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Affaire Khashoggi : l’Amérique lave plus blanc que blanc

Le secrétaire d'État américain Mike Pompeo discute avec le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane.

Le secrétaire d'État américain Mike Pompeo s'est entretenu avec le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane, le 16 octobre.

Photo : AFP/Getty Images / LEAH MILLIS

ANALYSE – Envoyé spécial du président Donald Trump en Turquie et en Arabie saoudite cette semaine, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo rapporte sans doute des histoires intéressantes à raconter à son patron.

Mardi, on l’avait vu, tout sourire, écoutant d'un air approbateur son ami le prince Mohammed ben Salmane, alias MBS, supposé « grand réformateur » saoudien de 33 ans. Un homme aujourd’hui soupçonné dans le monde entier d’avoir commandé l’assassinat politique de Jamal Khashoggi, journaliste dissident réfugié aux États-Unis, qui a pénétré le 2 octobre dans un consulat à Istanbul dont il n’est jamais ressorti.

Mercredi, Pompeo avait l’air plus sérieux, voire un peu sombre. Il ressortait d’une rencontre avec le président turc Recep Tayyip Erdogan et un chef des services secrets de Turquie. Ils lui ont communiqué toute une série de détails accablants sur la mort violente de Khashoggi et, selon toute probabilité, des preuves de l’implication directe des autorités saoudiennes dans ce qui s’apparente à un assassinat d’État.

Pompeo et son patron, au fil de leurs déclarations cette semaine, n’ont pas pu cacher leur véritable objectif dans cette affaire : laver, laver plus blanc que blanc le bon ami saoudien! Mettre au point, avec les inestimables et indispensables alliés que sont les princes et rois de Riyad, une version édulcorée, diplomatiquement correcte et politiquement vendable de l’horrible acte de violence du 2 octobre. Pour passer l’éponge le plus vite possible et poursuivre une relation faite de ventes d’armes, d’achats de pétrole et de menaces envers l’Iran.

L’Arabie saoudite, allié indispensable

Mardi, on a entendu le président Trump dire que les ventes d’armes à Riyad (qu’il a chiffrées à plus de 100 milliards de dollars) sont trop précieuses pour qu’on risque de les compromettre en punissant Riyad trop sévèrement. Mercredi, dans un extrait diffusé sur Fox News, M. Trump affirmait que les États-Unis « ont absolument besoin de l'Arabie saoudite dans la lutte contre le terrorisme ». En précisant : « Particulièrement s’il s’agit d’affaires impliquant l’Iran! »

Tout cela, au moment même où cet allié indispensable, ce si grand ami, se livre lui-même à des actes qui – s’ils avaient été perpétrés par l’Iran – auraient été immédiatement qualifiés de terroristes! Mais aux amis comme ça, avec leurs milliards et leur pétrole – et qui plus est, de si bons clients pour les armements – on est prêt à pardonner beaucoup.

Le président américain a lui-même plaidé ardemment pour le bénéfice du doute envers les Saoudiens. Dans un entretien accordé à l’agence Associated Press, il réclame qu’on applique à l’endroit de l’Arabie saoudite et de ses dirigeants le principe de présomption d'innocence. Et il va jusqu’à esquisser un parallèle avec les hommes faussement accusés de harcèlement sexuel! Tout en rappelant avec complaisance que l'Arabie saoudite mène sa propre enquête et, conclut-il, « on verra bien ce qui en sortira ».

Des détails accablants

Plus le temps passe, plus de détails émergent, qui mettent à mal toute « version alternative » du drame du 2 octobre.

Les Turcs et leurs services secrets semblent avoir en main tous les éléments cruciaux de l’affaire, y compris, semble-t-il – même si on ne les a encore ni vus ni entendus – des enregistrements sonores, voire des enregistrements vidéo (sans doute obtenus par des micros ou des caméras cachés) qui racontent ce qui se serait vraiment passé ce terrible soir au consulat saoudien d’Istanbul.

Depuis le début de la semaine, on a appris qu’une équipe spéciale chargée d’un nettoyage intensif avait été vue à l’entrée du consulat juste après les faits et que plusieurs murs à l’intérieur ont été ensuite fraîchement repeints.

La dernière version semble montrer qu’il n’y a même pas eu d’interrogatoire de M. Khashoggi, et que la torture, suivie de l’assassinat, a commencé presque immédiatement après qu’il fut entré dans le consulat, en début d’après-midi.

Des journaux américains avancent d’autres informations accablantes… Le New York Times a trouvé des détails sur plusieurs des membres du commando qui a fait, ce jour-là, le voyage Riyad-Istanbul-Riyad dans deux avions privés sous immunité diplomatique.

Selon le New York Times, qui s’appuie sur des interviews, mais aussi sur des photos et des listes de personnel, un des hommes identifiés par les autorités turques appartient à l'entourage immédiat du prince héritier. Et trois autres, aux services de sécurité rattachés au prince. Le journal a les noms, les photos avec ben Salmane (qu’il publie), les dates des voyages antérieurs effectués ensemble : ce sont des gens qui se connaissent très bien, ce sont des potes!

Sans oublier le médecin légiste, avec sa scie à os… Car le commando comprenait également un spécialiste en autopsie et en découpage de cadavres, qui avait, lui aussi, été dépêché spécialement sur place. Il s’agirait d’un des plus haut placés du pays, une sorte de médecin légiste en chef. « Tout semble montrer, conclut le journal, que l’intention létale était bien présente dès le début. »

Thèses alternatives… et insoutenables

Avec de tels éléments, la thèse de « l’interrogatoire qui dérape » et de la non-préméditation est de plus en plus difficile à soutenir.

Idem pour la thèse concomitante de « l’innocence de Mohammed ben Salmane », l’autre « angle » qu’on essaie de vendre, soit l’idée que des éléments des services secrets de l’Arabie saoudite auraient agi d’eux-mêmes, sans autorisation ni commande en haut lieu! Mais ça non plus, ça ne tient plus debout.

À Washington, on entend maintenant des sénateurs qui ruent dans les brancards. Y compris des républicains comme Lindsay Graham : les mêmes qui viennent de faire passer en force la nomination du juge Kavanaugh à la Cour suprême. Mais qui, cette fois, ne semblent pas prêts – en tout cas, pas tous – à suivre la ligne télégraphiée par le département d’État et la Maison-Blanche.

Une ligne qui consiste, en substance, à dire : « Dans l’affaire Khashoggi, concoctons ensemble une version satisfaisante de l’événement, puis passons l’éponge et lavons bien! » Mais Lindsay Graham n’est pas d’accord et réclame la démission du prince héritier Mohammed ben Salmane. D’autres politiciens vont jusqu’à demander une suspension des ventes d’armes à Riyad.

Donc, il y a de l’eau dans le gaz entre les deux pays, mais leurs dirigeants en plus haut lieu semblent décidés à y aller d’un solide maquillage. Et de poursuivre le « business as usual »… au détriment de la vérité.

Mais devant l’évidence de l’horreur, on peut se demander : arriveront-ils à faire avaler de si gros poissons?

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