La pénurie de main-d’oeuvre décortiquée

L'industrie du camionnage fait face à une importante pénurie d'employés.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
C'est le sujet de l'heure pour les responsables des ressources humaines et l'enjeu clé du scrutin, selon le chef du Parti libéral, Philippe Couillard. Au-delà du débat politique, la pénurie de main-d'oeuvre en trois questions.
Un texte de Ximena Sampson
1. Quelle forme prend la pénurie de main-d’oeuvre au Québec?
Depuis 2004, le taux de postes vacants a doublé au Québec, passant de 2 % à 3,9 %, ce qui en fait la province la plus touchée par la pénurie au Canada.
« Il n’y a pas une pénurie, mais des pénuries », soutient Simon Gaudreault, économiste à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). « Dans certains secteurs, dans certaines régions et parfois même pour un secteur à l’intérieur d’une région. »
Cette difficulté à trouver des employés est particulièrement criante dans la grande région de Québec, mais aussi en Abitibi, sur la Côte-Nord ou au Saguenay.
« C’est là où le taux de chômage est très bas où ça risque de se faire sentir le plus », pense M. Gaudreault, qui précise qu’elle est également présente dans les centres urbains et dans les régions où la population est plus âgée.
Enfin, ce sont surtout les petites entreprises de moins de 50 employés qui sont touchées.
Note sur la méthodologie : Statistique Canada et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) ne mesurent pas le taux de postes vacants de la même manière. Tous les deux font des estimations, mais n’ont pas le même échantillon ni la même définition de ce qui constitue un poste vacant. En outre, les données de la FCEI se réfèrent au deuxième trimestre 2018 et sont désaisonnalisées, tandis que celles de Statistique Canada se réfèrent au premier trimestre 2018.
2. Est-il vrai que la pénurie ne touche que les emplois sous-payés?
Certains soutiennent que ce sont surtout des postes à bas salaire qui peinent à être pourvus.
Ce n’est pas tout à fait exact, affirme M. Gaudreault. « Nos membres disent qu’ils affichent [des offres d’emploi] et qu’ils ne reçoivent aucun C. V., alors que le salaire n’est même pas précisé. »
Ce n’est clairement pas une question juste de salaire, il y a une espèce d’offre de travail qui s’est tarie.
Il est vrai, qu’en général, ce ne sont pas des ingénieurs ou des chercheurs postdoctoraux que l’on recrute, mais plutôt du personnel de vente, des camionneurs et des préposés aux bénéficiaires.
Il s’agit d’emplois « qui vont demander certaines qualifications ou une formation interne, mais pas des études très poussées », affirme M. Gaudreault.
Par contre, il s’agit en général d’emplois payés bien au-dessus du salaire minimum. La rémunération moyenne offerte par les PME en manque de personnel tourne plutôt autour de 19 $/h, soutient M. Gaudreault.
En outre, ajoute M. Gaudreault, la pénurie de personnel entraîne une pression à la hausse sur la rémunération. Selon la FCEI, les entreprises qui ont au moins un poste à pourvoir prévoient une augmentation moyenne globale des salaires de 2,7 %, contre 1,9 % pour celles qui n'ont aucun poste vacant.
« Ce n’est pas juste une question de dire qu’on a une économie au Québec qui repose sur du "cheap labour" et que c’est pour ça qu’on a un enjeu de main d'oeuvre », croit Simon Gaudreault. « C’est un peu réducteur comme analyse. »
3. L'immigration est-elle la solution?
C’en est une parmi d’autres, pense l’économiste Pierre Fortin, professeur émérite à l'Université du Québec à Montréal, qui croit qu’il faudrait aussi explorer plusieurs autres possibilités.
L'immigration, c'est important comme moyen d'appoint. Ce n'est pas la seule solution.
Parmi les autres options : encourager le maintien en emploi des travailleurs âgés et mieux retenir le personnel.
« C’est important que les gens en entreprise comprennent qu’ils doivent prendre les moyens pour conserver la main-d’oeuvre qu’ils ont », affirme M. Fortin, en investissant dans la formation, par exemple, ou en augmentant les salaires.
Il faut aussi investir dans l’automatisation et la modernisation des postes, croit Simon Gaudreault, de la FCEI.
Et surtout, mieux arrimer l’éducation aux besoins du marché du travail. « Pendant longtemps, on a peut-être trop fait la promotion de métiers ou de voies académiques très spécialisées au détriment d’autres parcours », avance M. Gaudreault. « Ça prend des gens qui vont vouloir travailler en production, en vente, dans le domaine du transport. » La mise en place de stages et de visites en entreprise permettra aussi de mieux guider les étudiants.
Quelle est la cause de la pénurie?
Il y en a deux, disent les experts : le vieillissement de la population et la reprise économique. La situation économique pourrait éventuellement se détériorer, tandis que l’enjeu démographique, lui, n’est pas près de changer, car les experts anticipent une diminution de l'accroissement naturel de la population au cours des prochaines décennies et une accélération du vieillissement.
Quant à l’immigration, pour vraiment aider à combler les besoins de personnel, elle doit être bien ciblée, pensent MM. Gaudreault et Fortin.
« On ne peut pas dire qu’on va augmenter les quotas généraux d’immigration et que ça va régler notre problème », croit M. Fortin. Il faut plutôt miser sur l’adéquation entre les compétences des immigrants et celles requises par les entreprises, affirme-t-il.
M. Gaudreault, quant à lui, pense que la grille de sélection des nouveaux arrivants doit être mieux adaptée. « On donne beaucoup de points pour un doctorat, mais est-ce que ça correspond à ce dont on a besoin? », se questionne-t-il.
On devrait peut-être privilégier ceux qui ont déjà une offre d’emploi ici ou qui ont suivi une formation dans un domaine en demande, croit-il.
L’immigration est définitivement un puissant outil [...] mais il faut s’assurer qu’il soit mieux utilisé et mieux affûté.
Il faudrait également réussir à attirer un plus grand nombre d'immigrants en région, puisque la grande majorité d'entre eux (74 %) ont tendance à s’installer dans la région métropolitaine de Montréal (RMM).