Un programme d'éducation sexuelle juste pour les garçons

AJ Hinman est l'un des élèves qui participe au programme WiseGuyz qu'on pourrait traduire par "garçons allumés" en français,
Photo : Radio-Canada / Laurence Martin
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Plusieurs écoles de la région de Calgary ont choisi une approche unique pour encourager des adolescents à adopter de meilleurs comportements sexuels : sortir les filles de la classe.
Un texte de Laurence Martin
« Si une femme porte une jupe très courte, on ne devrait pas dire : “C’est une pute.” »
AJ Hinman, 14 ans, la casquette sur la tête, réfléchit aux conséquences du mouvement #MeToo et aux hommes qui se permettent parfois d’insulter des femmes parce qu’elles s’habillent sexy.
Sa remarque semble faire l’unanimité dans la classe. Autour de la table, les autres élèves acquiescent, en finissant leur beigne du Tim Hortons.
Ethan, dont la chemise hawaïenne s'ouvre sur un t-shirt bleu, va plus loin : le problème, selon lui, ce n’est pas l’habillement, mais la manière dont la société le perçoit.
« Si on pense qu’une fille en minijupe est une femme-objet, rien ne va changer. Il faut changer notre façon de voir la jupe courte, pas changer la jupe. »

Les discussions lors du programme WiseGuyz ont lieu en petits groupes.
Photo : Radio-Canada / Richard Marion
Ethan, AJ et les autres ont choisi de faire partie du programme WiseGuyz, qu’on pourrait traduire par « garçons allumés » en français.
Lancé en 2010 par le Centre de santé sexuelle de Calgary, le programme est complémentaire au curriculum du ministère de l'éducation en Alberta.
Il est basé sur un principe simple : si l’on veut mieux éduquer nos garçons, si l’on veut qu’ils deviennent plus responsables, plus respectueux dans leurs rapports sexuels et amoureux, il faut leur donner une attention toute particulière.
Dans le passé, les programmes d'éducation sexuelle visaient surtout les femmes. On voulait prévenir des grossesses non désirées chez les jeunes filles.
C'était très bien, ajoute-t-il, « mais on s'est rendu compte qu'il ne fallait pas négliger les hommes. [...] Eux aussi ont envie de parler de tout ça. »
Pas de tabous

L'un des instructeurs de WiseGuyz, Joe Campbell (à gauche), avec le responsable du programme, Blake Spence.
Photo : Radio-Canada / Laurence Martin
Les jeunes de WiseGuyz se réunissent une heure et demie par semaine dans leur école. Le cours est donné par des instructeurs du Centre de santé sexuelle de Calgary. De jeunes hommes auxquels les élèves peuvent facilement s’identifier et se confier.
Quand les adolescents entrent en classe, note Blake Spence, « ils se relaxent, ils enlèvent leur masque et ils sont vraiment eux-mêmes ».
Une telle ouverture n’aurait pas été possible s’il y avait eu des filles dans le cours, selon lui.
Qu'on soit juste des gars fait qu’on peut s'exprimer plus librement. On ne se juge pas entre nous. On peut montrer nos émotions. Devant une fille, j'aurais peur qu'elle se moque de moi.
Le programme WiseGuyz, d’une durée d’un an, est conçu pour des jeunes de 14 ou 15 ans. À cet âge-là, les gens sont assez vieux pour vouloir parler de sexualité et assez jeunes pour avoir envie d'écouter.
Des sujets plus classiques comme l’anatomie ou les infections transmises sexuellement (ITS) sont abordés, mais aussi des thèmes comme le consentement, le plaisir sexuel ou encore la façon dont les hommes et les femmes sont représentés dans les médias.
« On répond à toutes les questions des jeunes. Il n’y a pas de tabous », explique Joe Campbell, l’un des instructeurs.
Et le ton, en classe, n’est pas toujours sérieux.

Les "pénis en bois" peints de toutes sortes de couleurs sur lesquels les jeunes de WiseGuyz se pratiquent pour mettre des condoms.
Photo : Radio-Canada / Tristan Abbott
Pour la leçon sur les condoms, par exemple, les instructeurs organisent un concours avec des démonstrateurs en bois qui ont la forme d’un pénis. La classe est divisée en deux groupes et l'équipe qui réussit à mettre le plus de préservatifs sur les démonstrateurs l'emporte.
« L'idée, c'est de normaliser l'usage du condom », explique Blake Spence.
On est loin de la fameuse banane et du cours magistral classique…
« Les garçons seront toujours des garçons »

Trois jeunes de WiseGuyz et un de leurs instructeurs, à droite. Il répond à toutes les questions. C'est la politique du programme.
Photo : Radio-Canada / Richard Marion
Ultimement, les responsables de WiseGuyz disent aux garçons : « Vous avez le droit d’avoir des émotions. »
On a tous grandi avec cette idée que les garçons vont toujours se comporter comme des garçons. C'est correct qu'ils soient turbulents, qu'ils soient agressifs parfois, ce sont des gars après tout. Mais où est-ce qu'on met la limite?
« Avec le programme, on veut montrer aux jeunes qu'il y a plein de façons d'être un homme », explique Blake Spence.
Les résultats, en tout cas, sont encourageants, selon Martin Poirier, qui a été directeur de la première école qui a mis en place le programme, il y a huit ans.
Très vite, les jeunes de WiseGuyz ont créé un groupe de soutien aux élèves LGBTQ et ils ont même mis fin à de la cyberintimidation, quand des photos compromettantes d'une élève circulaient sur Internet.
Ça a vraiment changé la culture de l’école d’avoir ce programme-là. [...] Il y avait moins de méchanceté.
L’exporter ailleurs?

Le programme WiseGuyz est déjà implanté dans une dizaine d'écoles de la grande région de Calgary.
Photo : Radio-Canada / Richard Marion
Pour l’instant, le programme est donné dans une dizaine d’écoles de la région de Calgary. Les responsables de WiseGuyz prévoient l’étendre dans d'autres villes de l’Alberta cette année et, peut-être, dans d'autres provinces.
Bien sûr, il reste des défis. Une fois à l’extérieur de la classe, quand ils ne sont plus dans un espace protégé, est-ce que les jeunes de WiseGuyz vont faire preuve d’autant de respect et de maturité?
AJ croit qu'il n'est pas près d'oublier ce qu'il a appris. Plus tôt cette année, il a laissé sa copine après s’être rendu compte qu’il « n’était pas lui-même » avec elle.
« Je sais que moi, j'ai changé depuis que je suis dans WiseGuyz, dit-il. Et si le programme s'étend ailleurs, là, on risque tous de devenir plus tolérants. »