Plus de médecins, payés moins cher : la solution française

Le Dr Nin lors d'une consultation chez une patiente.
Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Alors que l'accès aux soins de santé est la question qui préoccupe le plus les Québécois en cette campagne électorale, la France offre une approche qui semble faire ses preuves. Le pays peut se permettre d'avoir beaucoup plus de médecins par habitant que le Québec, car ceux-ci gagnent la moitié du salaire de leurs collègues québécois.
Un texte de Jean-François Bélanger, correspondant à Paris
La clinique médicale où pratique le Dr Philippe Nin n’est pas très spacieuse. Quelques mètres carrés à peine. Et pourtant, il ne travaillerait ailleurs pour rien au monde. Car son cabinet est en fait sa voiture, et sa vie est tout sauf routinière. Depuis 27 ans, le Dr Nin travaille pour SOS Médecins, une association à but non lucratif qui emploie un millier de généralistes à travers la France. Des médecins qui vont vers les patients plutôt que l’inverse.

Le Dr Nin travaille depuis 27 ans pour SOS Médecins.
Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger
Comme les médecins de campagne de naguère, le Dr Nin passe donc ses journées et souvent ses soirées, ses nuits, voire parfois ses week-ends à faire des visites à domicile. Des visites qui le mènent dans tous les quartiers de Paris au gré des appels relayés par le répartiteur. À l’inverse des médecins de famille, les généralistes à l’emploi de SOS Médecins revoient rarement les patients plus d’une fois. En ce sens, leur travail s’apparente davantage à celui des urgentologues.
Dans le véhicule, une sonnerie retentit, aussitôt suivie d’une voix grésillante. Des adresses sont mentionnées, des cas, décrits sommairement. Le Dr Nin empoigne d’une main le micro de la radio et demande quelques précisions avant d’annoncer prendre en charge un cas situé près de sa position dans le quatorzième arrondissement. Il allume le gyrophare bleu placé sur le toit et explique : « En général, on se déplace chez les patients dans l’heure qui suit l’appel ».
La visite à domicile, c’est extraordinaire, car cela permet de voir le patient chez lui, dans son contexte. Le simple fait d’aller chez les gens donne beaucoup de renseignements sur leur situation et parfois sur les médicaments qu’ils prennent. On ne peut pas voir ça en restant dans sa clinique.
Une fois sur place, le Dr Nin récupère sa mallette dans le coffre de la voiture. Un coffre rempli d’instruments médicaux et de médicaments. « Nous avons un peu de tout, précise-t-il, car quand quelqu’un nous appelle à 2 h du matin pour une cystite par exemple ou des coliques néphrétiques, ça peut être très douloureux et les pharmacies ne sont pas ouvertes. Donc, on essaie de fournir ce qu’il faut pour au moins débuter le traitement immédiatement. »
Si la France peut offrir de tels services à domicile, c’est parce que le pays compte beaucoup plus de médecins qu’au Québec. Au début de 2018, il y avait en France 337 médecins pour 100 000 habitants contre 242 au Québec, soit 40 % de plus. Le Québec fait aussi piètre figure par rapport à la moyenne européenne qui se situe à 370. En fait, la province se classe au niveau du pire pays de l'Europe à ce chapitre, la Pologne, avec 230 médecins par 100 000 habitants.
Une consultation médicale dans son salon
La patiente chez qui se rend le Dr Nin se plaint de fièvre, de vertiges, de difficultés à respirer. La consultation se déroule dans son salon. Un examen de routine : prise de température, vérification du pouls, de la tension artérielle, du taux d’oxygénation du sang, auscultation, examen visuel de la gorge et des conduits auditifs. La patiente dit ressentir un poids au niveau du cœur. Par acquit de conscience, le docteur retourne à sa voiture chercher un appareil pour faire un électrocardiogramme.

Le Dr Nin lors d'une consultation chez une patiente.
Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger
La visite dure au total près d’une heure, mais le Dr Nin la facture au prix d’une simple visite à domicile, soit 50 €, environ 75 $. La note d’honoraires ne mentionne pas l’électrocardiogramme. « Normalement, j’aurais dû ajouter 50 €, avoue-t-il avant de repartir, mais bon… ». Il ne termine pas sa phrase. Il a un sourire. Il a l’impression d’avoir été utile.
La patiente qui ne souhaite donner que son prénom, Alexandra, est ravie. « C’est inestimable; c’est vachement bien, dit-elle. Ça m’évite de me déplacer, d’autant que je n’en avais pas la force, et de toute façon, mon médecin traitant est en vacances. » La somme payée lui sera intégralement remboursée par la sécurité sociale et par son assurance privée.
Une médecine « économique »
De retour dans sa voiture, Philippe Nin dément la notion qu’il s’agit là d’un service de luxe, d’une médecine de riches. « C’est en fait très économique, dit-il. Pour le patient, pour l’assurance maladie, pour tout le monde en fait. Car recevoir un patient aux urgences, à l’hôpital, avec tous les examens complémentaires nécessaires, ça finit par coûter beaucoup plus cher à l’État. »
Médecin libéral, le Dr Nin est payé à l’acte. Lorsqu’on lui fait remarquer que s’il recevait ses patients en clinique, il pourrait en voir beaucoup plus et donc, gagner beaucoup plus d’argent, il s’objecte : « Ce n’est pas la seule motivation. Vous savez, moi, je ne me plains pas; je gagne correctement ma vie. »
On peut toujours faire plus d’argent en allant très vite et en voyant plus de patients. Chacun pratique la médecine comme il l’entend, mais moi, j’aime prendre un peu mon temps avec les patients.
La moitié des salaires offerts au Québec
Pourtant, comme tous les généralistes de France, ceux qui travaillent à SOS Médecins gagnent beaucoup moins d’argent que leurs confrères québécois. D’après une enquête nationale conduite en 2011 par l’INSEE, l'institut national de la statistique en France, le salaire annuel moyen des omnipraticiens français était de 82 000 €, soit 124 000 $ environ. À la même période, les médecins de famille québécois gagnaient en moyenne le double, soit plus de 250 000 $.
Un écart qui se retrouve aussi chez les spécialistes. En France, leur salaire moyen au moment de l’étude était de 202 000 $ contre plus de 400 000 $ au Québec. Et alors qu’au Québec, le gouvernement a fait le pari d’augmenter le salaire des médecins au point de doubler en 10 ans la masse salariale dans l’espoir d’améliorer l’accès aux soins, la France a fait le choix contraire.
Beaucoup a été dit et écrit au Québec sur les salaires parfois faramineux des radiologistes, qui frôlent en moyenne les 700 000 $ par an. Des hausses qui font l’envie de leurs confrères français. À la Fédération nationale des médecins radiologues, le président, le Dr Jean-Philippe Masson, l’admet.

Jean-Philippe Masson est le président de la Fédération nationale des médecins radiologues
Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger
Bien sûr, on est jaloux de nos collègues canadiens. Quand on compare notre salaire au leur, on pleure de dépit. Parce qu’on fait le même métier et on ne comprend pas cette différence de salaire.
Baisser les salaires plutôt que les hausser
Car, loin de jouir de confortables hausses de salaire comme au Québec, les radiologues français ont dû accepter, le printemps dernier, de revoir leurs tarifs à la baisse, à la suite de longues négociations avec la Sécurité sociale. « Il y a une petite dizaine d’années, un radiologue en France gagnait en moyenne 180 000 € (240 000 $). Maintenant, un radiologue gagne en moyenne 120 000 € (180 000 $) », explique le Dr Masson.
Au Québec, les hausses de salaire ont été justifiées par la nécessité d’égaler le niveau de rémunération pratiqué ailleurs en Amérique du Nord et ainsi éviter un exode des médecins québécois.
La France a pourtant fait le contraire, et les fédérations de médecins n’ont pas enregistré de départs massifs de leurs membres vers les autres pays d’Europe où ils ont pourtant le droit de travailler. « Dans les faits, les médecins vont peu travailler dans les autres pays européens, entre autres à cause de la barrière de la langue », explique le Dr Masson.
Le Dr Philippe Nin de SOS Médecins, lui, affirme n’avoir jamais songé à s’installer à l’étranger. « Je suis très attaché à mon pays et à Paris en particulier. »
Choisir d'aider les autres
Alors que Québec espère attirer des généralistes français pour pallier le manque de docteurs dans certaines régions, les yeux se tournent naturellement vers ceux qui sortent des écoles de médecine, comme Raphaël Chaumont.

Dr Raphaël Chaumont, interne, se demande où il pratiquera la médecine.
Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger
Après 10 ans d’études, cet interne de 28 ans s’apprête à entrer sur le marché du travail. Il a déjà choisi de pratiquer la médecine libérale plutôt que d’être salarié en hôpital. Et alors qu’il fait son internat à Clamart, au sud-ouest de Paris, il réfléchit à l’endroit où s’installer et ouvrir son cabinet.
Parmi les facteurs qui guideront son choix, il y a d’abord la vie personnelle, avant les considérations géographiques, et aussi bien sûr l’envie de contribuer à améliorer l’accès aux soins. Mais l’argent, dit-il, n’entre pas en considération.
Il n’y a pas que l’argent dans la vie. Ma motivation à faire de la médecine, elle n’est pas financière. Clairement pas. J’ai eu envie de faire médecine parce que j’avais envie d’aider les gens.
Il ajoute que si jamais l’argent était important pour lui au point de le motiver à s’expatrier, alors il aurait plutôt choisi de faire autre chose dans la vie : banquier ou ingénieur.
S’il ne songe pas à partir pratiquer la médecine au Québec, il est au courant des défis auxquels la province fait face. Ils sont essentiellement les mêmes qu’en France avec une population vieillissante et la nécessité d’un plus grand nombre de médecins pour en prendre soin.
Selon le Dr Chaumont, la solution au problème de l’accès aux soins est pourtant simple : « Il faut ouvrir les vannes ». Il préconise de hausser fortement le nombre de places en école de médecine. En résumé, augmenter le nombre de médecins, plutôt que leur salaire.