Apple accusée de surfacturer et de restreindre les réparations de ses appareils

Des ordinateurs portables en vente dans une boutique Apple aux États-Unis.
Photo : Reuters / Stephen Lam
Une enquête de CBC News a révélé que le géant de l'informatique Apple surestimait souvent le coût de réparation de ses produits, en plus de menacer les magasins indépendants qui offrent de réparer ses appareils pour une fraction du prix.
Un texte d'Alex Shprinsten, de CBC News
Les clients qui se présentent dans une boutique Apple pour faire corriger un problème technique supposément mineur, comme un écran qui clignote, doivent souvent débourser des sommes importantes, puisqu'on leur affirme qu'ils doivent faire remplacer des pièces importantes de leur appareil.
La compagnie californienne autorise uniquement les réparations par des techniciens travaillant dans ses boutiques ou encore dans des centres de service « autorisés » pour que les appareils demeurent sous garantie.
Selon Jason Koebler, qui parle régulièrement d'Apple en tant que rédacteur en chef de Motherboard, le site d'informations spécialisé en technologie et en science du média Vice, il s'agit là d'un problème fréquent.
« J'ai déjà brisé mon [ordinateur portable] MacBook, je l'ai apporté chez Apple, et on exigeait 700 $ pour réparer l'écran. J'ai fini par corriger le problème moi-même pour 50 $. Cela se produit tout le temps », dit-il.
« Il y a beaucoup de tierces parties qui peuvent effectuer des réparations qu'Apple refuse de faire parce qu'elles ne sont pas rentables à grande échelle, ou parce que la compagnie préfère carrément remplacer. Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles des gens ne veulent pas être des tiers autorisés et travailler, en gros, pour Apple, alors qu'ils peuvent travailler pour eux-mêmes. »
Apple a refusé d'accorder une entrevue dans le cadre de cette enquête, mais a nié qu'il existait une stratégie visant à surfacturer les réparations.
CBC News a utilisé une caméra cachée pour vérifier des informations voulant que des clients d'Apple soient régulièrement informés du fait que leur ordinateur endommagé ne vaille pas la peine d'être réparé, même lorsque des corrections mineures pourraient régler le problème.
Après avoir examiné un MacBook Pro atteint d'un problème répandu où l'écran ne s'affichait pas correctement, un employé du magasin Apple Store a répondu en soutenant que l'appareil avait besoin d'importantes réparations coûtant plus de 1200 $.
Questionné à savoir s'il existait une autre raison expliquant les dégâts subis par l'ordinateur, ou une solution de rechange moins onéreuse pour effectuer les réparations, l'employé a soutenu qu'il n'y en avait aucune.
« Ce prix s'approche du coût d'achat d'un ordinateur neuf », a dit l'employé. « Peut-on réparer le tout en magasin? Non. »
Réparations « non autorisées »
Louis Rossmann possède un petit magasin de réparations d'ordinateurs sur la 1re Avenue à Manhattan, le genre d'endroit qualifié de « non autorisé » par Apple.
M. Rossmann a commencé à réparer des ordinateurs pour le plaisir à l'université, et attire maintenant des millions de clics sur ses vidéos publiées sur YouTube, où il explique au public comment réparer des ordinateurs et des téléphones.
Ayant reçu l'ordinateur décrit par l'Apple Store de Toronto comme nécessitant des réparations au coût dépassant les 1200 $, M. Rossmann a identifié une languette de métal tordue qui aurait dû permettre d'alimenter le rétroéclairage.
Après avoir redressé la languette, le problème a semblé être résolu. Pour M. Rossmann, cela ne justifiait pas des coûts de 1200 $.
« Si quelqu'un voulait simplement que je redresse la languette, je ne demanderais pas d'argent », a-t-il dit, avant d'ajouter qu'il exigerait de 75 $ à 150 $ si le client voulait que la languette soit carrément remplacée.
« Quatre-vingt-dix-neuf pour cent du temps, simplement redresser la languette permettra à l'ordinateur de continuer à fonctionner jusqu'à la fin de sa vie utile. »
Questionnée à propos de ce cas et sur les nombreuses allégations de multiplication d'événements similaires, Apple n'a pas voulu dépêcher un porte-parole. La compagnie a toutefois publié une déclaration officielle où elle soutient que ses clients sont avantagés par les « experts certifiés d'Apple qui utilisent des pièces officielles », et a nié qu'elle surfacturait systématique les réparations.
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« Droit de faire réparer »
Outre les boutiques qui effectuent des réparations non autorisées de produits Apple, un site web appelé iFixit offre des solutions de réparations manuelles à partir d'un entrepôt sis en Californie. On y teste des appareils, on tente d'établir les raisons sous-tendant des problèmes techniques récurrents, et on y développe des techniques ainsi que des outils pour en venir à bout.
L'entreprise emploie 125 personnes et engrange plus de 20 millions de dollars américains par année en vendant de l'équipement et des manuels de réparation en ligne qui visent à surmonter les difficultés créées par des compagnies comme Apple.
Kyle Wiens, un Californien de 34 ans, a cofondé iFixit il y a 15 ans alors qu'il était jeune adulte. Il est également très engagé auprès du mouvement international « Droit de faire réparer », qui fait pression auprès des gouvernements pour faire modifier des lois et faciliter la survie des compagnies de réparations « non autorisées ».
« »
« Il fut une époque où si vous achetiez quelque chose, vous étiez capable de le réparer au besoin, mais au fil du temps, nous avons perdu cette capacité, qu'il s'agisse d'un aspirateur, d'une télévision ou d'un ordinateur portable. Il est de plus en plus complexe d'avoir accès à l'information nécessaire ou, pour les magasins locaux, d'obtenir des pièces. »
Voilà des années que M. Wiens lutte contre Apple, tentant de forcer la compagnie à rendre la vie plus facile à ceux qui ne veulent pas faire réparer leur appareil dans les magasins Apple ou dans des boutiques autorisées.
« Apple n'aime pas beaucoup le mouvement du Droit de faire réparer, dit-il. La perspective d'Apple est que la compagnie souhaite exercer un contrôle complet sur les appareils, du moment où vous les achetez jusqu'à la fin de leur vie utile. »
Au dire de M. Wiens, la compagnie évaluée à plus de 1000 milliards de dollars l'a périodiquement menacé de poursuites pour avoir supposément violé les lois sur les copyrights.
« Le droit de faire réparer leur enlève une partie de ce contrôle et le rend aux propriétaires des appareils », ajoute-t-il.
« »
Astuces
En plus de créer des obstacles visant à empêcher la publication de manuels et d'instructions permettant les réparations, M. Wiens soutient qu'Apple a également employé des astuces physiques, dans les appareils eux-mêmes, pour empêcher les réparations rapides.
Selon lui, la compagnie colle les piles dans leur logement, emploie son propre type de vis, et reprogramme ses systèmes d'exploitation pour éviter que des boutons physiques qui sont remplacés de façon non autorisée sur les téléphones iPhone fonctionnent correctement.
« Ils veulent rendre leurs appareils plus difficiles à ouvrir à l'aide d'outils répandus », dit-il.
« Cela découle d'une mentalité voulant qu'Apple soit le centre de l'univers, et que personne d'autre ne puisse faire quoi que ce soit avec leurs produits. »
Malgré le fait qu'Apple maintienne que les réparations de ses produits sont plus efficaces lorsqu'elles sont effectuées par ses propres employés, elle a intenté des poursuites contre les tierces parties qui offrent des services de réparation, menaçant M. Rossmann et iFixit lorsqu'ils publient des informations ou des manuels de réparation en ligne.
« Puisque Apple publie le manuel d'utilisation, elle en possède les droits, alors si vous le publiez en ligne, elle menacera de vous poursuivre », mentionne M. Wiens, avant d'ajouter que les sommes potentiellement exigées pourraient atteindre 150 000 $ à chaque occasion.
« Ces menaces judiciaires ont vraiment nui à la diffusion d'informations en ligne concernant les réparations. »
Apple se tourne également vers des institutions gouvernementales pour l'aider à mener son combat, faisant régulièrement saisir des pièces détachées lorsque celles-ci sont expédiées en Amérique du Nord en provenance de pays comme la Chine, soutient M. Koebler.
« Apple travaille avec le département américain de la Sécurité nationale (DHS) et avec les services frontaliers pour faire respecter ses copyrights et sa propriété intellectuelle », dit-il.
« Il y a eu un cas, il y a quelques années, en Floride, où le DHS a effectué une descente dans une boutique non autorisée, et a confisqué des centaines d'écrans pour iPhone, en plus d'arrêter un employé. »
Démarches législatives
Les gouvernements de certains États américains ont cherché à agir dans ce dossier; 17 d'entre eux ont présenté des projets de loi qui forceraient Apple et d'autres compagnies à fournir des instructions, des manuels permettant les réparations et des pièces détachées aux tierces parties.
L'un de ces États est l'État de New York, où les partisans du projet de loi croient que cette loi serait positive pour les consommateurs et l'économie.
« Vous allez constater la croissance d'une industrie rassemblant des gens qui s'intéressent aux réparations et qui pourront désormais obtenir des codes de diagnostic, des outils pour effectuer des réparations, des fournitures », a indiqué le leader de l'Assemblée législative de l'État de New York, Joe Morelle.
« Il est clairement plus avantageux pour les consommateurs d'avoir accès à des réparations pour un appareil qui peut coûter 1000 $. »
De son côté, M. Wiens attend qu'un État – n'importe lequel – adopte une telle loi.
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« Si l'Ontario décidait d'adopter une loi pour le droit de faire réparer, cela voudrait dire en fait qu'une telle loi serait adoptée à l'échelle mondiale, puisque les fabricants ne fourniront pas des produits différents dans chaque juridiction. Ils veulent simplifier leurs activités. »
M. Rossmann, pour sa part, dit ne pas exiger grand-chose, et souhaite simplement qu'on le laisse travailler en paix. « J'aimerais qu'Apple change en reconnaissant que s'ils ne sont pas intéressés à effectuer certaines réparations, quelqu'un d'autre pourrait vouloir le faire », dit-il.
« Je ne leur demande même pas d'offrir un rameau d'olivier. Je leur demande uniquement d'enterrer la hache de guerre. »