L'argumentaire de Trudeau « presque digne d'un climatosceptique », selon un responsable de Greenpeace

Justin Trudeau et Patrick Bonin
Photo : La Presse canadienne et Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace Québec, Patrick Bonin, considère que Justin Trudeau a menti dimanche à l'émission Tout le monde en parle lorsqu'il a dit que le Canada allait atteindre sa cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour 2030. Il juge aussi que les arguments du premier ministre pour justifier les appuis du gouvernement à l'industrie pétrolière sont « presque dignes d'un climatosceptique ».
Un texte d’Isabelle Maltais
À Tout le monde en parle, Justin Trudeau répondait justement aux propos qu’avait tenus M. Bonin à la même émission la semaine précédente.
« On est dans un pays […] où le plus gros des lobbys, c’est le lobby pétrolier. Ne vous demandez pas pourquoi on en est rendus à acheter des pipelines. C’est clairement parce que ce lobby-là a énormément d’influence. Il faut que la population se lève et pousse M. Trudeau, parce qu’on ne respectera pas notre cible de réduction de GES d’ici 2030 », avait déclaré Patrick Bonin.
Huit jours plus tard (lundi matin), sur Facebook, Patrick Bonin a continué sa diatribe envers le premier ministre. En plus d’écrire que Justin Trudeau « a menti », M. Bonin a aussi affirmé que les réponses de M. Trudeau « désinforment et reprennent des argumentaires fallacieux ».
Questionné ensuite par Radio-Canada, Patrick Bonin, loin de tenter d’atténuer l’effet de ses paroles, en a rajouté.
« La production de pétrole par les sables bitumineux, c’est la principale source d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre au pays. M. Trudeau dit qu’une transition est nécessaire [avant de pouvoir en diminuer la production]. Mais cette transition-là, ce n’est pas dans 100 ans qu’il faut la faire, c’est tout de suite. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat [GIEC] nous dit qu’on a 12 ans pour couper de moitié nos émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial [si on veut limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré Celsius, la cible jugée sécuritaire par la communauté scientifique] », souligne le responsable de Greenpeace.
En disant qu’il y a une transition et que ça va prendre du temps, M. Trudeau est en train de nier la science. C’est à la limite presque digne d’un climatosceptique de remettre ça à plus tard, alors qu’il y a urgence et que les scientifiques sonnent l’alarme.
Patrick Bonin considère également que le premier ministre fait preuve de démagogie lorsqu’il dit que même si le Canada arrêtait toute émission de gaz à effet de serre demain, cela ne ferait pas une grosse différence si les autres pays de la planète n’ont pas eux-mêmes de solutions.
« Ça sous-entend que le Canada n’a pas un rôle central à jouer dans la lutte contre les changements climatiques. Ce dont les autres pays de la planète s’attendent de la part d’un pays riche et industrialisé comme le Canada, qui est parmi les plus gros pollueurs par habitant, c’est d’être un leader exemplaire, ce qui est loin d’être le cas actuellement », lance-t-il.
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Un plan incohérent
Patrick Bonin déplore le plan de réduction de GES des libéraux, le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, lequel, dit-il, n’en fait pas assez.
Non seulement le gouvernement a adopté pour 2030 la même cible de réduction de GES que le gouvernement Harper avait adoptée, mais on sait qu’il n’atteindra pas cette cible-là, à moins qu’il n’y ait un sérieux coup de barre apporté. C’est encore des petits pas, des demi-mesures, de l’incohérence.
Selon les évaluations mêmes du gouvernement fédéral, qui a déposé en décembre dernier à l’ONU un rapport détaillé des émissions de gaz à effet de serre du Canada et de ses projections pour l'avenir, le pays ratera de 66 millions de tonnes de GES son objectif de réduction.
« Soit presque toutes les émissions du Québec, ou, en termes de véhicules, presque 15 millions de véhicules », note M. Bonin.
Le responsable de Greenpeace souligne de plus que, « pire encore, le gouvernement canadien est en train de reculer sur sa cible ».
L’écart de 66 millions de tonnes qui est calculé actuellement était moins élevé avant. Plus les années avancent, plus on s’éloigne de la cible. Donc, quand M. Trudeau affirme que le Canada va atteindre sa cible de réduction des gaz à effet de serre, pour nous, c’est clairement induire la population en erreur.
« Oui, M. Trudeau reconnaît que les changements climatiques sont un problème; il propose davantage de mesures que les conservateurs actuellement, mais clairement, il n’est pas à la hauteur de ce que la science exige. Il n’est pas à la hauteur du défi », déclare-t-il.
Les sables bitumineux en cause

L'extraction du bitume au site Long Lake, en service depuis 2008, utilise un procédé intitulé in-situ, qui consiste en l'injection de vapeur pour diluer la matière naturellement visqueuse.
Photo : Radio-Canada / Geneviève Normand
Patrick Bonin est catégorique : le gouvernement doit rapidement prendre des mesures pour que la production de pétrole issu des sables bitumineux diminue.
« Ce que les groupes environnementaux au Canada ont toujours demandé, c’est qu’on plafonne la production et les émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier. M. Trudeau a allégué hier qu’il existe une limite d’émissions au Canada. Cela est vrai, en théorie. Cette limite-là a été mise en place par le gouvernement albertain, mais elle permet quand même une augmentation de plus de 30 % des émissions de ce secteur-là d’ici 2030 », mentionne-t-il.
M. Bonin explique qu’en 2016, les émissions de gaz à effet de serre découlant de la production de pétrole issu des sables bitumineux se situaient à 72 millions de tonnes au Canada. De son côté, le plafond d’émissions proposé par l’Alberta est de 100 millions de tonnes en 2030, ce qui permet une augmentation importante de la production d’ici là.
Des mesures « courageuses » sont nécessaires
Pour Patrick Bonin, le Canada ne pourra arriver à diminuer considérablement ses émissions de GES que s’il accepte de prendre des mesures draconiennes.
« Investir dans des solutions pour s’affranchir des combustibles fossiles, l’argent qui s’en va actuellement en subventions de 1 milliard par année directement aux compagnies pétrolières et gazières du Canada et les 15 milliards que veut mettre le gouvernement dans le pipeline Trans Mountain. Investir dans les énergies propres, dans le transport collectif, dans les énergies renouvelables », énumère-t-il.
Plus on attend avant de faire cette transition-là, moins le Canada se positionne parmi les leaders de cette économie qui est déjà foisonnante et qui n’est vouée qu’à s’accélérer et à prendre de l’expansion. C’est l’économie de l’avenir. Le gouvernement allonge actuellement des milliards pour une économie sur le respirateur artificiel.
Le gouvernement Trudeau ne semble cependant pas encore prêt à faire le grand saut. Questionné par le NPD à ce sujet à la Chambre des communes lundi après-midi, Justin Trudeau a réitéré l’importance de protéger l’environnement, mais en s’assurant du même coup d’une bonne croissance économique.
« Notre gouvernement s’assure de faire croître l’économie et de protéger l’environnement, en combattant le changement climatique et en atteignant les cibles de réduction de gaz à effet de serre tout à la fois », a-t-il répondu.