Brésil : un fasciste au pouvoir?

Jair Bolsonaro, ancien capitaine d’armée, provocateur au verbe enflammé, nostalgique de la dictature, est devenu le favori des pronostics.
Photo : AFP/Getty Images / Evaristo Sa
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les Brésiliens vont aux urnes dimanche pour élire un président, des députés, des sénateurs et des dirigeants locaux. Pour la première fois, un candidat d'extrême droite, Jair Bolsonaro – qu'on peut même qualifier de fasciste –, mène la présidentielle en ce qui concerne les intentions de vote. Retour sur cette campagne hors norme en cinq questions.
Depuis la disqualification, cet été, de l’ancien président Lula da Silva aux mains d’une justice « politisée » selon ses partisans, Jair Bolsonaro, ancien capitaine d’armée, provocateur au verbe enflammé, nostalgique de la dictature, est devenu le favori des pronostics.
1. Qui est Jair Bolsonaro?
C’est un militaire de réserve, depuis longtemps un député extrémiste qui se tenait aux marges de la politique brésilienne. Il est membre d’une formation qui s’appelle le Parti social-libéral. Il y a des dizaines de formations politiques au Brésil, et l’étiquette n’a pas trop d’importance. Bolsonaro a changé six fois d’allégeance depuis le début de sa carrière politique en 1989.
Il dit qu’il veut « donner carte blanche aux forces de l’ordre » pour éradiquer la violence endémique au Brésil. Ses slogans et ceux qu’on entend lors de ses rassemblements? La loi et l’ordre, le muscle, la hiérarchie, l’obéissance, Dieu et l’armée...
2. Est-ce un fasciste?
« Fasciste », « extrême droite » : voilà des mots dont on abuse aisément, à utiliser avec des pincettes... Toutefois, Jair Bolsonaro passe le test.
Il se déclare ouvertement nostalgique de la dictature militaire, qui a été au pouvoir au Brésil de 1964 à 1985. Lors de l’ouverture du procès pour destitution de l'ex-présidente Dilma Roussef, au printemps 2016, il était sorti de l’ombre en faisant, à la Chambre des députés, l’éloge d’un ancien colonel qui dirigeait la torture. Roussef ayant été elle-même torturée durant ces années-là, ce lien était transparent pour tout le monde.
Son discours est raciste et misogyne. Il a déjà dit à une députée de gauche : « Vous êtes si laide que vous n’êtes même pas digne d’être violée. » Ou encore : « Si mon fils était homosexuel, je préférerais qu’il meure dans un accident d’auto. » Plus grave, il a répété en campagne qu’il faudrait « fusiller » tous les militants du Parti des travailleurs (PT), le parti de Lula et de Dilma Roussef.
C’est un homme qui en appelle aux classes moyennes blanches, pleines de rancœur après les années de promotion sociale des classes pauvres sous les gouvernements da Silva et Roussef. Des classes moyennes qui se sentent rabaissées : voilà aussi, historiquement, le lit du fascisme.
3. Que disent les sondages?
Après le retrait forcé de Lula, qui était loin en tête, les sondages pour le premier tour l’ont vu monter au cours des dernières semaines. Des 18 % où il plafonnait au printemps et à l’été, derrière un Lula à 35-40 %, Bolsonaro a bondi en septembre, jusqu’à 32 % des intentions de vote ces derniers jours (avant répartition des indécis). De telle sorte que dimanche soir, au premier tour, il pourrait aller au-delà de ce chiffre.
Il y a aussi l’effet de sympathie – malgré la répulsion profonde qu’inspire le personnage à une partie importante de l’électorat – qu’a pu avoir le grave attentat au couteau qui a failli tuer Bolsonaro le 6 septembre. Jusqu’à la semaine dernière, il a fait campagne de son lit d’hôpital, tentant de profiter de son aura de martyr et de miraculé. Il a passé plus de trois semaines à l’hôpital.
Bolsonaro jouit également de l’appui tacite des pouvoirs financiers, comme sa montée dans les sondages a fait grimper les cours boursiers. Quant à la grande presse et au pouvoir judiciaire, ils ont, majoritairement, manifesté ces dernières années une hostilité constante et résolue envers le PT.
Mercredi, l’agence Reuters y allait d’une spéculation sur la possibilité d’une élection au premier tour de Bolsonaro! Mais ce serait une surprise immense, un véritable cataclysme.

Le candidat à la présidence Fernando Haddad avant un débat télévisé à Rio de Janeiro.
Photo : Reuters / Ricardo Moraes
4. Qui est candidat à la place de Lula?
Fernando Haddad était déjà le colistier de Lula à la vice-présidence, et il a été désigné début septembre par le PT pour le remplacer sur les bulletins de vote. Dire qu'il est le « protégé » de Lula est un grand mot. Fils d’immigrants libanais, diplômé de sciences politiques et de philosophie, Haddad a été maire de Sao Paulo. Il a étudié à Montréal et parle parfaitement le français.
Mais Haddad, ce n’est pas Lula, et sa popularité est beaucoup plus basse. Lula, parmi les classes populaires, est un phénomène quasi religieux. Haddad n’a pas ce charisme. Il n’a pas non plus un passé de prolétaire.
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5. Fernando Haddad a-t-il tout de même une chance?
Oui… en jouant, le 7 octobre, et ensuite au second tour prévu le 28, le rôle de « rempart contre le fascisme ».
Il obtient de 22 à 23 % des appuis selon les derniers sondages pour le premier tour, confortablement en seconde position devant le « travailliste » Ciro Gomes, qui fait deux fois moins.
Et s’il y a un second tour, il pourrait à la fin réunir une majorité en sa faveur, avec une mobilisation qui serait un vote « anti », bien plus qu’un vote « pour »… en l’occurrence, pour le programme socialiste modéré, dans la continuité du Parti des travailleurs, que porte Haddad.
Paradoxalement, Ciro Gomes, dans les simulations de second tour, ferait un meilleur score que Haddad contre Bolsonaro, parce qu’il n’est pas du PT! Mais il est peu probable que Gomes traverse le premier tour.
Un duel entre deux répulsions
Le problème, c’est que la « continuité PT » bloque beaucoup de gens. Pour ces électeurs, Haddad c’est aussi cette formation restée 14 ans à la présidence (2002-2016), le parti des scandales de corruption, qui au demeurant ont éclaboussé tous les partis ou presque.
Des gens pour qui le PT, c’est aussi la perpétuation d’un certain « pouvoir des pauvres » en politique : c’est précisément ce qui inspire cette rancœur de l’oligarchie et des classes moyennes blanches qui, depuis quelque temps, propulse le phénomène Bolsonaro.
Donc : y aura-t-il un second tour? Et, si oui (ce qui est probable), qu'est-ce qui l’emportera? La répulsion rétrospective à l'égard des années Lula et le PT ou la peur de voir un authentique fasciste prendre le pouvoir?