Val-d'Or met en scène les côtés sombres de la colonisation pour favoriser la réconciliation

Le circuit théâtral «Val-d’Or vous raconte son histoire» suscite l’engouement en Abitibi-Témiscamingue, alors que les billets de toutes les représentations se sont envolés près d’une semaine avant la première.
Photo : Radio-Canada
Le circuit théâtral Val-d'Or vous raconte son histoire aborde sans détour les côtés sombres de la colonisation, notamment la dépossession territoriale des Autochtones. La démarche artistique s'est déroulée sans controverse : des membres des communautés autochtones ont été impliqués dans le processus dès la conception puis à titre de comédiens.
Un texte de Thomas Deshaies
L’initiative suscite l’engouement en Abitibi-Témiscamingue, tandis que les billets de toutes les représentations se sont envolés près d’une semaine avant la première.
Le circuit s’inscrit dans une perspective de réconciliation, près de trois ans après les dénonciations de femmes autochtones de Val-d’Or, qui soutenaient avoir subi des abus de la part des policiers de la Sûreté du Québec.
Le comédien anichinabé Roger Wylde interprète une figure emblématique autochtone de l’histoire de Val-d’Or, Gabriel Commanda. Il est considéré comme le premier habitant de la ville et l’un de ses premiers prospecteurs.
M. Wylde affirme que plusieurs scènes présentent les impacts négatifs des politiques gouvernementales sur les peuples autochtones.
« Il y a des moments très forts, très intenses, par rapport à la situation dramatique des peuples autochtones, souligne-t-il. Les pensionnats, les enfants qui ne peuvent plus parler la langue se font couper les cheveux, se font tout prendre, ça je le dis aussi [dans le circuit théâtral]. »
Une ville minière
La pièce présente les moments clés de la création de la ville de Val-d’Or, qui fut officiellement fondée en 1935 autour de l’industrie minière.
Les créateurs de la pièce souhaitent faire connaître l’histoire de la ville, mais aussi les ravages causés par le colonialisme et la dépossession territoriale.
Durant ces années, les lacs et rivières qui portent des noms autochtones ont été renommés par le colonisateur. À titre d’exemple, l’île Askigwash, connue aujourd'hui sous le nom de l'île Siscoe, servait de lieu de rassemblement à plusieurs communautés autochtones, jusqu’à ce que la Gendarmerie royale du Canada les expulse de force.
« J’ai beaucoup de spectateurs qui me demandent souvent : ''C’est quoi le nom que tu disais, de l’île [qu'ils] ont pris possession, l’île Siscoe? Pourquoi ils ont changé ce nom? », constate le comédien anichinabé Maverick Papatie.
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Une controverse à la Kanata?
Les producteurs n’ont pas craint de controverse comme ce fut le cas pour Kanata, en raison du processus de création. Les cocréateurs, Bruno Turcotte et Véronique Filion, expliquent avoir voulu intégrer des acteurs autochtones, même si le recrutement a été un processus parfois ardu.
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Une liberté artistique a été laissée aux comédiens, souligne la cocréatrice, Véronique Filion. « Le test ultime, c’était avec les comédiens. Quand ils ont lu les textes, il fallait que ce soit quelque chose qui leur plaise, qu’ils avaient le goût de défendre, de prendre en charge », souligne-t-elle.
Des modifications auraient été apportées au texte de la pièce, suite aux suggestions des acteurs ou de différents intervenants des milieux autochtones.
Trois ans après les « événements de Val-d’Or »
Le circuit théâtral prend vie près de trois ans après les dénonciations de femmes autochtones de Val-d’Or, qui avaient causé une véritable onde de choc dans la communauté.
Depuis, de nombreuses initiatives ont été mises sur pied pour favoriser la réconciliation, dont la création d’un comité de lutte au racisme et à la discrimination par la Ville.
« Évidemment, il reste beaucoup de préjugés, mais je dirais qu’au niveau des institutions, que ce soit le gouvernement, en éducation, en services sociaux, ces gens-là sont mobilisés sur différents comités, entre autres le comité de la Ville sur le racisme », explique Doris St-Pierre, membre du comité.
M. St-Pierre souligne notamment la création du centre culturel Kinawit par le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or, qui est un lieu d’échange situé en forêt, à quelques kilomètres du centre-ville.
La professeure à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), Suzy Basile, constate elle aussi la mobilisation de plusieurs acteurs du milieu et l’intérêt des citoyens. Le nombre d’inscriptions à ses cours a d’ailleurs doublé depuis 2015.
Elle se désole toutefois qu’il ait fallu une crise pour y parvenir. « Il y a de très belles initiatives, mais ce sont des mesures réparatrices qui ont été mises en place, après que les choses ont mal tourné, et c’est ce que je trouve déplorable, en fait », affirme-t-elle.
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Connaître l’histoire pour comprendre les enjeux actuels
Les créateurs de Val-d’Or vous raconte son histoire estiment qu’une meilleure connaissance de l’histoire permet de mieux comprendre les obstacles auxquels les Autochtones sont confrontés.
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Doris St-Pierre, membre du Comité de lutte contre le racisme et la discrimination de Val-d'Or, abonde dans le même sens. « Oui, il y a beaucoup de problèmes sociaux dans les communautés, mais c’est le résultat de quoi? C’est le résultat de nos régimes que nous leur avons imposés pendant des siècles », s’exclame-t-il.
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L’Abitibi, un exemple à suivre?
La professeure Suzy Basile estime que les intervenants du milieu culturel de l’Abitibi-Témiscamingue ont su laisser la place aux cultures autochtones. Elle cite notamment l’initiative de mobilisation culturelle CULTURAT (Nouvelle fenêtre).
« Si toutes les régions faisaient comme ce que l’Abitibi tente de faire avec des projets aussi locaux que celui-là, que ce soit une pièce de théâtre ou des visites guidées où on inclut les communautés autochtones et le message de certains de ses membres, déjà, cela serait un effort monumental, affirme-t-elle. On ne voit pas cela dans d’autres régions au Québec ou très peu. Ce n’est pas organisé comme ça peut l’être en Abitibi. »
Le comédien Roger Wylde estime que l’art permet un rapprochement entre les peuples.
« Je crois que les arts en général, dont le théâtre, amènent un dialogue entre les peuples autochtones et non autochtones, les femmes et les hommes, les jeunes et les moins jeunes. Si la politique ne peut pas le permettre, peut-être qu’avec les arts on va y arriver et que ça va ouvrir de nouveaux horizons », soutient-il.