services de transport en commun.
Il est à noter que le Nunavut et le Yukon ont décidé d'opter librement pour le système fédéral de tarification du carbone. À l'Ile-du-Prince-Édouard, seul le système d’échange des droits d’émission de GES pour les entreprises les plus polluantes sera en vigueur, la province ayant choisi de tarifer elle-même le carbone.
Ottawa prévoit que son système de tarification de la pollution permettra de réduire les émissions de GES de 50 à 60 millions de tonnes d’ici 2022. Ce résultat est inférieur à celui de 80 à 90 mégatonnes anticipé en avril dernier, en raison de la décision du nouveau gouvernement ontarien de se retirer du marché du carbone, explique le gouvernement Trudeau.
Le gouvernement avance en outre que son nouveau système n’amputera que très légèrement la croissance annuelle du produit intérieur brut canadien, qui passerait de 1,8 % à 1,7 % pour la période 2018-2022. En avril dernier, le directeur parlementaire du budget anticipait plutôt une baisse du PIB réel de 0,5 %.
« Le vrai problème, c’est que la pollution est gratuite », dit Trudeau
En conférence de presse devant des étudiants du Collège Humber, à Toronto, le premier ministre Trudeau a prononcé un long plaidoyer en faveur de la lutte contre les changements climatiques, un phénomène attribuable à l'activité humaine prouvé scientifiquement depuis longtemps.
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Le premier ministre a évoqué le plus récent rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui presse le monde de réduire considérablement ses émissions de GES d'ici 12 ans s'il veut éviter le pire, soit des dérèglements climatiques graves.
« Nous sommes la première génération à avoir appris comment régler ce problème, mais nous sommes la dernière génération capable d’agir en conséquence », a résumé M. Trudeau pour défendre l'urgence d'agir. Taxer la pollution est une idée ambitieuse, mais pas radicale, a-t-il ajouté.
« Nous savons que les gens veulent faire partie de la solution pour contrer les changements climatiques, mais nous savons aussi qu’on doit aider les gens dans cette transition », a-t-il ajouté. « C’est exactement ce que nous allons faire. Ils vont être mieux avec cet argent qu’ils l’étaient avant le prix sur la pollution dans les provinces qui n’ont pas voulu faire leur propre plan. »
Anticipant des réactions négatives de la part des politiciens « conservateurs » qui refusent de tarifer le carbone et « continuent de penser qu'on peut repousser le problème » de la lutte contre les changements climatiques, le premier ministre y est allé de quelques salves bien senties à leur intention.
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« L'ONU a été très claire. On a 12 ans pour agir. On a déjà attendu très longtemps, trop longtemps. Le moment est venu pour agir maintenant », a-t-il ajouté. Il a cité en exemple le Québec et la Colombie-Britannique, « deux provinces qui ont leur propre plan de lutte contre le changement climatique et qui ont démontré que croissance et protection de l'environnement vont main dans la main ».
Un plan « néfaste », selon Andrew Scheer
Le chef conservateur Andrew Scheer a mis moins d'une heure à réagir au dévoilement des détails du plan, qu'il a assimilé à une « astuce électorale » destinée à « tromper les Canadiens », qui « paieront plus de taxes sur les produits essentiels ».
Selon lui, il s'agit en fait d'un plan fiscal « déguisé » en plan de lutte contre les émissions de GES, qui « va rendre tout plus cher pour les gens qui peuvent se le permettre le moins ».
Cela inclut les gens qui font de longs trajets dans la circulation pour se rendre au travail, qui conduisent leurs enfants à leurs activités sportives, qui ne peuvent pas se payer une nouvelle fournaise à la maison ou acheter une voiture électrique, a-t-il énuméré.
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Andrew Scheer soutient que M. Trudeau n'a toujours pas expliqué pourquoi il a offert des « exemptions » aux plus grands pollueurs industriels au pays, une référence à la décision d'Ottawa de modifier le pourcentage des émissions de GES des grandes entreprises qui seront assujetties à la taxe sur le carbone.
Selon une ébauche de règlement publiée en janvier, le gouvernement avait fixé à 70 % des émissions moyennes le seuil au-delà duquel les industries devraient commencer à payer une taxe sur le carbone. Ce seuil a été rehaussé à 80 %, cet été, voire à 90 % pour quatre secteurs considérés plus exposés à la concurrence étrangère. Il s'agit des producteurs de ciment, de fer et d'acier, de chaux et d'engrais azotés.
Revoir les cibles à la hausse
Le chef néo-démocrate Jagmeeet Singh a pour sa part rappelé qu'il est en faveur d'une tarification du carbone, mais n'en a pas moins critiqué différents aspects du plan de lutte contre les changements climatiques du gouvernement Trudeau.
Selon lui, le gouvernement devrait se fixer des objectifs de réduction de GES plus ambitieux que ceux qu'avaient fixés les conservateurs de Stephen Harper. Il aurait également dû investir davantage dans l'innovation et les énergies renouvelables plutôt que de dépenser 4,5 milliards de dollars pour acheter l'oléoduc Trans Moutain.
M. Singh croit par ailleurs que les montants consentis aux contribuables des quatre provinces où sera implanté le système fédéral devraient être distribués de façon plus progressiste, afin de protéger les familles les plus pauvres. Le principe général du NPD en la matière est que ceux qui polluent le plus devraient aussi être ceux qui paient le plus lourd tribut.
La cheffe du Parti vert, Elizabeth May, a félicité le gouvernement Trudeau pour avoir mis de l'avant cette approche « intelligente », défendue de longue date par son parti. Le fait que les conservateurs la rejettent est d'une « grande ironie », a -t-elle ajouté, dans la mesure où le plan fédéral s'appuie non seulement sur la réglementation, mais sur les lois du marché.
À l'instar de Jagmeet Singh, elle plaide cependant pour que le gouvernement révise à la hausse ces objectifs de réduction des GES à l'horizon 2030. Le dernier rapport du GIEC plaide pour que le monde les réduise de 45 % par rapport à leur niveau de 2010, alors que le but poursuivi au Canada à l'heure actuelle est de les faire diminuer de 30 % par rapport au niveau de 2005.
En Ontario, le premier ministre conservateur Doug Ford a assimilé le plan fédéral à une « arnaque fiscale » qui « ne change rien du tout pour l’environnement », mais qui fera « mal aux emplois et aux familles ».
Le Québec salue la décision d’Ottawa
La nouvelle ministre de l’Environnement du Québec, MarieChantal Chassé, y voit une bonne nouvelle.
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Mme Chassé rappelle que le Québec a fait son entrée dans un marché du carbone en janvier 2014. Elle se réjouit que le gouvernement fédéral ait reconnu l’efficacité de ce marché, « ce qui nous permet au Québec, de continuer à agir à notre façon ».
Pressée de livrer son avis sur le remboursement envisagé par Ottawa au profit des provinces réfractaires, alors que les Québécois n’en bénéficieront pas, la ministre Chassé s’est contentée de répéter qu’elle était heureuse que le gouvernement fédéral reconnaisse le programme québécois.
Mme Chassé, qui dit vouloir conserver le marché du carbone et le fonds vert, entend revoir le fonctionnement du fonds « pour m’assurer que les résultats sont au rendez-vous, mesurables avec des indicateurs de performance ».