Les hommes boudent l'enseignement primaire

Éric Tremblay tente d'inculquer le goûts des livres à ses élèves.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Confrontées à une pénurie de personnel enseignant, les écoles primaires sont aussi boudées par les hommes. Au Québec, ils représentent à peine 12 % des enseignants. Et ils sont encore moins nombreux sur les bancs d'école à choisir ce métier.
Un texte de Jean-Philippe Robillard
Difficile de se promener dans les corridors de l'école primaire Alexander-Wolff de Shannon, près de Québec, sans entendre parler d'Éric Tremblay, le coloré professeur de sixième année.
Ici, tout monde le connaît et semble apprécier sa joie de vivre. Son local de classe est à son image : il n'a rien de conventionnel. Il n'y a pas de pupitres. Pas d'élèves non plus assis un derrière l'autre en rangs d'oignons. Sa classe, c'est le monde de celui que ses élèves appellent monsieur Éric.

Éric Tremblay est un des rares hommes à enseigner au primaire.
Photo : Radio-Canada
Eric Tremblay n'est pas un enseignant comme les autres. C'est un passionné. C'est aussi un oiseau rare dans son école. Sur les 27 personnes qui enseignent dans cet établissement, on ne compte que trois hommes, dont Éric.
« On n'est pas beaucoup », reconnaît-il. « De tout temps, d'une école à l'autre où je me promène, on est deux, trois ou quatre », poursuit celui qui enseigne depuis 14 ans. Pour lui, ça soulève des questions. « En société, on cherche toujours l'équilibre, le 50-50, la parité. Pourquoi ça devrait être autrement dans une école primaire? »
Trop peu d'enseignement au masculin
Au Québec, les hommes représentent à peine 12 % du personnel enseignant permanent au niveau primaire.
« Quand tu es un homme, que tu évolues dans un milieu majoritairement féminin, je pense que ça peut être difficile », estime l'enseignante de 6e année Josée Martel, une collègue d'Éric. Pour elle, il n'y a pas de doute, les hommes ont leur place dans les classes des écoles primaires.
« C'est sûr que l'approche d'un homme et d'une femme ne sera pas tout à fait la même, affirme l'enseignant Éric Tremblay. Plus tu multiplies les types d'expériences que des enfants peuvent faire dans un parcours scolaire, le mieux outillés ils vont être. »
Selon Égide Royer, professeur titulaire associé à la faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval, il faut plus d'hommes dans nos écoles primaires. « Une bonne école serait une école où la proportion hommes-femmes est beaucoup plus que ce qu'on a présentement. »
Sur les bancs d'école
Le problème, c'est qu'une minorité d'hommes choisissent encore aujourd'hui d'étudier l'enseignement primaire à l'université. Une visite dans les facultés d'éducation nous a permis de constater le phénomène.
À l'Université de Montréal, il n'y a que 85 hommes sur les 1041 étudiants au baccalauréat pour devenir enseignant au primaire. Les hommes représentent donc à peine 8 % des étudiants actuellement. Dans la plupart des facultés d'éducation, les taux sont sensiblement les mêmes. Ils varient de 8 % à 10 %.
Depuis 10 ans, le nombre d'étudiants inscrits au baccalauréat à l'enseignement préscolaire et primaire n'a presque pas bougé. Il est demeuré stable. Rien pour augmenter dans l'avenir le nombre d'hommes dans les classes du primaire.
Inciter les hommes à enseigner
Le chercheur Égide Royer affirme que peu d'hommes choisissent l'enseignement primaire à l'université, car les modèles masculins au niveau élémentaire se font rares.
Traditionnellement, c'est un métier qui est féminin.
Selon lui, des programmes devraient être mis en place pour encourager les hommes à enseigner au primaire. « Autant on a des programmes pour valoriser le fait pour des femmes d'aller vers des emplois non traditionnellement féminins, autant on n'a pas de programmes pour faire l'inverse », déplore-t-il.
Pour valoriser la profession et recruter davantage de personnel enseignant, la Coalition avenir Québec propose de bonifier le salaire des nouveaux enseignants de 8000 $. Mais pour l'enseignant Éric Tremblay, il faut plus que ça. « Très personnellement, je ne vois pas comment 8000 $ vont changer complètement la perception que les gens ont du métier d'enseignant. [...]. » « Ce 8000 $, j'aimerais beaucoup plus l'avoir en ressources », ajoute-t-il.
Un point de vue que partage l'ancien directeur d'école Patrick L'Heureux. « Je ne pense pas que la question salariale va régler la question des hommes dans nos écoles, parce qu'il y a toute la question de la valorisation de la profession », soutient-il.

L'ancien directeur d'école Patrick L'Heureux estime qu'il y a beaucoup de travail à faire pour attirer les hommes dans la profession d'enseignant au primaire.
Photo : Radio-Canada
Moi, mon grand rêve comme directeur, c'était d'avoir un homme par niveau de la première à la sixième année.
L'ancien directeur n'est jamais parvenu à réaliser son rêve pendant ses 22 années de carrière. Il affirme qu'il a toujours manqué d'hommes dans les classes de ses écoles. « Comme directeur, dans toutes mes années, c'est à peine si j'en ai vu passer dix qui sont venus faire des stages chez moi. »
« C'est vraiment une race rare, ajoute Patrick L'Heureux. Dieu sait que ce sont des modèles pour les petits bonshommes qui sont dans nos écoles. Dans nos écoles actuellement, qui sont les hommes? Peut-être un enseignant, le concierge, le prof d'éducation physique ou le prof de musique. »
Un enseignant, un modèle
Le rôle joué par les enseignants au niveau primaire est encore plus grand dans les milieux défavorisés ou auprès des enfants vivant dans une famille monoparentale.
Dans sa classe, Éric Tremblay le constate. Les élèves du niveau primaire ont besoin de modèles masculins et particulièrement les jeunes garçons. « Tu es un jeune garçon, tu vois un homme que tu respectes qui va adorer la lecture et l'écriture et qui va écrire avec toi, décrit-il. Ça peut juste envoyer le bon message. »
« Je prends exemple sur lui », affirme Gabriel Verette, un élève de 6e année.
Le garçon souligne que tout a changé depuis qu'il fréquente la classe d'Éric. « L'année passée, mon comportement n'était pas numéro un. [...] Si je prends son exemple, j'ai l'impression que je monte plus haut. Il m'emmène plus loin », convient-il.
« Tu ne vas pas prendre la place de quelqu'un d'autre, précise l'enseignant Éric Tremblay, mais c'est sûr que dans certaines situations familiales précises, il y a des moments où tu as à faire figure de référence masculine ou partenelle. »
Trouver sa place

Philippe Verreault est un des rares hommes à étudier pour enseigner au primaire.
Photo : Radio-Canada
Issu d'une famille monoparentale, Philippe Verreault étudie aujourd'hui à l'Université de Montréal pour devenir titulaire au niveau primaire.
On a l'impression que c'est une profession féminine, que l'homme n'a pas sa place en enseignement primaire.
Le jeune homme de 25 ans affirme que c'est un enseignant qui lui a donné le goût de l'enseignement quand il était en sixième année. « Moi, j'ai vécu dans une famille qui était séparée, alors je voyais moins souvent mon père. C'est peut être une chose qui a fait que cet enseignant a eu impact un peu plus important dans mon parcours scolaire », convient-il.
« Quand j'ai eu ce modèle masculin devant moi, je me suis mis à être plus studieux à l'école et tout de suite mes résultats ont augmenté, ajoute l'étudiant. J'avais besoin que cet enseignant me dise : "félicitations". C'était quelque chose qui était important pour moi. »
« De manière globale, avec des modèles de lecture masculins et des modèles de réussite masculins, il y a un velcro qui accroche et qui se développe beaucoup avec certains jeunes », remarque le chercheur et psychologue Égide Royer.
Les jeunes garçons qui accrochent à l'enseignement de monsieur Éric pourraient donc éventuellement enseigner à leur tour un jour.