Même les vérificateurs de l'Agence du revenu trouvent que les riches sont avantagés

Neuf professionnels de la vérification fiscale sur 10 sont d'accord avec l'affirmation voulant qu'il est plus facile pour les entreprises et les riches particuliers de s'adonner à l'évasion fiscale.
Photo : Radio-Canada
Selon un sondage commandé par le syndicat des professionnels de la fonction publique fédérale, une forte majorité d'experts comptables de l'Agence du revenu du Canada (ARC) considèrent que le système fiscal au pays favorise les mieux nantis, que ce soit les entreprises ou les particuliers.
Ce syndicat – l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) – a fait sonder en ligne, l'hiver dernier, plus de 1700 vérificateurs et autres professionnels de l'impôt travaillant à l'ARC sur une période de deux semaines.
Le sondage suggère que ceux-là mêmes qui travaillent pour le fisc sont d'avis que les dés sont pipés en faveur des riches. « Les résultats sont stupéfiants », a affirmé la présidente du IPFPC, Debi Daviau, dans une entrevue accordée à CBC. « Les entreprises peuvent se prévaloir de toutes sortes d'échappatoires fiscales qui ne sont pas à la portée des petites gens », ajoute-t-elle.
Ainsi, 9 personnes sur 10 ayant été sondées sont en accord avec cette déclaration : « Il est plus facile pour les entreprises et les riches particuliers de s'adonner à l'évasion fiscale et/ou à la fraude fiscale que ce peut l'être pour le Canadien moyen ».
Plus de 8 répondants sur 10 se sont dit d'accord avec l'assertion suivante : « Les crédits et exemptions d'impôt, de même que les échappatoires fiscales, avantagent de manière disproportionnée les entreprises et les riches contribuables en comparaison avec le Canadien moyen ».
Et 45 % des répondants se sont dits d'accord avec l'idée que le mandat de l'Agence du revenu du Canada avait été compromis par de « l'interférence politique ». (Les sondeurs n'ont pas défini le terme, laissant aux répondants le soin de l'interpréter à leur guise.)
Qui a répondu
Il est à noter que le sondage a été mené auprès de gestionnaires, de comptables judiciaires, d'économistes, de statisticiens et d'actuaires; des spécialistes qui s'occupent généralement des comptes des grosses entreprises et des mieux nantis plutôt que de ceux des contribuables moins fortunés et des petites entreprises.
Les sondeurs affirment que ces répondants « savent mieux que quiconque de quelle manière le revenu provenant de toutes sources est évalué et transformé en revenus fiscaux ».
« Les réponses des répondants valident la présomption largement répandue que les riches sont en mesure d'esquiver leurs responsabilités fiscales alors que le reste du monde doit combler le manque à gagner », affirment encore les auteurs du sondage.
Au total, ce sont 11 600 membres du syndicat qui ont reçu le sondage (des membres de l'ARC travaillant à la vérification, aux finances et aux sciences). Près de 19 % du total ont répondu au sondage de manière anonyme. Les analystes de la maison de sondage ont exclu les réponses des 429 employés aux systèmes informatiques pour se consacrer à celles des 1741 professionnels de l'impôt (dont 1384 vérificateurs) qui s'occupent d'analyse et de cueillette.
Les Canadiens sondés eux aussi
L'IPFPC a aussi commandité un sondage téléphonique auprès de 1000 Canadiens au début du mois de juillet. Dans le cadre de ce sondage, 79 % des répondants se sont dits d'accord avec les professionnels de l'impôt qui croient que les riches parviennent plus facilement à ne pas payer leurs impôts.
En vertu de ces résultats, il appert que les professionnels de l'impôt, qui connaissent les rouages du système, sont encore plus enclins que le grand public – par environ 10 points de pourcentage – à croire que le système fiscal du Canada favorise les riches.
Les trois quarts des professionnels sondés se disent aussi d'accord avec l'assertion voulant que « les multinationales transfèrent leurs profits dans des régions à faible taux d'imposition, même lorsqu'elles ont peu ou pas d'activités économiques dans ces juridictions ».
Des compressions qui ont fait mal, selon le syndicat
La présidente du syndicat affirme que le sondage n'a pas été commandé afin de protéger les emplois de ses membres. Le contrat de travail de ces syndiqués travaillant à l'ARC vient à échéance en décembre. Aucune négociation n'est en cours.
Néanmoins, dans ses commentaires relativement aux résultats du sondage, l'IPFPC attribue les défaillances du système fiscal canadien aux compressions d'emploi effectuées en 2012 par le gouvernement conservateur de Stephen Harper qui, à l'époque, sabrait les dépenses des ministères afin d'éliminer le déficit.
Le gouvernement libéral de Justin Trudeau a rétabli une partie du financement, notamment en injectant de l'argent dans les opérations de recouvrement de créances fiscales et de chasse aux fraudeurs, adeptes des paradis fiscaux. Mais le syndicat affirme qu'un manque à gagner de 500 millions de dollars subsiste annuellement, en comparaison avec le niveau de financement qui était en vigueur en 2012.
Résultats des compressions, selon l'IPFPC : moins de vérificateurs, moins de formation et une technologie désuète. Ce qui fait en sorte qu'en matière de fiscalité, l'ARC ne parvient pas au niveau d'efficacité des avocats, des comptables et des consultants du secteur privé.
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Où sont passés les experts?
Les auteurs du rapport accompagnant les résultats du sondage affirment aussi qu'en remplaçant les employés mis à pied par des algorithmes, l'ARC consacre injustement ses efforts sur le menu fretin.
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Debi Daviau, de l'IPFPC, fait valoir que les experts en fiscalité membres de son syndicat sont convoités par le secteur privé, qui leur offre parfois jusqu'à trois fois plus d'argent que le gouvernement fédéral.
L'IPFPC compte faire cet automne des recommandations au gouvernement canadien sur les manières de rendre le système fiscal plus équitable.
Du côté du groupe des Canadiens pour une fiscalité équitable, on affirme que le sondage mené pour le compte du syndicat confirme les résultats de sondages semblables, effectués il y a quelques années par ce groupe de pression. « Si les professionnels de l'impôt sont tant préoccupés, ça signifie qu'on doit, nous aussi, être très inquiets », conclut Toby Sander, qui dirige le groupe de pression.