Réforme de la retraite : Poutine va de l’avant, mais à quel prix?

Pour protester contre le report de l'âge de la retraite, des centaines de Russes se sont réunis, avec une pétition dans les bras, devant le bureau administratif du président Vladimir Poutine.
Photo : Radio-Canada / Tamara Altéresco
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Après avoir été validée par les députés russes la semaine dernière, la Chambre haute de la Douma a approuvé mercredi la très impopulaire réforme qui, pour la première fois depuis l'ère soviétique, est censée reporter l'âge de la retraite. Toutefois, les Russes refusent de baisser les bras et continuent de dénoncer ce qu'ils considèrent comme une trahison.
Une fois que le président Vladimir Poutine aura signé la réforme, l’âge de la retraite passera graduellement de 55 à 60 ans pour les femmes, et de 60 à 65 ans pour les hommes.
En guise de protestation, des centaines de citoyens se sont réunis mardi, avec des piles de papiers dans les bras, devant le bureau administratif du président Poutine, qui est en plein centre-ville de Moscou dans le quartier populaire de Kitai Gorod. Ils détiennent une pétition de plus de 1 million de signatures qui a fait le tour de la Russie depuis des mois.
C’est du jamais-vu, et c'est le fruit d’une colère collective qui ne dérougit pas malgré les semaines qui passent.
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Dans la file qui s’allonge d’heure en heure et fait même tout le tour de l’imposant immeuble, il y a autant de jeunes que de vieux.
Parmi eux, il y a Ana et son mari Sacha. Ils ont 39 ans. Sacha explique que c’est la première fois de leur vie qu’ils sortent manifester contre leur gouvernement, et que c’est parce que leur avenir en dépend.
« Tout le monde sait que les hommes ne vivent pas aussi longtemps que les femmes, et je crains de ne jamais toucher un seul chèque », dit-il.
Dans un pays ou 42 % des hommes meurent avant l’âge de 65 ans, la réforme est perçue comme une trahison, même si plus de la moitié des retraités en Russie continuent de travailler.
Les chèques mensuels que leur verse le gouvernement servent souvent de complément de revenus pour maintenir une certaine qualité de vie et pallier des salaires extrêmement bas.
« Il y a un tel décalage entre le peuple et le président. Je soutiens ses politiques étrangères, mais ses politiques sociales sont humiliantes », dit Ana, qui est éducatrice dans une garderie.
Elle explique qu’elle craint de plus en plus des débordements violents comme l’Euromaïdan, les manifestations pro-européennes marquées par de fortes violences qui ont secoué l’Ukraine fin 2013 et début 2014.
Jusqu’où iront les Russes?
Depuis l’annonce de la réforme l’été dernier, des manifestations monstres, parfois violentes, ont éclaté à Moscou, à Vladivostok et à Saint-Pétersbourg.
Des milliers de Russes sont sortis dans les rues en dépit du fait que celui qui a lancé l’invitation, Alexei Navalny, est encore en prison.
« En plus, les gens manifestent aussi dans les petites villes et les villages. C’est complètement nouveau. On n’aurait pas pu voir cela il y a deux ou trois ans. Les Russes sont tolérants, [que l’on parle de] crise économique, de corruption, mais il y a des limites », affirme le sociologue Boris Kagarlitsky.
« Nous avons maintenant la certitude que c’est le dernier mandat de M. Poutine et il en profite pour faire les changements qu’il avait peur de faire avant. Mais il ne se rend pas compte que c’est une crise profonde qui pourrait éclater. Les Russes comprennent maintenant qu’il faut changer la structure politique pour stopper la réforme. C’est typiquement russe », poursuit-il.
Le parti Russie unie de Vladimir Poutine paie déjà le prix de sa réforme. Quand les Russes ont été appelés à choisir leurs gouverneurs, le 9 septembre dernier, quatre candidats du président ont été défaits, contre toute attente, par l’opposition.
« Les Russes sont restés silencieux depuis longtemps, mais ils ne le resteront pas éternellement, dit Sergei Kourguinian. J’ai vécu la perestroïka, je sais de quoi les Russes sont capables. »
Tamara Altéresco est correspondante de Radio-Canada à Moscou