Le lait s'invite in extremis dans la campagne électorale

Ce que les chefs des partis politiques appréhendaient est arrivé. L'accord survenu in extremis entre le Canada et les États-Unis dimanche, tard dans la nuit, comprend des concessions sur le lait, au grand désarroi des producteurs laitiers. En ce jour de vote au Québec, ils ont tous pris position sur cet enjeu crucial.
Le premier ministre sortant du Québec, Philippe Couillard, s’est dit « profondément » déçu du nouvel Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC) signé dimanche soir par les négociateurs américains et canadiens.
C’est une grande déception pour les producteurs de lait, une grande déception pour nos familles dans les régions du Québec, une grande déception pour les Québécois.
Prenant la parole peu après Justin Trudeau, Philippe Couillard a soutenu avoir exprimé sa déception au premier ministre canadien lors d’une discussion commune au téléphone avec ses homologues des provinces et des territoires.
Il est revenu sur le point le plus litigieux de cette entente, soit celui qui concerne l’industrie agroalimentaire. Selon lui, cet accord menace carrément le système de gestion de l’offre à cause de l’imposition d’un quota d’importation minimale et de la disparition de la classe de lait diafiltré.
L’accord prévoit une ouverture de 3,59 % du marché du lait et des produits laitiers canadiens aux Américains ainsi que l’élimination de la classe 7 sur le lait diafiltré, qui permet au Canada d’abaisser ses prix sur ce produit pour favoriser les producteurs d’ici.
Philippe Couillard s’est montré très critique envers le gouvernement fédéral, soulignant qu’il avait « ouvert une porte toute grande aux États-Unis, en permettant une intrusion sans précédent dans la politique commerciale intérieure de notre pays », sans rien obtenir en échange.
Le premier ministre sortant a déclaré qu’il allait poursuivre les discussions avec les représentants de l’Union des producteurs agricoles (UPA) et de la Fédération des producteurs de lait afin de réfléchir aux possibilités d’action à venir.
« Nous allons explorer les moyens légaux disponibles », a ajouté M. Couillard, qui a souligné qu’il s’agissait d’« un jour sombre pour nos régions ».
Dimanche, en journée, il avait promis qu'il ne laisserait « rien passer » et qu'il utiliserait « tous les outils possibles ».
Les outils, c’est de ne pas déclarer le Québec lié par une entente qui ne recevrait pas l’assentiment de nos producteurs, c’est d’explorer toutes les avenues, y compris les recours juridiques, pour bloquer l’entente, bloquer toute l’entente s’il le faut, pour protéger l’agriculture et nos régions.
Appelé à préciser sa pensée, M. Couillard a dit savoir qu'« un recours juridique pourrait entraîner le retard ou le blocage de l'accord ». « Je le ferais, je n'hésiterais pas », a-t-il ajouté.
« Au minimum, ce qu'on peut faire, c'est de ne pas déposer de textes qui déclareraient le Québec lié si c'était une entente qui ne reçoit pas l'assentiment de nos producteurs », a-t-il poursuivi.
Une honte, selon Lisée
Le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, ne mâche pas ses mots pour décrier la nouvelle entente commerciale.
Cette entente est une honte. C’est une honte pour le Canada, c’est une honte pour le Québec. C’est une expression de l’injustice systématique dont le Québec est victime à l’intérieur du Canada.
Pour M. Lisée, il est évident que le Canada a sacrifié « encore une fois » le Québec au profit de l’Ontario.
« Le Québec est sacrifié pour la troisième fois en trois ententes commerciales », a-t-il déclaré, parlant de l'entente Canada-Europe et de l'accord transpacifique. Les Québécois devraient être « en colère », a-t-il affirmé.
Selon lui, le gouvernement québécois a plusieurs outils à sa disposition, dont la possibilité de ne pas ratifier l’entente qui conduirait, pense M. Lisée, à la fermeture de dizaines de fermes laitières québécoises.
S’il est élu premier ministre du Québec aujourd’hui, M. Lisée veut convoquer les représentants de l’industrie laitière pour discuter d’une « riposte commune ».
« Je ne serai pas timide, je vais aller au bout de ce que l’on peut faire », a-t-il conclu.
Le chef du PQ a accusé le chef libéral, Philippe Couillard, et le chef caquiste, François Legault, d’avoir « lâché le rapport de force du Québec » lorsque, par le passé, ils ont accepté la brèche faite dans la gestion de l’offre par les accords européen et transpacifique, ce qui aurait facilité le choix du premier ministre canadien de sacrifier le lait.
Aucun compromis, martèle Legault
De son côté, le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) s’est dit déçu des termes de l’entente.
« Il y a eu des compromis faits sur la gestion de l‘offre, des compromis qui vont faire mal à des producteurs agricoles », a soutenu François Legault à sa sortie du bureau de vote.
M. Legault a déclaré être en contact avec le président de l’UPA et avec des responsables au bureau du premier ministre du Canada, Justin Trudeau.
« On va regarder toutes les options, ce qui est mieux pour l’ensemble des Québécois », a-t-il insisté.
Dimanche, il avait soutenu « qu’aucun compromis sur la gestion de l’offre ne serait acceptable ».
Une perte de souveraineté pour Massé
Quant à la co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, elle a réitéré sa position, selon laquelle « les intérêts du Canada ne sont pas ceux du Québec ».
« La nouvelle mouture [de l'accord] est inacceptable pour le peuple québécois », a déclaré Mme Massé, qui a précisé que, à son avis, la solution passait par l'indépendance du Québec.
On aurait aimé que le premier ministre Tudeau, au lieu de consulter les dirigeants des banques, consulte plutôt sa population.
Un front commun
Trois des quatre chefs des principaux partis politiques ont fait front commun, le 31 août dernier, pour réclamer le maintien de la gestion de l'offre dans le cadre de la renégociation de l’ALENA.
Le chef libéral, son homologue péquiste et la co-porte-parole de Québec solidaire ont tour à tour défendu ce système de régulation de la production, lors d'une conférence de presse tenue dans les bureaux de l'UPA, à Longueuil.
La CAQ avait dépêché sur place Sylvie D'Amours, porte-parole du parti en matière d’agriculture, de pêcheries et d’alimentation.