Les belles-sœurs de Michel Tremblay en trois temps

L'Impact de la pièce « Les belles-soeurs » sur le théâtre québécois et international
Photo : Radio-Canada
En 1968, le dramaturge Michel Tremblay frappait un grand coup avec sa pièce Les belles-sœurs. Depuis, il est devenu un des plus importants hommes de théâtre du Québec. Nos archives nous aident à comprendre son cheminement et son influence tant ici qu'ailleurs sur la planète.
Une pièce coup de poing
En 1968, le Théâtre du Rideau vert présente une pièce d’un auteur de 26 ans. Les belles-sœurs enflamme la société québécoise.
C’est que la pièce donne la parole à des personnages jusque-là marginalisés dans la dramaturgie québécoise. Des femmes, d’un milieu défavorisé de surcroît, qui expriment la pauvreté économique et sociale de leurs vies.
Cette description inédite d’un pan de la société québécoise, Michel Tremblay la présente à travers une langue populaire, le « joual ». Or, une partie de la population rejette catégoriquement l'aspect négatif que cette dernière représente. Le « joual » reflète l’anémie culturelle dont souffre une proportion importante de la société canadienne-française de l’époque.
Pas étonnant, dans ce contexte, que son utilisation au théâtre ait été décriée par les puristes de la langue française. Le portrait offert par Michel Tremblay était sans concession. Il montrait les carences d’une société colonisée et cela faisait très mal.
De manière peu surprenante, Michel Tremblay s’est attiré plusieurs ennemis avec Les belles-sœurs. Parmi ceux-ci on trouve la ministre de la Culture du Québec Claire Kirkland-Casgrain. En 1972, la ministre de la Culture refuse à Michel Tremblay une bourse de 4000 $ pour diffuser son œuvre à l'étranger.
La décision est arbitraire car elle va à l’encontre de l’avis du juré mandaté pour désigner les boursiers. La ministre ne veut encourager que les auteurs qui rédigent dans un français « correct ».

Extrait du débat entre Michel Tremblay, Marcel Godin et Alain Pontaut présenté par le journaliste Claude Sauvé dans le cadre de l'émission Format 30
L’affaire rebondit le 29 août 1972 à l’émission Format 30.
Le journaliste Claude Sauvé organise dans le cadre de cette émission un débat où on discute de la présence du joual dans le théâtre. Michel Tremblay y polémique avec l’écrivain Marcel Godin qui minimise l’importance de cette forme de langage dans la société.
Le troisième invité, l'écrivain et critique littéraire Alain Pontaut, intervient alors pour appuyer Michel Tremblay.
« Le phénomène Les belles-sœurs, pourquoi ça a eu cet impact au théâtre? C’est parce que c’est un auteur qui présentait tout d’un coup un certain nombre de Montréalaises dans leurs cuisines qui étaient différemment frustrées, « maganées », méchantes et aigries. […] Les belles-sœurs, en collant à l’analyse de ces personnages, ne pouvaient pas être écrit autrement qu’en joual. »
Les Belles-sœurs, une portée universelle
Un aspect fascinant du destin de la pièce de Michel Tremblay est comment ses belles-soeurs ont par la suite beaucoup voyagé. L'action de la pièce de Michel Tremblay est confinée à quelques rues du quartier montréalais du Plateau Mont-Royal. Sa portée, elle, est universelle.

Reportage du journaliste Mario Roy sur le rayonnement de Michel Tremblay à l'étranger
C’est ce qui explique le reportage du journaliste Mario Roy diffusé dans l’émission La vie d’artiste le 6 mars 1997. On rencontre dans ce reportage de nombreux traducteurs de la pièce ainsi que des metteurs en scène qui ont monté Les belles-soeurs à l’étranger.
Plusieurs metteurs en scène remarquent que la pièce parle à beaucoup de publics de théâtre à travers le monde malgré la distance et les différences culturelles. Les Italiens comprennent bien le poids qu'a l'Église catholique sur le destin de ces femmes. Au Japon, c'est le poids de la société féodale qui fait comprendre les personnages de Michel Tremblay.
Certains y vont même d'une analyse économique pour expliquer l'engouement d'un public étranger. C'est le cas notamment en Roumanie.
« Ce n’est pas un hasard si la pièce a eu un tel impact dans les pays qui viennent de découvrir le système capitaliste. Ils se trouvent presque au même niveau que se trouvaient Les belles-sœurs dans les années 1960. »
Les pièces de Tremblay ont été présentées aux quatre coins du globe. Des actrices irlandaises, japonaises, haïtiennes, israéliennes, entre autres, ont repris les rôles de Germaine Lauzon et de ses belles-sœurs.
Un duo indissociable
Derrière le dramaturge se trouve souvent un metteur en scène, peut-on affirmer.
Ça a été le cas entre Michel Tremblay et André Brassard, qui a monté sur scène la plupart des pièces de théâtre de son ami. La rencontre des deux hommes dans les années 1960 a donné une nouvelle impulsion au théâtre québécois. Certains disent même qu’il lui a fait connaître des sommets alors inégalés.

Reportage de la journaliste Françoise Stanton sur la relation professionnelle de Michel Tremblay et du metteur en scène André Brassard
La journaliste Françoise Stanton profite des vingt ans de la première de la pièce Les belles-sœurs pour souligner l’étroite collaboration entre Michel Tremblay et André Brassard. Le reportage de la journaliste, présenté à l’émission Le point le 23 août 1988, est sans fard et sans concession.
On peut aussi cependant voir dans ce reportage toute la tendresse et la grande confiance que se sont accordées les deux artistes dans leurs aventures théâtrales.
Michel Tremblay a quelque peu délaissé la scène dans les années 1970 pour consacrer ses énergies à écrire des romans. Sa dramaturgie frôle maintenant la cinquantaine en âge. Malgré cela, elle demeure bien de son temps. Les thèmes qui y sont explorés demeurent fondamentaux et touchent à l’universel.